Actualité

Apprentissage : entre volte-face du gouvernement et blocage de l'Education nationale

Dans ses vœux aux Français, François Hollande, s’est fixé l’objectif de relancer l’apprentissage en France et « qu’aucun apprenti ne soit sans employeur et qu’aucun employeur ne demeure sans apprenti ». Un vœu qui se rajoute à la longue liste d’annonces et de contre-annonces gouvernementales sur le sujet de l’apprentissage : dernière mesure en date, depuis le 1er juillet 2015, les petites entreprises qui engagent un apprenti mineur bénéficient du "coût zéro euro pendant un an"… une mesure qui ressemble beaucoup au "zéro charge pendant un an" pour les petites entreprises, décidé sous la précédente majorité. Sauf qu'en parallèle, les effectifs d’apprentis baissent. Hormis des pics en 2008 et 2012, le nombre de contrats d’apprentissage signés par an est revenu à son niveau de 2005 : 264.600 contrats signés en 2014. A population et économie comparables, la France compte 2 fois moins d’apprentis que le Royaume-Uni (400.000 apprentis contre 850.000 dont 50.000 ont plus de 50 ans). Et jusqu’à 3 fois moins qu’en Allemagne (1,35 million). Plus que le coût et les normes qui pèsent sur l'apprentissage en France, il faut s'attaquer à la complexité actuelle du système et aux réticences de l'Education nationale à envoyer les élèves vers des formations professionnalisantes.

Les mesures de relance ont-elles un impact positif ?

Récapitulatif des mesures touchant à la politique de l’apprentissage depuis 2009 :

  • En 2009, le précédent gouvernement lançait un plan pour l’emploi des jeunes avec comme objectif la signature de 320.000 contrats d'apprentissage en un an. Le gouvernement avait mis en place, cette fois, un plan « zéro charge pendant un an » pour le recrutement d’un jeune apprenti. En 2009, 11.000 contrats en moins étaient signés par rapport à 2008.
  • En 2011, la précédente majorité s’était encore engagée en faveur de l’apprentissage avec la mise en place d’un bonus/malus sur le respect des quotas d’apprentis : le quota de jeunes en formation imposé aux entreprises de plus de 250 salariés est relevé de 3 à 4%. Celles qui dépassent ce taux se voient offrir un bonus de 400 euros par contrat. Celles qui n'atteignent pas le taux doivent s'acquitter d'une pénalité progressive. Le problème est que plus de 4.000 d'entre elles préfèrent encore payer l'amende par désintérêt pour l'apprentissage ou… pour cause de difficulté à trouver des apprentis ;
  • Changement de majorité et en 2013, le gouvernement était moins favorable à l’apprentissage puisqu’en mars, sur proposition du ministère de l’Éducation, les députés votaient l'abrogation d'une disposition qui autorisait l'apprentissage pour les jeunes à partir de 14 ans.  À la veille de la rentrée 2013, en juillet, le gouvernement annonçait aussi la suppression de l’aide de 1.000 euros par année de formation pour les entreprises de moins de 11 salariés… mais le gouvernement fut obligé de faire machine arrière dans la journée devant la colère des entreprises. La même année, des voix montent (dont celle de la Fondation iFRAP) alors que la politique de recrutement en emplois d’avenir s’est faite au détriment de l’apprentissage. Sur le 1,5 milliard d’euros destiné aux emplois d’avenir en 2013, 550 millions d'euros de ressources publiques auront été retirés directement sur la taxe d’apprentissage payée par les entreprises et destinée à être redistribuée vers le secteur marchand ;
  • Volte-face complet en 2014 quand François Hollande lance un plan de relance de l’apprentissage avec comme objectif le recrutement de 500.000 apprentis d'ici à 2017. Une relance qui se traduit par un effort budgétaire de 200 millions d’euros et une nouvelle aide de 1.000 euros à l'embauche du premier apprenti et/ou d'apprentis supplémentaires pour les entreprises de moins de 250 salariés.
  • Enfin, dernière mesure mise en place en juillet 2015 : le  dispositif « coût zéro euro pendant un an » pour les entreprises de moins de 11 salariés. Ces entreprises seront exonérées de charges et de salaires qui seront pris en charge par l’État pendant un an pour l’embauche d’un apprenti mineur.

