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La recherche française : toujours plus de machins

Le constat est sévère, "la valorisation [1] de la recherche ne progresse pas en France depuis quinze ans". C'est ainsi que commence un document de travail conjoint aux ministères de l'Education Nationale et des Finances, dont le contenu a été rendu public par le journal Le Monde le 15 janvier 2007. Véritable camouflet à la pensée partagée par un grand nombre de syndicats de chercheurs et d'hommes politiques que c'est de moyens dont manque la recherche française, ce rapport est l'occasion d'analyser la dernière loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006.

Portée par François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche du gouvernement Villepin, cette loi était attendue par tous, dans un contexte de crise de la recherche française et de dégradation du rang de la France dans le Monde. Le libéralisme affiché du ministre pouvait nous faire espérer un changement profond, il n'en a rien été, la griffe étatiste marque la grande majorité des propositions. Tout d'abord, on pouvait s'y attendre, cette loi regorge des "machins" que Jacques Chirac avait promis. C'est ainsi que pas moins de 7 nouvelles structures administratives aux missions variables sont créées ou modifiées. On peut également regretter que les propositions de 2.000 créations d'emplois pour l'année 2007, prévues dans la loi de finances, suivent le ratio un administratif pour un chercheur supplémentaire.

Machin no 1. L'Agence nationale pour la Recherche (ANR)

Cette agence de moyens a pour mission de financer la recherche sous la forme d'appel à projets. A l'horizon 2010, aux côtés des fondations d'utilité publique de recherche (INCA, ARC, Fondation de France…), l'ANR devrait consacrer 1,5 milliard d'euros (sur 22,3 milliards de budget total dédié à la recherche, hors programme budgétaire "vie étudiante") au financement de projets. Avec cette agence, le gouvernement cherche enfin à doter la recherche publique française d'un fonctionnement déjà largement présent à l'étranger. C'est ainsi que 80% de la recherche publique américaine et 35% de la recherche européenne sont financés sur ce modèle. On peut donc saluer l'effort de lisibilité voulue par la création de cette agence, mais l'on peut toutefois regretter sa timidité et l'actuelle opacité qui entoure le mode de sélection des projets. En effet, dans le petit monde de la recherche française, où les équipes sont en concurrence pour obtenir des crédits limités, les querelles de personnes risquent quelquefois de l'emporter sur les critères d'excellence scientifique. Or, contrairement aux pays dont s'inspire cette agence, les porteurs de projets de recherche éprouvent de grandes difficultés à connaître les raisons d'un refus de financement de la part de l'Agence, puisque cette dernière n'a pas l'obligation de motiver ses avis, et les chaînes de responsabilités ne semblent pas clairement définies.

Outre le financement des projets de recherche, l'ANR a pour mission d'abonder le financement des projets bénéficiant du label Carnot (voir encadré) et de cofinancer le Concours national pour la création d'entreprises de technologies innovantes. Du fait de ses missions sans cesse croissantes, l'ANR se voit autoriser l'augmentation de ses effectifs, pour le moment modestes puisque le plafond en est fixé à 79 équivalents temps plein. Notons que la création de l'Agence a déjà généré des problèmes d'articulation et de doublons avec les autres acteurs administratifs dans le cadre de la gestion du Concours national d'aide à la création d'entreprises de technologies innovantes.

Machin no 2. Le Haut Conseil de la Science et de la Technologie (HCST)

Se superposant au Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, ce nouveau machin sera directement placé auprès du Président de la république. Véritable Conseil des sages, il devrait éclairer le Président sur les grands enjeux de la recherche. Le problème est qu'il existait déjà un Conseil supérieur de la recherche et de la technologie institué par la loi depuis 1982, chargé notamment d'éclairer le gouvernement sur toute question relevant de la politique de la recherche. L'articulation entre les deux conseils est encore assez floue, puisque les deux organes vont désormais coexister. Pourquoi créer un nouvel organe rattaché exclusivement auprès du président ? Les rapports publiques des différentes académies et Conseils sont-ils insuffisants au point qu'il faille encore créer un organe de consultation dont les avis risquent de finir sur quelques obscures étagères, comme les autres ?

