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Education : ce qui a été fait et ce qu'il reste à faire

Cette première semaine de septembre marque la rentrée scolaire pour plus de 12 millions d’élèves et plus de 1 million de personnels de l’Education nationale. La première année du quinquennat d’Emmanuel Macron aura été, sur le thème de l’Education nationale, surtout occupée à corriger les mesures de l’ancienne majorité : notamment le tirage au sort à l’entrée de l’université (une mesure passée en catimini pendant… l’entre deux tours de l’élection présidentielle !), la tortueuse question des rythmes scolaires, la réforme du collège et la quasi disparition des classes de langues anciennes et des classes européennes, etc.

Conséquence, Jean-Michel Blanquer commence seulement à présenter sa vision pour réformer le système éducatif. Et si, de bonnes réformes sont envisagées, elles apparaissent toujours pour un calendrier lointain. 

Des réformes de secours

C’est comme une tradition française, chaque début de mandat consiste à modifier les mesures prises par l’ancienne majorité. Jean-Michel Blanquer, nouveau ministre de l’Education nationale, n’y a pas échappé. Dès son arrivée au poste de ministère, il a dû engager :

  • La modification de la réforme du collège : En 2017, le gouvernement a permis aux établissements qui le souhaitaient de réinstaurer certaines options et classes limitées par la réforme de la précédente majorité (latin, grec, classes bilangues, sections européennes, etc) ;
  • L’autorisation (à nouveau) des redoublements, qui avait été supprimée en 2014 ;
  • Le retour en arrière sur la réforme des rythmes scolaires en primaire :  le gouvernement a ainsi donné la possibilité aux communes d’abandonner cette réforme. Le retour à la semaine de 4 jours a été majoritairement suivi par les communes (80% d’entre elles, ce qui représente 85% des élèves).

Pour compléter ce retour en arrière, en juin 2018, le gouvernement a présenté un « Plan mercredi », soit un « dispositif d’appui de l’Etat aux communes » volontaires afin de proposer aux enfants des activités périscolaires.  

Retenons de ces corrections, le choix du gouvernement d’avoir laissé les communes choisir le rythme scolaire des écoles primaires de leur territoire marque néanmoins la volonté du ministère de donner plus de manœuvres aux acteurs locaux. Une volonté que l’on retrouvait déjà dans les promesses de campagne d’Emmanuel Macron et dans les ouvrages personnels de l’actuel ministre. Décentraliser le système éducatif, le rationaliser vers les établissements scolaires, notamment en termes de recrutement, de management des équipes et d’utilisation des moyens, est une nécessité. Que le président et le ministre se soient positionnés en faveur d’un tel mouvement est une bonne chose… mais en termes d’actions, tout reste à faire.

Des réformes à la marge

Tout au long des années 2017 et 2018, de nombreuses petites mesures ont été mises en place ou programmées.

  • La réduction du nombre d’élèves par classe en CP en REP+ : 12 élèves maximum. Cette mesure est désormais étendue au CP des REP et aux CE1 dans les établissements en REP+ ;
  • La mise en place d’évaluations nationales sur la maîtrise des élèves du français et des mathématiques en CP et en 6ème. Cette mesure est désormais étendue au CE1 et aux 2nde avec un « test de positionnement » ;
  • Le développement de stages de soutien d’une semaine avant l’entrée en 6ème pour les élèves en difficulté en français et en mathématiques. En priorité, ces stages se développent dans les établissements en REP et sont assurés par des enseignants volontaires rémunérés en heures supplémentaires ;
  • La mise en place d’un programme de « devoirs faits » pour 20% des collégiens. Pour cela, des enseignants volontaires sont mobilisés sur des heures supplémentaires, ainsi que des assistants d’éducation, des volontaires du service civique, des associations, des retraités ou des étudiants. Cette mesure est progressivement étendue en 2018, 2019 et 2020 pour tous les élèves des collèges et des écoles primaires ;
  • Une réforme du bac est planifiée pour la session de 2021 (donc pour les élèves qui entrent aujourd’hui en 2de). L’examen consistera en 4 épreuves écrites (contre 12 aujourd’hui, ne restera que le français en 1ère, 2 épreuves de spécialités au printemps de la terminale et une épreuve de philosophie en juin) et un grand oral de 20 minutes. Ces nouvelles épreuves compteront pour 60% de la note du bac, 30% proviendront de la mise en place de « partiels » semestriels tout au long de la 1ère et de la terminale, et les 10% restants d’un contrôle continu ;
  • La réforme du bac s’est accompagnée d’une réforme des filières S, L et ES qui disparaissent pour être remplacées par un tronc commun (16 heures d’enseignement par semaine) et 3 spécialités (12 heures d’enseignement par semaine). 54 heures devront aussi être accordées à de l’information sur l’orientation post-bac ;
  • Pour la rentrée 2018, l’interdiction des téléphones portables, des tablettes, des montres connectées dans l’enceinte des écoles et des collèges. Leur confiscation par les enseignants est autorisée et c’est aux établissements de choisir les modalités de l’interdiction ;
  • Pour la rentrée 2019, l’école sera obligatoire dès 3 ans (et non plus 6 ans) : cette mesure surtout symbolique (97,6% des enfants de 3 ans sont déjà scolarisés) devrait nécessiter le recrutement de 800 postes ;
  • La mise en place d’une prime de 1.000 euros pour des enseignants en REP+. Cette prime aura vocation à progresser les prochaines années. Pendant la campagne, Emmanuel Macron avait parlé d’une prime de 3.000 euros.

