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Le musée fantôme des arts et traditions populaires

Plongée au coeur d'une ethnographie orpheline

Le Musée national des arts et traditions populaires, victime collatérale du grandiloquent projet du Mucem à Marseille, risque de garder encore longtemps portes closes. Après plus de 70 ans d'existence, le Musée national des arts et traditions populaires est une coquille à l'abandon. Et si la solution était de remettre la présentation de ses collections au goût du jour ?

Les portes d'entrée du public sont fermées. Des serpillières les calfeutrent… Bienvenue au Musée national des arts et traditions populaires (MNATP), au coeur du jardin d'acclimatation (Paris XVIe) ! Trois ans que plus aucun visiteur – sauf quelques étudiants – ne foule plus le sol des galeries évoquant la vie rustique ou urbaine depuis le XVIIIe siècle. Chalet de bois, buffets normands, trousseau de noces, assiettes en faïences, tous les éléments de la vie quotidienne de nos aïeux sont là. L'originalité du MNATP était d'être un « musée laboratoire », avec mise en situation des objets exposés. Après plus de soixante-dix ans d'existence, c'est une coquille à l'abandon. Ses collections sont censées être progressivement transférées au musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée à Marseille (Mucem). Mais de musée, à Marseille, point pour le moment. Le chantier est au point mort et la construction du bâtiment annexe qui visait à abriter les réserves des collections est, paraît-il, annulée. Il faut dire que la note pour construire le Mucem est salée : 150 millions d'euros dont 100 millions à la charge de l'État. Cette somme, l'État, malgré ses promesses, ne l'a pas.

Revenons aux sources de cette petite saga culturelle. Michel Colardelle, ancien conseiller au cabinet de Jack Lang, et véritable auteur de Chevaliers de l'an mil, les habitants du lac de Paladru, la formation d'un terroir au XIe siècle (1993), nommé à la tête du MNATP en 1996, n'a eu de cesse de dire à quel point la situation de son musée n'était pas bonne. On ne pouvait pas y exposer l'ensemble des arts populaires européens, on ne pouvait y faire d'expositions temporaires d'envergure, etc. Bref, ce musée n'avait pas d'avenir avec ses quelque 70 000 visiteurs (surtout des écoles) par an. Ainsi, le directeur a-t-il eu l'idée lumineuse de « décentraliser » un musée national – ce serait une première. Cette proposition a été rabâchée pendant des années, gouvernement après gouvernement. Du beau travail de lobbying. Finalement, le directeur du MNATP s'est vu octroyer la direction du Mucem, qui doit être réalisé par l'architecte Rudy Ricciotti sur le site du Fort Saint-Jean à Marseille.

Y aura-t-il un Mucem ou n'y en aura-t-il pas ?

Ce musée, dont l'ouverture est prévue à l'horizon 2012 (après avoir été prévue pour 2008), synthétise, si on en croit le site internet du défunt MNATP, « à la fois le passage des cultures populaires françaises aux civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, des riches collections nationales aux collections internationales mais également des recherches initialement centrées sur l'ethnologie française, vers une approche transdisciplinaire, concernant les sociétés dans leur totalité, et dans l'épaisseur du temps. » Beau programme. Les collections du Mucem seront entre autres constituées à partir de celles de l'ancien MNATP. Le fait est que, en réalité, seulement 20% environ des collections du MNATP seront utilisées. Le reste ira dans de grandes boîtes, dans des réserves marseillaises dont la construction semble pour l'instant compromise… Alors, y aura-t-il un Mucem ou n'y en aurat- il pas ? Nul ne le sait. Le Premier ministre François Fillon a réaffirmé, pendant les élections municipales, la volonté du gouvernement de soutenir ce projet. Depuis, de nombreuses rumeurs d'abandon circulent. Le projet scientifique du musée doit notamment être revu. Bref, depuis 2005, le projet patauge alors qu'à l'autre bout du jardin d'acclimatation, sur le site de l'ancien bowling, se construit rapidement un gigantesque nuage de verre de 2 400 m2 : la Fondation Louis-Vuitton pour la création. Étrange, car on croyait que, selon les mots du directeur du MNATP, « rien n'est plus possible à cet endroit ». Qu'importe, les visiteurs du musée LVMH pourront passer devant les portes closes du MNATP pour aller admirer les Picasso de la Fondation Arnault et les quelque 100 agents encore en poste les regarder passer.

Et si la solution était non pas de délocaliser le MNATP mais de remettre la présentation de ses collections au goût du jour en faisant jouer les nouvelles technologies ? Et tout simplement pour Marseille de laisser cette belle ville trouver un mécène afin de satisfaire ses ambitions de capitale culturelle de l'Europe ? La note serait moins lourde pour l'État et la satisfaction peut-être plus grande pour le visiteur… À quelque 600 kilomètres de là, Bilbao n'a pas attendu Marseille pour avoir un grand musée privé. Un musée qui rayonne dans l'Europe entière.