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Cinéma français : La grande illusion

Record pour le cinéma hexagonal. Depuis au moins cinq années, plus de deux cents films sont produits annuellement. Tous les ans la preuve nous est apportée avec tant de conviction qu'on ne peut qu'être fier de cette exception nationale et vanter notre système. Pourtant force est de constater que le système français est vicié. Peu de films font recette.
Etat des lieux à l'occasion du festival de Cannes.

"Le cinéma français va bien”, nous disent certains médias. En 2006, 203 films ont été produits en France. La plupart de ces films sont d'initiative française (164) et les sommes totales investies représentent 1,15 milliard d'euros. Le rythme de croisière de la production française est aujourd'hui de 210 films l'année. On peut en être fier car la France est ainsi le premier producteur européen de films et le troisième mondial, derrière les Etats-Unis et l'Inde. Globalement les films sont attractifs pour un public qui est toujours de plus en plus important. En 2006, les salles de cinéma ont attiré près de 188 millions de personnes. Et en mars 2007 les entrées dans les salles se sont élevées à 18 millions, soit près de 20% de plus qu'en mars 2006.

Si on détaille le box office, la fierté cinématographique française est néanmoins à nuancer. Car sur les 45 films qui ont fait plus d'un million d'entrées en 2005 seuls 9 sont français (15 avec les co-productions). Les films français occupent une large place sur les écrans mais ne sont que très peu représentés dans le haut du box office hexagonal. Une bipolarisation s'est créée, de fait, avec une autre partie de la production française qui ne trouve pas son public. Près des trois quarts des films produits en France font moins de 100 000 entrées et 66 films ont des budgets de moins de deux millions d'euros. En général, ces films ne trouvent pas leur public et ne sont montés que grâce aux différentes aides au cinéma. En France, la production de films a été encouragée sous le prétexte que seuls les films d'auteurs pouvaient faire de bons films. Aujourd'hui la production est arrivée au bout de ses capacités, elle est même excédentaire en volume. La plupart des films sont sûrement créatifs mais sans aucune chance de succès. Car, comme plusieurs sondages l'ont montré, ces films dits "d'auteurs" sont jugés par une grande partie de la population comme ennuyeux et trop élitistes.

Une industrie de profiteurs

Lors du point de presse donné par Véronique Cayla, la directrice du CNC (Centre national de la cinématographie), en mars dernier, celle-ci affirmait à propos du nombre de films français produits annuellement : « Aller au-delà serait sans doute dangereux pour assurer à l'ensemble de la production une exposition en salle. » Pour autant la France semble être l'un des seuls pays où il est possible de produire des films qui ne rapportent presque rien. Pour prendre une image frappante, c'est comme si une société produisait des produits pour mettre les 3/4 à la poubelle, presque après la production. Bizarre comme logique. L'exception culturelle est importante pour le pluralisme créatif, certes, mais quand la plupart des films ne font pas recette et sont vite oubliés et même pas reconnus par la critique, force est de constater qu'un problème existe dans l'audiovisuel français. Il y a un problème de financement et de recette."Descendre en dessous, à volume d'investissement constant, permettrait d'améliorer le financement des films produits, mais au prix d'une perte de diversité et de pluralisme" précisait la directrice du CNC à l'occasion de la conférence de presse.

Si on peut se féliciter de ce travers français offrant une large gamme de films, il faut aussi analyser de près les effets pervers. Et il y en a. Il y a quelques années Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la Culture, estimait que les financements effectués par l'Etat avaient "incontestablement entraîné une inflation des coûts". Résultat logique d'une forte demande de techniciens et autres collaborateurs de l'industrie cinématographique. Ce constat était à la base d'un rapport de l'Observatoire de la production audiovisuelle et cinématographique en Ile de France, qui affirmait que la production massive française avait permis la création d'emplois. A cela s'ajoutent des entreprises productrices qui augmentent toujours à un rythme soutenu ; conséquence : les périodes d'emplois sont plus courtes et les niveaux de salaires moins élevés. Résultat : Grèves et revendications salariales toujours plus nombreuses dans le cadre de la convention collective du cinéma, et délocalisations pour trouver une main-d'œuvre moins chère qui rattrape le savoir-faire français qui faisait avant la différence.

L'argent se gagne avant de commercialiser les films

Si de nombreuses sociétés de production se sont créées ces dernières années, c'est grâce à un système d'aides toujours plus favorable à leur foisonnement. Beaucoup de sociétés ne vivent que grâce aux différentes aides françaises et surfent sur ce complexe système franco-français.

Pascal Menigeau, journaliste, publie un livre dans lequel il dénonce les dérives de notre système. "Cinéma : Autopsie d'un meurtre" veut expliquer comment le cinéma à succombé aux sirènes de la télévision et qu'il ne produit aujourd'hui que des films de qualité médiocre, voire de mauvaise qualité. Si ce constat est subjectif, l'auteur critique un système ubuesque. "Le cinéma français fabrique des frusques qui pour la plupart ne servent à rien. Ils permettent aux industries de tourner et au système de fonctionner" et Ménigeau de préciser que sur les films français, "20 réalisent 90% des entrées. Et 90% des films se partagent 10% des entrées". Les circuits de l'audiovisuel doivent être alimentés pour fonctionner car si le cinéma devient petit à petit une industrie à part, le système est pour le moins atypique c'est, selon l'auteur, "la seule entreprise dans l'histoire du monde où l'argent se gagne en amont, sur la fabrication du produit, et non plus sur sa commercialisation". Pour produire les 164 films agréés en 2006, 142 sociétés de production différentes sont intervenues dans les processus. Et dans le détail, 23 sociétés ont produit 2 films et 109 sociétés ont produit un seul film en 2006.

Car aujourd'hui l'Etat français a tellement fait pour soutenir cette industrie que "l'argent des chaînes et celui dispensé par l'Etat à travers un système d'aides parfaitement au point, servent aux producteurs qui n'ont jamais été plus nombreux à faire tourner leurs boîtes". Cruel système qui oblige certains producteurs à lancer de nouveaux projets cinématographiques pour pouvoir continuer à toucher de l'argent de la part des différents organismes.

Ces organismes, sans cesse plus nombreux, constituent une des formes de soutien des pouvoirs publics à l'industrie cinématographique et audiovisuelle les plus répandues et les plus importantes. L'Observatoire européen de l'audiovisuel, recense 169 organismes de soutien, offrant près de 600 programmes d'intervention. La plupart des Etats européens, mais aussi les communautés territoriales, les régions, certaines municipalités, ainsi que les institutions européennes et autres organisations ont des systèmes d'aides directes. Et surprise, la France est de loin le pays où les aides sont les plus importantes. A elle seule, la France totalise près de 40% du total des aides disponibles en Europe. Avec quels résultats ?

Voir aussi le Dossier de l'iFRAP N°79 : "Les aides françaises au cinéma"