On constate que la quasi-totalité de ces mesures ne touchent qu’à la marge au système éducatif. Retenons cependant sur le dernier point, qu’une part de cette prime devrait être variable selon « les bons résultats des équipes pédagogiques ». Une annonce dont les modalités d’exécution restent floues mais qui risquent de provoquer un raz de marée chez les enseignants et leurs syndicats car à terme, le ministère n’exclut pas que cette part variable soit généralisée. Encore une fois, avec cette annonce, le ministère va dans le bon sens car une telle généralisation permettra de lier rémunération et performance et donc de valoriser les bons enseignants… ce qui est aujourd’hui impossible à cause du « rythme unique d’avancement » (sur les grilles salariales et les échelons) qui imposent une égalité de traitement.

Problème : hormis les déclarations du ministre, aucun calendrier ou réforme concrète n’est, pour l’instant, en vue.

Des réformes de fond… pour plus tard 

En termes d’idées, Jean-Michel Blanquer est favorable à beaucoup de réformes ambitieuses, comme celle sur la rémunération des enseignants. Il a aussi annoncé vouloir développer :

  • Le recrutement ciblé des enseignants par les chefs d’établissement. Aujourd’hui, la mobilité et le recrutement sont contrôlés par le rectorat sans que les établissements aient leur mot à dire. Le ministère voudrait, qu’à terme (mais à quelle échéance ?) jusqu’à 10% du corps enseignant correspondent à des postes à profil recrutés par des ressources humaines « de proximité », c’est-à-dire issus des établissements eux-mêmes.

Une telle politique avait déjà été expérimentée en 2011… avant d’être abandonnée en 2012. Encore une fois le calendrier et les modalités d’application n’ont pas été présentés. Aujourd’hui, les « postes à profil » existent déjà… mais sont recrutés par les rectorats. Ouvrir le recrutement et le management des équipes pédagogiques aux chefs d’établissement est pourtant l’une des mesures qui auraient le plus d’impact sur le système actuel et sur la vie quotidienne des établissements qui, en moyenne, supportent un taux d’absentéisme des enseignants de 17 jours par an et ce, alors que les académies ont pour ordre de ne pas remplacer les absences de moins de 15 jours.

  • La création d’une instance nationale d’évaluation des établissements avec des expérimentations dès le premier semestre 2019.

Il s’agit d’une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Encore une fois, les contours de cette réforme sont à dévoiler et il n’est pas assuré que les résultats des établissements soient publiés, les syndicats de l’Education étant absolument contre cette mesure qu’ils assimilent à la mise en concurrence. La publication des données et de la performance des établissements scolaires est pourtant un élément essentiel pour espérer réformer un jour le système, et qui permettrait de mettre en lumière l’inégalité de traitement sur le territoire. Ainsi, dans le premier degré, la dépense par élève varie de 2.861 euros dans l’académie de Créteil à 3.134 euros dans l’académie de Paris.

