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La Cour des comptes tacle le statut des enseignants de 1950

Un rapport sans ménagement pour les enseignants et le ministère, et qui donne en exemple l'enseignement privé

Mercredi, la Cour des comptes a publié un rapport très critique sur la gestion des enseignants par l'Éducation nationale. Avec 837.000 enseignants dans l'enseignement public et privé, et une masse salariale de 49,9 milliards d'euros en 2011, la Cour des comptes conclut que « L'Éducation nationale ne souffre pas d'un manque de moyens ou d'un nombre trop faible d'enseignants, mais d'une utilisation défaillante des moyens existants. » La Cour remet notamment en cause le statut des enseignants du second degré, qui date de 1950, et, pour la première fois, donne en exemple l'enseignement privé.

Un rapport à charge contre le statut des enseignants du second degré

La Cour des comptes critique en particulier le statut des enseignants du second degré, statut défini en 1950 et qui n'a pas subi de modification fondamentale, contrairement au statut des professeurs des écoles, qui a fait l'objet de plusieurs réactualisations.

Ce statut définit les obligations des enseignants en se limitant au temps d'enseignement hebdomadaire : 15 heures pour les professeurs agrégés, et 18 heures pour les non-agrégés (notamment les professeurs certifiés), pendant 36 semaines dans l'année. Les agrégés bénéficiaient initialement de cette décharge horaire en raison de leur affectation au lycée, où les cours sont plus complexes à préparer (plus de recherches, évaluations plus longues) qu'au collège. Mais ce n'est plus le cas, comme le fait remarquer la Cour des comptes : « En pratique, au collège comme au lycée, agrégés et certifiés peuvent intervenir dans les mêmes classes en vue de la préparation des mêmes examens, alors que les seconds ont une obligation réglementaire de service supérieure de trois heures et un traitement inférieur de 25 %. » En réalité, les affectations des agrégés se font pour le confort des enseignants [1], et non en fonction des besoins des élèves.

Source : Cour des comptes, mai 2013, panorama du rapport thématique.

La Cour dénonce, comme nous, l'obsolescence de la plupart des décharges horaires statutaires : heure de « première chaire », ou encore l'heure « au titre de l'entretien des « cabinets de matériel historique et géographique », pour les enseignants d'histoire-géographie alors que ces cabinets ont pour la plupart disparu [2], rendus inutiles par le développement d'Internet. Un rapport de 2010 de la Cour [3] estimait que ces décharges de service, régulières ou irrégulières, représentaient « 369.633 heures hebdomadaires, soit l'équivalent d'environ 20.535 emplois » en 2009. Une tentative de réforme a eu lieu en 2007, avant d'être abandonnée quelques mois plus tard.

Enfin, la monovalence des enseignants (hors lycée professionnel) est remise en question. Contrairement à l'Allemagne, par exemple, les enseignants français ne doivent enseigner qu'une seule matière (hormis quelques certifiés qui peuvent être bivalents selon les disciplines). Cette hyper-spécialisation est coûteuse, puisqu'il faut organiser le recrutement des enseignants, par concours, dans 375 sections disciplinaires, alors même que « seules » 272 sont enseignées aux élèves. Mais la monovalence des enseignants gaspille aussi l'équivalent de plus de 2.500 temps pleins, entre les enseignants en surnombre, ceux qui ne peuvent être employés qu'à temps partiel, et surtout les problèmes de remplacement. Pire, la polyvalence des enseignants qui seraient volontaires est actuellement découragée, car non prévue par la loi, et le système de gestion ne pouvant les prendre en compte, les lauréats de deux CAPES ou agrégations sont sommés de choisir la matière qu'ils voudront désormais enseigner (p.48).

Pour la première fois, un comparatif public/privé pleinement assumé

Dès les premières pages, le rapport annonce une évolution majeure dans les rapports de la Cour sur l'éducation : « Pour la première fois, le secteur de l'enseignement privé sous contrat d'association avec l'État a été inclus dans ses investigations. » C'est la fin d'un long tabou sur la comparaison public/privé dans l'enseignement, tabou d'autant plus injustifié que l'enseignement privé, loin d'être marginal, scolarise près de 20% des élèves du premier et second degré.

En page 78 de son rapport, la Cour cite donc en exemple le système d'affectation des enseignants dans les établissements privés sous contrat, et relève notamment l'importance du chef d'établissement dans le processus, en plus d'une régulation locale et nationale. Plus loin (page 93), le rapport [4] indique que ce processus permet d'atténuer la forte mobilité des jeunes enseignants. En effet, dans le public, les enseignants ne choisissent pas leur première affectation, et sont souvent nommés d'office dans une autre académie que celle qu'ils ont demandée. C'est pourquoi certains enseignants préfèrent postuler dans le privé, où ils peuvent choisir, en accord avec la direction, leur premier établissement d'affectation. Le système du privé évite le phénomène de « fuite » rapide des jeunes enseignants du public, pressés de quitter un établissement qu'ils n'ont pas choisi, souvent défavorisé et loin de leur domicile familial.

