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Allemagne, un système éducatif très décentralisé

En Allemagne, la responsabilité publique en matière d'éducation se divise entre l'État fédéral et les Länder car, bien que la Constitution allemande (Grundgesetz ou Loi Fondamentale) place l'ensemble de l'enseignement scolaire sous le contrôle de l'État (art.7), ce sont les Länder qui, au nom du principe de subsidiarité, gèrent de façon presque exclusive les questions d'éducation et leurs financements, laissant l'État fédéral se focaliser sur la formation professionnelle en entreprise et le versement des aides réservées aux élèves et étudiants ainsi que sur sa mission de promotion de l'emploi et du secteur recherche et développement.

Une administration fortement décentralisée

Chaque Land, à travers son ministre de l'Education, est ensuite responsable de sa politique éducative (petite enfance, enseignement primaire, secondaire, supérieur et formation professionnelle en école). La cohérence des politiques éducatives est assurée par la Conférence permanente des ministres de l'Education des Länder (Kultusministerkonferenz ou KMK) qui adoptent des recommandations qui devront ensuite être transposées dans le corps législatif de chaque Land à l'initiative des ministres compétents [1]. La Conférence permanente des ministres de l'Education des Länder a pour but d'assurer la continuité et la qualité de l'enseignement à travers le pays notamment en ayant fixé, dès 1964 [2], les modalités de calendrier, de temps d'enseignement ou encore en s'assurant de la reconnaissance des diplômes entre les 16 Länder. En dehors de ce socle commun, chaque Land est libre de fixer ses programmes et ses objectifs pédagogiques. Le fonctionnement matériel du système éducatif est ensuite pris en charge par les collectivités locales (maintenance des bâtiments, achat des manuels) alors que la mission de contrôle et de surveillance des établissements est déléguée aux bureaux de l'éducation (schulämter). Certains Länder, pour renforcer l'autonomie des établissements, privilégient les évaluations externes.

Des politiques éducatives très diverses

De cette responsabilité partagée résulte une diversité des politiques éducatives à travers la fédération, en fonction des orientations privilégiées et des financements accordés par chaque Land. En moyenne les Länder versent le même pourcentage de leur budget dans la politique éducative (autour de 25%) mais les inégalités de richesses entre les Länder font qu'il persiste un large écart entre les Länder issus du bloc occidental et ceux de l'ancien bloc soviétique [Voir tableau]. Aux écarts de budgets s'ajoutent les variations du nombre d'étudiants d'un Land à l'autre puisqu'avec ses 20 milliards d'euros, la Rhénanie Nord-Westphalie doit supporter près de 160.000 étudiants (pour l'enseignement général) contre moins de 15.000 étudiants pour Thuringe ce qui permet au Land d'afficher la dépense maximale par tête (soit 6.200 euros contre 4.500 euros en Rhénanie du Nord-Westphalie). Le type de formation validé change aussi selon les Länder. En moyenne, 80% des étudiants choisissent de rester en formation générale mais ce pourcentage chute à 40% pour les élèves issus des Länder de l'Est qui se tournent majoritairement vers la formation professionnelle à partir de 16 ans. A l'inverse, les Länder occidentaux affichent des taux d'inscriptions records dans l'enseignement supérieur avec près de 50% d'une classe d'âge inscrite à l'université en Rhénanie du Nord-Westphalie et Bade-Wurtemberg [3].

Une division du financement rationalisée

Les modalités de financement de la politique éducative en Allemagne découlent directement du processus de décision du système politique et administratif. En 2009, les 100 milliards d'euros dépensés dans l'éducation ont été répartis entre l'État fédéral (12,1%), les Länder (52,4%), les collectivités locales (14,4%) et le secteur privé (20,8%) [4]. Au final, la répartition des financements se déroule ainsi [5] :
- La moitié du budget éducatif/recherche scientifique et développement de l'État fédéral est consacrée à la formation professionnelle et 1/3 finance les aides réservées aux étudiants. L'État prend également à sa charge toutes les dépenses relatives à l'éducation allemande à l'étranger.
- 80% du budget éducatif des Länder sont reversés au fonctionnement des établissements publics dont le versement des salaires des professeurs. Depuis la réforme du fédéralisme en 2005, les Länder forment, recrutent et fixent les salaires des enseignants ce qui représente plus de la moitié du budget total de l'éducation. Les Länder prennent aussi en charge la formation professionnelle en école qui représente ¼ de leur budget éducatif.
- La maintenance des établissements publics, incluant les salaires du personnel non enseignant, et les dépenses en matériel correspondent à 90% du budget éducatif des collectivités locales.