  • Une « régionalisation » des rectorats… mais seulement dans les contours. Jean-Michel Blanquer a annoncé souhaiter réduire le nombre de rectorats de 17 à 13 (pour qu’un rectorat corresponde à une région) et réduire le nombre d’académies (30 académies et 97 services départementaux de l'Éducation nationale) afin d’éviter leurs métropolisations. Chaque rectorat a jusqu’à la fin de l’année pour transmettre ses préférences au ministère, qui devrait prendre une décision courant 2019.

Sur ce point, il faut déplorer une fausse décentralisation puisque le ministre veut seulement réorganiser des services déconcentrés de l’Etat sans procéder à un transfert de compétences, les collectivités territoriales resteraient alors dans un rôle uniquement de financeurs de l’Education nationale.

Ainsi, si de bonnes pistes sont régulièrement évoquées, quand on cherche à approfondir le sujet, on constate que, de un, leurs exécutions sont lointaines et souvent sujettes à caution et que, de deux, elles sont drastiquement en dessous des promesses de campagne ou des réformes structurelles dont le système a réellement besoin. On est loin des propositions de campagne où l’actuelle majorité parlait plus facilement de donner plus d’autonomie aux équipes éducatives, de les suivre et de les évaluer plus régulièrement, de refonder la carte scolaire, d’augmenter le nombre d’heures d’enseignement, de réformer la formation des enseignants dans cette optique ou de donner plus d’autonomie aux établissements scolaires.

Sur l’autonomie des établissements scolaires, le gouvernement semble même faire machine arrière puisqu’il vient de durcir la possibilité de créer de nouvelles écoles hors contrat, notamment en imposant que les directeurs de ces écoles aient effectué 5 ans d’enseignement. Or, ces écoles pouvaient être ouvertes par des associations ou des parents d’élèves.

Passer des paroles aux actes

L’Education nationale se trouve aujourd’hui dans une situation nouvelle où, pour la première fois depuis longtemps, l’exécutif se montre ouvertement favorable à des réformes ambitieuses, à plus de décentralisation, à une réforme du corps enseignant et de la place des établissements scolaires, voire à celle des rectorats. Mais entre les paroles et les mesures mises en place ou annoncées, l’écart est grand. Encore une fois, ce sont les rythmes scolaires qui sont modifiés, les programmes et les classes qui sont réorganisés, des programmes d’aide aux devoirs qui sont mis en place et des primes qui sont proposées aux enseignants. 

S’il faut saluer le changement de discours du ministère, il est plus que temps de stopper le recours aux réformettes et de lancer les réformes structurelles dont nous avons besoin. S’il veut prouver que sa bonne volonté dépasse le stade des promesses, le ministre de l’Education nationale peut prendre des mesures simples et efficaces dans un premier temps. Telles que :

  • Une première mesure, très simple, à prendre est d’autoriser la bivalence des enseignants qui, s’ils sont capables d’enseigner plusieurs matières, doivent pouvoir le faire (aujourd’hui en France, un enseignant capable d’enseigner deux matières est obligé de n’en choisir qu’une à la titularisation) ;
  • Autre mesure de bon sens, il ne faut pas autoriser que les temps de formation continue se superposent aux temps d’enseignement, comme cela se pratique aujourd’hui ;
  • Ou encore, il faudrait annualiser le nombre d’heures d’enseignement obligatoire des enseignants et remonter ce temps à 750 heures pour les enseignants du second degré (moyenne de l’Union européenne contre 648 heures actuellement en France).

Des expérimentations peuvent aussi être lancées comme :

  • Proposer à des établissements volontaires d’être autonomes et financés par un forfait par élève et par an. Ce forfait serait versé en fonction du nombre d’élèves et des formations. Ces établissements seraient libres de gérer leurs bâtiments, leur budget et le recrutement de leurs personnels à qui ils seront chargés de verser les salaires (enseignants ou non) tout en s’engageant à suivre le programme et la pédagogie de l’Éducation nationale ;
  • Autoriser le passage en délégation de gestion des établissements scolaires publics, pour les communes qui en feraient le choix ;
  • Faciliter le financement d’écoles hors contrat avec une incitation fiscale (crédit d’impôt de 50%) comme pour le soutien. L’avantage fiscal consenti aux parents d’élèves du privé hors contrat prendrait la forme d’une réduction d’impôt mais seulement pour les institutions accréditées. Ces établissements seraient : « Libres des moyens, mais comptables des résultats. »

Des telles mesures créeraient un véritable appel d’air dans le système éducatif et donneraient la motivation et l’élan pour lancer une vaste réforme structurelle qui oserait s’attaquer aux statuts des enseignants et à la répartition des compétences.