A noter qu’à cela, se rajoutent les aides et la politique d’apprentissage des régions qui déboursement également une prime à l’apprentissage pour les TPE de 1.000 euros minimum par apprenti ainsi qu’une aide au recrutement d’un apprenti supplémentaire (également de 1.000 euros minimum par apprenti)[1].

Au final, pour l’entreprise comme pour un jeune désireux de trouver un apprentissage, le système d’aides est un véritable maquis qui évolue constamment au gré des priorités gouvernementales. Et ce, pour un impact insaisissable ou franchement limité sur le nombre de contrats d’apprentissage signés par an. En cause ? Probablement le fait que les revirements de stratégies du gouvernement aboutissent à un environnement instable pour les entreprises et les apprentis et que le versement d’aides par contrat ne répond pas aux freins qui bloquent le développement de l’apprentissage en France et qui dépendent de problématiques bien plus larges et communes au droit du travail et à la politique d’éducation.

Evolution des effectifs d'apprentis, en nombre de nouveaux contrats signés par an, en France face aux mesures touchant à la politique d’apprentissage (en milliers de contrats).

Source : Dares

Pourquoi l’apprentissage ne prend-il pas en France ?

1/ Le système éducatif ne favorise pas l’apprentissage : Il peut même y apparaitre farouchement opposé. Il y a tout juste un an, le 8  janvier 2015, six  syndicats représentatifs de 70 % des enseignants des lycées professionnels signaient un communiqué déclarant que l'apprentissage « n’est ni la solution au chômage des jeunes, ni une voie de formation dispensant une formation permettant des poursuites d’études et une insertion durable dans l’emploi »[2]. Au final, au moment de l’orientation, à la fin de collège, 65% des élèves partent en première générale, 21% en première technologique et seulement 4% se réorientent dans une filière professionnalisante[3].

Il s’agit, ici, d’une mentalité bien ancrée qu’il faudrait changer pour voir l’apprentissage sous un meilleur jour, à la fois au niveau des professionnels de l’éducation mais également au sein de la société civile. Et le collège unique, qui oriente les élèves tardivement est aussi un frein puissant à l’apprentissage. Les pays qui orientent tôt, avec des parcours intégrant des classes techniques et le monde de l’entreprise dès le début du collège se singularisent par un taux de chômage des jeunes bien plus bas de le nôtre (24,5%) : on pense à l’Allemagne (7% de demandeurs d’emplois ont moins de 25 ans) qui au moment de l'entrée au collège oriente déjà ses élèves dans trois types d'établissements, la Hauptschule pour 22% des élèves (enseignement général allégé et enseignement technologique sur 3 ans), la Realschule pour 42% des élèves (très orienté sur l'enseignement professionnel pendant 4 ans) et le Gymnasium pour 36% des élèves (enseignement général qui inclut les deux cycles de l'enseignement secondaire et conduit généralement à l'université).

 Encore faut-il s’en donner les moyens : on compte 2500 « lycées professionnels » en Allemagne mais au total, ce sont 8.855 établissements qui proposent des formations en alternance et des périodes d’apprentissage. En France, on compte 1.600 lycées professionnels et 1.100 CFA, soit un total de 2.700 établissements.

Refonder notre système éducatif, supprimer le collège unique et repenser les parcours scolaires pour orienter les élèves qui le peuvent vers l’apprentissage sont une nécessité… dont les résultats ne seront visibles qu’à l’échelle d’une génération, c’est-à-dire loin de l’objectif du gouvernement de compter 500.000 apprentis en 2017. Notre politique éducative pour amener 100% d’une classe d’âge au baccalauréat et 80% à un diplôme de l’enseignement supérieur est louable mais n’a pas porté ses fruits. Notre objectif ne devrait-il pas mieux être d’amener toute une classe d’âge à l’emploi ? Or, l’expérience prouve que lorsque l’apprentissage fonctionne, il aboutit à l’emploi : en 2013, 65 % des apprentis trouvaient un emploi 7  mois après la fin de leur formation, et un tiers d’entre eux restaient dans l’entreprise qui les avait formés.