Une coopération entre État fédéral, Länder et privé pour assurer la formation professionnelle

La formation professionnelle en alternance est considérée comme l'une des principales forces du système éducatif allemand et résulte d'une coopération entre les Länder, l'État fédéral et le monde professionnel. Chaque année, 75% des élèves [6] déjà engagés dans les filières courtes (la hauptschule qui mène vers l'apprentissage à 15 ans ou la realschule qui débouche sur la formation professionnelle), soit 548.100 jeunes en 2012 [7], choisissent la formation professionnelle en entreprise. Ce parcours spécialisé a déjà été validé par 50% de la population allemande [8] et n'empêche pas de passer le BAC ou de continuer ses études dans l'enseignement supérieur.

En matière de formation professionnelle, les deux niveaux gouvernementaux sont légalement compétents. L'État fédéral est responsable de la formation professionnelle en entreprise alors que les Länder gèrent les écoles de formation professionnelle. La loi sur la réforme de la formation professionnelle (Berufsbildungsgesetz ou BBiG), votée en 1969 et amendée en 2005, organise la coopération entre tous les acteurs du système dual : Les entreprises, les Chambres de Commerce et d'Industrie, les syndicats, les Länder et l'État fédéral. La formation professionnelle en alternance coûte également moins cher aux pouvoirs publics. La dépense publique qui s'élève à 5.500 euros par élève, tombe à 2.400 euros pour les étudiants en formation professionnelle [9]. Ces dépenses réduites s'expliquent par le fait qu'un tiers de la formation a lieu en entreprise [10], aux fais de cette dernière.

Conclusion

Le système éducatif allemand se caractérise donc par une rationalisation de la dépense publique avec une autonomisation des échelons locaux et une orientation précoce des élèves. Si le modèle connaît des limites, notamment en termes d'uniformité des niveaux scolaires à travers le territoire, il permet à l'Allemagne, avec seulement 7,7% [11] des jeunes de moins de 25 ans au chômage, d'être le pays membre de l'Union européenne avec le plus fort taux d'emploi pour cette catégorie particulièrement frappée par la crise. Pour beaucoup ce faible taux s'explique par la forte coopération de tous les acteurs de l'éducation, État, Länder et entreprises, afin d'assurer une bonne insertion des jeunes diplômés allemands sur le marché du travail. En résulte une plus forte spécialisation des diplômes délivrés et une meilleure connaissance du monde professionnel de la part des étudiants qui, pour la plupart, naviguent entre enseignement public et formation en entreprise dès 15 ans. Ce système, longtemps jugé comme dévalorisant est aujourd'hui qualifié de « garant contre le chômage des jeunes et la pénurie de main-d'œuvre » [12] par la Commission européenne, et cité en exemple par de nombreux États. Le ministère de l'Education allemand s'est d'ailleurs engagé à coopérer avec les États européens et la Commission européenne afin de conseiller les réformes de la formation professionnelle en entreprise au sein de l'Union, notamment en travaillant étroitement avec l'Italie, l'Espagne, la Grèce, le Portugal, la Lettonie et la Slovaquie [13].

[1] “The Education System in the Federal Republic of Germany 2010/2011” publié par le Secrétariat de la Conférence permanente des ministres de l'Education des Länder, p.41 (Organisation and Governance, 2.7).

[2] Les accords de Hambourg, signés en octobre 1964, fixent les bases communes du système éducatif dans l'État fédéral. Ces accords ont été révisés à deux reprises, en 1971 et en 2001.

[3] Source : Destatis ; Education at a Glance – 2012.

[4] BMBF' Data Portal.

[5] Source : BILDUNGS-FINANZBERICHT 2012.

[6] Source : OECD Reviews of Vocational Education and Training Germany – 2010.

[7] Source : Destatis.

[8] Source : Destatis.

[9] Source : “Education and Research in Figures 2013” publié par le Ministère fédéral de l'Education et de la Recherche.

[10] En moyenne, sur une semaine, l'étudiant passe 1-2 jours en école contre 3-4 jours en formation en entreprise.

[11] Source : Eurostat – février 2013. Au sein de l'Union européenne, la moyenne du taux de chômage des jeunes s'élève à 25%, dont 26% pour la France et près de 56% en Espagne. Le taux le plus élevé est détenu par la Grèce avec près de 59% de jeunes de moins de 25ans à la recherche d'un emploi.

[12] Communiqué de presse du 5 décembre 2012, Commission européenne : Emploi des jeunes : la Commission propose un train de mesures.

[13] Voir : Federal Ministry of Education and Research – International Affairs.