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Billet d'humeur | Education | La suppression du décrochage, une nouvelle opération de diversion

La ministre de l'Éducation nationale, Mme Vallaud-Belkacem a rendu public la semaine dernière un « plan de lutte contre le décrochage », présenté comme un effort sans précédent pour réduire l'échec scolaire. Organisé selon trois axes, le plan prévoit notamment au titre de l'axe 1 (« mobilisation »), l'instauration d'une « semaine de la persévérance », la désignation dans chaque établissement d'un « référent décrochage », la formation des Conseillers d'orientation psychologues, des professeurs principaux, et la formation des enseignants à « l'implication des parents ».

Au titre de l'axe 2, consacré aux mesures opérationnelles, on trouve pèle –mêle : la formation initiale et continue des enseignants (en ligne…) aux problématiques du décrochage, l'utilisation du numérique par les décrocheurs eux-mêmes, le « développement de la bienveillance », la modernisation du suivi des absences (y compris dans le 1er degré ! ), une « alliance éducative » réunissant les enseignants, les collectivités, les parents, les associations, etc. la création de « passerelles » entre les cycles et entre les niveaux d'enseignement et enfin… un projet d'allongement de la scolarité obligatoire à 18 ans !

L'axe 3, consacré à la gouvernance prévoit la création d'un « comité interministériel de lutte contre le décrochage », celle de « comités opérationnels » régionaux et une enveloppe de 50 millions d'euros annuels jusqu'à la fin du quinquennat.

La prétention de ce plan et du « plan comm. » qui en fait la promotion est – à l'instar de ce qui s'était déjà produit pour la « refondation » de Vincent PEILLON - inversement proportionnelle à sa portée et à ses effets sur les réalités. En fait, sa vacuité saute aux yeux :

Comme à son habitude, ce Gouvernement crée de la complexité pour gérer la complexité : comment apprécier autrement le caractère résolument innovant de la création d'un nouveau comité interministériel, relayé par des comités régionaux et par des « référents établissement » ? Alors même qu'existent depuis 2011 des plates-formes régionales de lutte contre le décrochage…

Les mesures « opérationnelles » du plan sont pour la plupart d'entre elles un simple recyclage de mesures qui existent depuis très longtemps. Elles prétendent même mobiliser des professionnels dont le métier consiste de tout temps statutairement à lutter contre le décrochage : les professeurs (tout bonnement !) et les professeurs principaux, qui touchent d'ailleurs à ce titre des indemnités de « suivi et d'orientation » et… les conseillers d'orientation psychologues dont c'est tout simplement le cœur de métier. Quant à la formation initiale et continue… en ligne, elle fait s'esclaffer tristement tous ceux qui savent dans quel état se trouve la formation continue et avec quel sérieux les formations en ligne sont suivies par l'administration actuelle. Quant à la « semaine de la persévérance », à la « bienveillance », à « l'alliance contre le décrochage », chacun sait – y compris leurs cyniques promoteurs – qu'elles auront autant d'impact sur les élèves décrocheurs que la journée mondiale de la gentillesse sur les serveurs de café parisiens ! Les auteurs de ce plan ont d'ailleurs tellement « fait feu de tout bois » pour concevoir cette opération, qu'ils ne se sont pas aperçu que les systèmes de signalement de l'absentéisme dans le 1er degré sont rodés depuis Jules FERRY et surtout que le décrochage ne concerne en aucun cas les écoliers.

Ce sont évidemment les collégiens âgés de plus de 15 ans et les lycéens âgés de plus de 16 ans qui décrochent… D'où sans doute l'idée folle de proposer un allongement légal de la scolarité obligatoire jusqu'à 18 ans. Ah, cette croyance quasi mystique en la réglementation pour changer le réel : le décrochage est un phénomène de masse qui trouve sa source dans les innombrables dysfonctionnements du système éducatif. Eh bien pour y remédier, on entend obliger les élèves à rester deux années supplémentaires dans ce même système éducatif… Ubu est toujours Roi ! On serait d'ailleurs tenté de rappeler à ces Diafoirus qu'ils ont, dès 2012, abrogé la Loi CIOTI qui sanctionnait le non-respect de l'obligation scolaire et que par conséquent son allongement serait parfaitement dépourvu d'effet, mais ce serait pure polémique, bien sûr.

Mais ce plan est à la fois marqué aux sceaux de l'incompétence, et de l'aveuglement idéologique :

Car les médias n'ont pas manqué de mettre ce plan en rapport avec le décret du 13/11/2014 réduisant drastiquement le redoublement, paru au Journal officiel. Chacun sait que le redoublement n'est pas la panacée du suivi pédagogique des élèves, mais il fonctionne dans notre pays comme un indice, comme un symptôme des difficultés des élèves concernés et plus globalement comme un indicateur des difficultés du système à faire réussir les élèves. Le supprimer – ou quasiment - revient une fois encore à casser le thermomètre. Vincent PEILLON avait supprimé d'un trait de plume les évaluations nationales CE1, CM2, Mme VALLAUD-BELKASEM achève en quelque sorte le travail. Ainsi plus personne ne saura exactement ce qui dysfonctionne dans le système éducatif. Il suffira d'affirmer qu'en créant 60.000 emplois, on a « refondé » le système…

Que faut-il faire pour réduire le décrochage et améliorer l'efficacité du système éducatif français ?

  • Réorganiser les curricula : une maternelle de 2 à 5 ans, une école fondamentale de 5 à 16 ans, un niveau d'orientation et d'accès aux qualifications de bac -3 à bac + 3.
  • Repenser dans ce cadre et complètement les métiers de l'enseignement, globaliser, annualiser les services des professeurs.
  • Repenser la gouvernance du système éducatif : décentraliser le système aux régions, donner de larges responsabilités aux établissements y compris en matière de GRH, créer des agences régionales d'éducation autonomes et responsables de leurs résultats.
  • Faire de l'apprentissage une voie d'excellence systématiquement proposée aux élèves de la troisième à la terminale.
  • Faire du suivi individualisé des élèves une modalité obligatoire de l'action éducative et évaluer les personnels enseignants, de la vie scolaire et de direction en fonction des résultats obtenus.

Ces propositions sont sur la table depuis longtemps (rapport POCHARD sur la fonction enseignante, rapport de la Cour des comptes, rapports des inspections générales, propositions de l'IFRAP, de l'Institut Montaigne, etc.

Ces réformes, au point où nous en sommes du « décrochage » de l'école de notre pays, sont seules susceptibles de produire une amélioration des performances de notre système éducatif.

Les plan de « lutte contre le décrochage » de l'actuelle ministre de l'Éducation nationale ne sont, eux, dans le contexte actuel, que de tristes pis-aller, des succédanés d'action politique, et au pire, une misérable propagande.