2/ Tout le monde se perd dans le maquis des financements, des aides et des acteurs : La complexité du système engendre nécessairement une méfiance ou un découragement de la part des entreprises et des apprentis… ainsi que des dépenses mal orientées par les pouvoirs publics où l’Etat et les régions se disputent la compétence. Chaque année, environ 3 milliards d'euros sont versés par l'État et 2 milliards d'euros par les régions ce qui fait que la France affiche une dépense publique par apprenti d’environ 11.200 euros contre 4.000 euros en Allemagne.

Source : Le Figaro

Au moment des négociations sur les compétences des 13 nouvelles régions, il aurait fallu leur accorder la mise en œuvre de tous les services publics de la formation professionnelle et de l’apprentissage pour aboutir à un seul niveau décisionnaire. Même besoin de simplification au niveau de la taxe d’apprentissage dont la moitié est collectée par 10 OCTA et le reste par 131 OCTA. En résulte des frais de gestion pouvant monter jusqu’à 2,60 euros par dossier.

3/ Finalement pour conclure, comme pour le chômage, le problème de l'apprentissage, c'est encore et toujours la question du coût du travail en France. Tous les dispositifs d’aides et d’exonérations décidés par les gouvernements, en plus d’être incroyablement complexes, ne répondent pas aux inquiétudes des entreprises. Ces dispositifs cherchent principalement à alléger le coût mensuel que représente l’apprenti pour l’entreprise mais on entend peu parler de son taux horaire, c'est-à-dire du coût pour l’employeur, de l’apprenti, par rapport à son temps de présence réel en entreprise. Et il est difficile d’imaginer que les entreprises ne fassent pas ce calcul systématiquement.

Dans un exemple concret, la Fondation iFRAP avait soulevé qu’un apprenti de 2èmeannée en métallurgie gagne 12.207 euros par an… pour un temps de travail dans l’entreprise de 910 heures annuelles[4] (voir la note complète) : son taux horaire est donc de 13,4 euros pour l’entreprise c’est-à-dire un taux horaire supérieur au smic qui est en 2015 de 9,61 euros de l’heure. Peu étonnant alors de constater que le taux horaire d'un apprenti peut dépasser celui de son tuteur. Et les 1.350 euros de subventions et d’exonération d’impôt que touche l’entreprise pour cet apprenti ne changeront pas cette réalité, ni le problème de fond qui est celui d’un coût du travail trop élevé en France.

Nos propositions :

  1. Augmenter le temps de présence de l’apprenti en entreprise à 1.200 heures par an et lier la rémunération de l’apprenti à son temps de présence réel dans l’entreprise. Ces deux mesures devraient permettre de baisser le taux horaire autour de 8 euros de l’heure de présence, soit de l’aligner sur le modèle allemand. A terme, réduire le nombre d’aides à l’emploi d’un apprenti et des différentes exonérations.
  2. Faire des régions, le niveau décisionnaire des politiques d’apprentissage, de formation professionnelle (voir proposition complète) et de la politique d’éducation (voir proposition complète) : chaque collège ou groupement de collèges pourrait être jumelé avec un ou plusieurs lycées professionnels et centres de formation d’apprentis. Les jumelages avec les entreprises seraient systématisés dans la perspective de l’accueil  de stagiaires et d’apprentis.
  3. Mettre fin au collège unique et agir sur les cursus en proposant des modules de « découverte professionnelle » de 6 à 8 heures hebdomadaires qui seraient proposés dans tous les collèges aux élèves qui présentent (sur la base de leurs résultats à des évaluations standards nationales) peu d’appétence ou d’aptitude pour l’abstraction mais sont attirés par les savoir-faire techniques.

[1] Dans le cas du recrutement d’un apprenti handicapé, une aide de l’Agefiph de 1.500 à 9.000 euros est également versée à l’entreprise à la fin du contrat.

[2][2] Voir ici.

[3] Et 10% de redoublement : voir ici.

[4] Pour une ETI régit par la convention collective de la métallurgie et la base d’un contrat de 35 heures dont 26 semaines passées en entreprise et 20 en école.