Rappel des proposition de la Fondation iFRAP

Passer à des recrutements sous contrat

Recruter le corps enseignant sous contrat de droit privé : tous les nouveaux enseignants pourraient être recrutés sous un contrat (CDD ou CDI) de droit privé, signé entre l’établissement scolaire et l’intéressé avec l’accord de la collectivité qui dote financièrement l’établissement. Pour cela, il faudra, en plus, réformer les cursus universitaires et les formations afin qu’ils ne visent plus l’obtention du concours mais la gestion d’une salle de classe et la pédagogie. Une fois le diplôme validé, les futurs enseignants pourront postuler eux-mêmes auprès des établissements et passer par des entretiens d’embauche avec les directeurs d’établissement.

Charger le stock d’agrégé de la formation et du soutien des nouveaux enseignants en complément de leur service obligatoire actuel de 15 heures par semaine. Plus de responsabilité au sein de l’établissement, cela doit être la justification des meilleures rémunérations des agrégés et non pas, simplement, la validation d’un concours de connaissance.

Prendre en compte la performance des enseignants

Donner la compétence d’évaluation des équipes enseignantes aux directeurs d’établissement. L’évaluation par le chef d’établissement pourrait s’appuyer sur plusieurs critères parmi lesquels : 

  • L’assiduité des enseignants (absentéisme, remplacement de collègue, tâches administratives, rencontre avec les parents, heure de soutien, etc.) ;
  • L’engagement dans le projet éducatif et pédagogique de l’établissement ;
  • L’organisation d’activités extra-scolaires ;
  • Les résultats des élèves dans l’établissement ;
  • L’organisation d’évaluations nationales dans chaque matière en début et en fin d’année scolaire afin d’observer la progression de chaque élève au cours de l’année scolaire.

Donner aux inspecteurs le rôle de médiateur en cas de conflit entre un enseignant et son chef d’établissement.

Lier rémunération et performance : la fin du système de rémunération à l’ancienneté pour la mise en place d’un salaire de base annuel commun à tous les enseignants et de primes individuelles modulables, doit permettre de mieux rémunérer les bons enseignants. Le montant total des primes représentera 0 à 30% du salaire annuel et elles seront versées par le chef d’établissement après évaluation. Il disposera, pour cela, d’une enveloppe globale inextensible permettant de limiter les évaluations complaisantes.

Lancer le financement par forfait pour les établissements publics

Supprimer la règle du 80/20 des accords Lang-Couplet qui plafonnent actuellement les moyens du privé sous contrat à 20% du budget global de l’action éducatrice de l’État.

Une politique éducative décidée au niveau local

Supprimer les rectorats et les académies : décentraliser (réellement) la politique éducative aux régions et donner plus d’autonomie au niveau local (communes et établissements) alors que l’État conservera les missions de formation des enseignants, d’élaboration des programmes et de publication des données.

Créer des agences régionales d’éducation et donner la gestion de tous les établissements des premier et second degrés publics aux communes :

  • Supprimer et fusionner les 127 structures académiques dans l’administration régionale qui deviendrait l’autorité compétente de l’Éducation nationale. Avec la formation professionnelle, l’alternance, en lien avec l’État et les entreprises, chaque région serait responsable de construire sa politique éducative dans la perspective de promouvoir une gestion et des dépenses plus saines sur leur territoire ainsi que des cursus stimulants et aboutissant à l’emploi pour les jeunes de la région.
  • Ces agences régionales seraient donc chargées de financer leur politique éducative et de subventionner les communes, chargées de la gestion de tous les établissements scolaires du premier et du second degré de leur zone.
  • Au niveau des établissements, cela donnerait plus d’autonomie aux établissements publics et à leurs directeurs, en limitant les échanges à un interlocuteur unique, la commune et en leur donnant le rôle d’employeur sur tout le personnel.
  • Concernant la fusion des rectorats dans l’administration régionale, on peut imaginer un temps de transition où les rectorats régionalisés continueraient d’administrer les carrières des enseignants titulaires jusqu’à ce que la fin du statut des nouveaux entrants assèche le stock de titulaires.