Sur l'organisation des équipes pédagogiques, la Cour note le succès des « responsables de niveau » dans le privé, fonction qui n'existe pas dans le public, et qui est prise en charge financièrement par les établissements privés (p. 123). Dans ses recommandations, elle propose d'ailleurs d'importer ce système dans le public, en contrepartie de décharges horaires.

Enfin, le rapport montre de nettes disparités de rémunération nette entre les enseignants du public et du privé, en particulier pour les traitements les plus faibles : -17,6% pour le privé (p.172). La raison : des cotisations sociales plus élevées que dans le public, mais aussi le fait que les enseignants en sous-service sont payés comme s'ils effectuaient un temps plein dans le public, et seulement au prorata des heures effectuées dans le privé. Une source potentielle d'économies, non négligeable, dans le secteur public, et qui justifie notre évaluation de 2010, dans laquelle nous démontrions que la scolarité d'un élève du privé coûtait en moyenne 2.000 euros de moins que dans le public, en partie à cause de la masse salariale.

Les recommandations de la Cour, très loin de la politique menée par le ministre Peillon

Loin d'encourager la création de 60.000 postes à l'Éducation nationale, promesse électorale de François Hollande, la Cour des comptes conclut son rapport en recommandant une meilleure gestion des ressources humaines. La création de ces postes fait l'objet d'un désaveu cinglant : « La question du nombre d'enseignants et de son niveau optimal est mal appréhendée par le ministère ». Pour la Cour, Vincent Peillon devrait plutôt se préoccuper d'une gestion de proximité, au niveau académique et non plus national, en mettant en place un outil permettant d'évaluer les besoins réels des élèves.

La Cour est très prudente sur la politique de rémunération des enseignants. Elle ne propose pas de créer une prime de plus, comme le demandent les enseignants, en particulier dans le premier degré, et qu'a déjà acceptée le ministre Peillon (sans toutefois en donner le montant, en cours de négociations). La Cour encourage au contraire une réforme des indemnités et primes, qui seraient davantage liées aux conditions de travail (postes à difficultés, ou dans des établissements moins attractifs). Surtout, elle recommande une réforme à coût constant, dans laquelle les nouvelles indemnités seraient gagées sur les « économies procurées par la rationalisation de l'offre de formation et par une meilleure gestion des effectifs enseignants. » Cette proposition est trop timide : sans objectif financier à économiser, cette recommandation pourrait donner lieu à la simple création d'une indemnité de plus, et au recrutement coûteux de nouveaux responsables locaux des ressources humaines, sans réforme de fond sur la gestion des enseignants.

La Cour recommande enfin une réforme majeure du statut des enseignants, et reprend un certain nombre des propositions de réformes de la Fondation iFRAP : annualisation du temps de travail des enseignants, plus d'autonomie pour les chefs d'établissements dans le recrutement et la gestion des enseignants, bivalence ou polyvalence des enseignants, sur le modèle allemand. Elle veut aussi redéfinir les affectations des enseignants : pas d'agrégé au collège, car leurs compétences et leur coût seront plus efficients au lycée, et plus de souplesse dans l'affectation des certifiés et des professeurs des écoles, qui pourraient être nommés aussi bien en fin de primaire qu'au début du collège. Des recommandations qui pourraient être suivies dès la rentrée scolaire 2013, date à laquelle le ministre Peillon veut lancer une grande réforme sur le statut des enseignants. Avec ce rapport, la Cour des comptes semble proche de défendre l'idée d'une certaine autonomie des établissements scolaires et d'un forfait par élève qui financerait de manière égale la scolarité des élèves, qu'ils soient scolarisés dans le public ou dans le privé. Encore un petit effort et on y est.

[1] Ainsi, dans un établissement favorisé des Yvelines, une professeure agrégée avait demandé la charge de trois classes de 4e, 14 heures par semaine, afin d'avoir moins de cours à préparer (un seul niveau), moins de copies à corriger, pas de stress de préparation à un examen, et pour un salaire bien supérieur à celui d'une jeune enseignante, en charge, 21 heures par semaine, de 4 niveaux différents, dont la 3e et la terminale. Une situation « inéquitable pour les enseignants » et loin d'être anecdotique, que dénonce la Cour, à la page 80 de son rapport.

[2] À quelques exceptions près, comme au lycée Albert Einstein dans l'Académie de Versailles, ce qui permet de voir à quoi ressemble un de ces cabinets : http://www.lyc-einstein-ste-genevie… .

[3] Cour des comptes, « L'Éducation nationale face à l'objectif de la réussite de tous les élèves », mai 2010.

[4] « L'enseignement privé sous contrat connaît, lui aussi, une attractivité différenciée entre académies, mais de manière atténuée. En effet, les modalités de recrutement conduisent à ce que les candidats choisissent, sous réserve de l'accord de la direction, l'établissement qu'ils sont prêts à accepter, dès leur première affectation. Lors de l'enquête, cette particularité a été citée à la Cour par de nombreux enseignants comme une des motivations importantes du choix de l'enseignement privé par rapport à l'enseignement public. »