Machins no 3 et 4. Les Réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA) et les Pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES)

Les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) semblent apporter également un peu de liberté puisqu'il s'agit de regroupements volontaires entre différents organismes de recherche, relativement proches géographiquement, qu'ils soient publics ou privés, CHU compris (nécessité d'un établissement public à caractère scientifique culturel et professionnel, comme les Universités ou la plupart des Grandes Ecoles). La structure juridique est laissée au choix des acteurs. Les réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA), quant à eux, consistent à fédérer différentes équipes de recherche autour de projets dits "d'excellence".

L'objectif de ces réseaux, bien accueillis par les chercheurs, est la mutualisation des moyens autour d'un projet commun. Dans chacun de ces deux nouveaux outils, l'Etat peut contribuer pour tout ou partie des financements.

Pour assurer la gouvernance de ces regroupements, une nouvelle structure de gouvernance est également créée : la fondation de coopération scientifique, personne morale de droit privé à but non lucratif sur le modèle des fondations reconnues d'utilité publique. Ce nouveau statut devrait apporter flexibilité de gouvernance (droit privé) et de financement (fondation). En effet, le statut de fondation permet d'inciter les donations grâce aux avantages fiscaux du mécénat. Pourtant, la création de ces fondations se heurtera aux mêmes difficultés administratives et techniques qu'auparavant. En fixant la limite inférieure de dotation initiale à 1 million d'euros (ndlr, 160 000 euros minimum pour les fondations sous égide de la fondation de France), le gouvernement à décidé d'exclure tous les projets de faible envergure.

Il apparaît très clairement, dans ces choix du gouvernement, la volonté de proposer et favoriser l'émergence de grands projets d'excellence, capables d'attirer des financements conséquents et de grande visibilité à l'international. L'initiative est louable, mais les choix opérés semblent souffrir des mêmes défauts que ceux rencontrés dans l'ensemble des réformes françaises : une superposition de nouvelles structures aux anciennes, ajoutant encore une couche de bureaucratie à une recherche française déjà sur-administrée.

Machin no 5. L'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES)

Cette agence aura le statut d'autorité administrative indépendante comme la Halde, l'AMF, la CNIL. Ce statut devrait lui conférer une certaine indépendance dans son mode de fonctionnement. Elle devrait regrouper en son sein les anciens organismes de contrôle et d'évaluation : le Comité national d'évaluation (CNE), chargé d'évaluer les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, le Comité National d'évaluation de la recherche (CNER), s'occupant de l'évaluation de la politique de recherche et la Mission scientifique technique et pédagogique (MSTP), dont les travaux d'évaluations concernent plus particulièrement les écoles doctorales. Elle cohabitera néanmoins avec le CNRS et le Conseil national des Universités, qui ont également des missions d'évaluation. Harmoniser l'évaluation des structures de recherche et réduire les organismes existants peut être une bonne idée.

Malheureusement, comme le laisserait penser un avis du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, les modalités d'évaluation et la composition de l'Agence et son fonctionnement risquent de renforcer un peu plus le poids de l'administration au détriment des chercheurs, dans la politique de recherche. Gageons que les dirigeants de la future Agence sauront écouter les avis des acteurs concernés.

Machin no 6. L'Académie des technologies

Cette institution va être modifiée de façon importante puisqu'elle va perdre son statut d'association pour prendre celui d'établissement public administratif. Dernière née des Académies françaises (2000), elle prendra désormais une place importante au sein du paysage de la recherche française. Elle devrait jouer un rôle de relais entre la société et la technologie et accompagner la réflexion et la prospective sur l'évolution des technologies au service de l'Homme ; à l'instar des académies de technologie existant depuis plus de trente ans au Etats-Unis (National Academy of engineering) ou en Grande-Bretagne (Royal Academy of engineering). Elle devrait gagner de nouvelles missions, comme participer à la réflexion indispensable sur les formations professionnelles ou celle d'évaluer les candidatures au label Carnot dispensé par l'ANR. On peut néanmoins reprocher à la loi d'avoir donné à l'Académie le statut d'administration, sous tutelle du ministère de la recherche. En effet, à l'étranger, les Académies ont des statuts plus souples (associations ou fondations), permettant une réelle indépendance dans la gouvernance et de faire appel au financement et donations privés.

