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Droit du licenciement, l'ONU moins exigente que la justice française

Dans le cas de la décision prud'homale concernant Arena que nous avons évoquée dans l'article précédent, l'employeur avait, pour autant qu'on le sache, invoqué la perte d'un quart du chiffre d'affaires d'une année sur l'autre, à l'appui du motif de non-compétitivité de sa production, mais le juge avait refusé d'y voir une cause économique valable. Le juge devrait effectivement pouvoir vérifier l'existence de cette non-compétitivité et des faits qui l'établissent, mais là devrait s'arrêter son pouvoir. Affirmer que la constatation de cette non-compétitivité est ou non suffisante pour justifier une réorganisation, fût-ce une délocalisation, empiète sur les décisions du chef d'entreprise et fait du juge un super conseil de surveillance dont il n'a évidemment pas les compétences.

Or l'OIT (organisme de l'ONU) pose dans sa Convention 158, dont la France est signataire, une règle qui s'adresse précisément à cette problématique. A côté d'un certain nombre de règles s'appliquant au licenciement, comme l'obligation de motiver, le droit du salarié de recourir aux tribunaux, les règles de preuve, les motifs de licenciement interdits, la procédure préalable etc…cette convention dispose, plus spécialement en matière de licenciement économique, que : « En cas de licenciement motivé par les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service, les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention [les tribunaux, ndlr] devront être habilités à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs, étant entendu que l'étendue de leurs pouvoirs éventuels pour décider si ces motifs sont suffisants pour justifier ce licenciement sera définie par les méthodes d'application mentionnées à l'article 1 de la présente convention [1] ».

Ce texte distingue soigneusement deux prescriptions : d'abord le droit, clairement affirmé, pour les tribunaux de vérifier la véracité du motif de licenciement invoqué, et en second lieu l'étendue du pouvoir du juge quant à l'appréciation des motifs eux-mêmes. Sur l'étendue de ce pouvoir, la convention ne pose pas de règles et se contente de renvoyer prudemment à la liberté des nations pour l'organiser comme elles l'entendent. Car l'OIT est parfaitement consciente que la question essentielle, à laquelle les différents pays apportent des solutions très variées, est de déterminer si le juge a le droit de se substituer à l'employeur. Nous avons par exemple analysé comment le droit anglais apportait une réponse catégoriquement négative à cette question.

Pourquoi le droit français devrait-il se singulariser en imposant une intervention du juge qui se situe à l'extrême de ce qu'autorise une organisation internationale comme l'ONU ?

C'est la réforme fondamentale à promouvoir, que de limiter le pouvoir du juge à la vérification de l'exactitude et de la validité du motif invoqué, et de lui interdire de se substituer à l'entrepreneur dans sa prise de décision. Sauf à décider une fois pour toutes que l'intérêt de l'employeur passe systématiquement derrière celui du salarié, excepté bien entendu quand la vie de l'entreprise est à court terme et de toute évidence en jeu. Nous en sommes en vérité arrivés là semble-t-il, dans une dialectique qui va jusqu'à nier le droit pour l'entreprise d'agir en fonction d'une stratégie à long ou moyen terme, et de prévoir pour gouverner.

[1] la loi ou les conventions collectives, ndlr