Machin no7. L'Institut des Hautes études pour la Science et la Technologie

Né du désir de Jacques Chirac "Pour permettre une meilleure diffusion, dans la société, de la culture scientifique et technique", cet institut doit permettre la formation des décideurs publics et privés à l'évolution de la technologie. Adossé pour le moment au ministère de la recherche, il devrait être, à terme, doté du statut de EPCA (Etablissement Public à Caractère Administratif), lui conférant une certaine indépendance. Sa première année d'existence sera une phase expérimentale, mais il est d'ors et déjà destiné à durer. La première promotion des 40 premiers auditeurs comporte des décideurs de grosses entreprises, publiques ou non, des journalistes responsables de rubriques, des responsables syndicaux, des dirigeants de collectivités territoriales et des directeurs de structures publiques de recherche.

Les membres du Conseil d'orientation sont pour la plupart en poste dans des organismes publics, mais également dans la presse, l'enseignement ou le privé. Sensibiliser les hauts dirigeants à l'évolution de la technologie afin de comprendre et tenter de combler le fossé croissant entre la science et la société, semble louable. Mais pourquoi vouloir créer de toutes pièces un nouvel institut, gourmand en crédits publics (les frais d'inscription de 3000 euros, ne couvrent qu'un tiers environ du budget). Pourquoi ne pas avoir plutôt encouragé le développement de formations analogues dans les prestigieuses écoles et universités françaises à même de les dispenser ? De plus, on peut se demander si l'objectif d'impliquer la société civile n'est pas en partie manqué, puisque plus des deux tiers des membres du Conseil d'administration travaillent au sein d'administrations ou d'organismes publics.

Au bilan, cette loi s'inscrit dans une logique planificatrice et centralisatrice, ajoutant de nouvelles structures aux anciennes. On augmente ainsi les moyens (25% en 6 ans), mais ils seront distribués par des agences nationales selon des critères encore assez opaques, tout comme les évaluations ex-post des projets financés. Le projet se met en place progressivement, des ajustements vont donc être effectués et le système va s'améliorer. Néanmoins, on peut raisonnablement penser que bon nombre des décisions du pacte de la recherche portent la marque de Jacques Chirac et plus généralement de la Haute administration, sentiment renforcé par l'importance que prennent l'Agence pour l'Innovation Industrielle ou les pôles de Compétitivités. Avec François Goulard comme patron de la recherche, on pouvait espérer un peu plus de libertés et moins de complexité et de rigidités administratives. Le rendez-vous aura donc encore été manqué.

N'oublions pas le label Carnot

L'objectif est séduisant, puisqu'il vise à encourager la recherche privée en favorisant le partenariat des laboratoires publics avec des entreprises privées. 40 millions d'euros ont déjà été versés à 20 projets en 2006. A terme, une fédération Carnot regroupant les différents instituts devrait être créée. Cette mesure, comme les autres, est inspirée par les bonnes pratiques étrangères, notamment en Allemagne. Mais le budget alloué aux bénéficiaires du label français fait pâle figure en comparaison du système allemand, dont les instituts de recherche Fraunhofer bénéficient d'un abondement de 1 milliard d'euros.

[1] 1 Parmi les critères retenus par le rapport pour évaluer la valorisation, entendue au sens large du terme, on citera :
- la recherche en partenariat entre laboratoires publics et entreprises ;
- la valorisation de la propriété intellectuelle ;
- la création d'entreprises issues de laboratoires publics ;
- la mobilité des chercheurs entre les secteurs public et privé.