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TVA ou CSG, la mauvaise question.

En ouvrant la conférence sociale, le Président de la République a mis « la détérioration de la compétitivité » au second rang des défis essentiels de la France, en « considérant nécessaire une réforme du financement de la protection sociale pour qu'il ne pèse pas seulement sur le travail, (l'abandon de la TVA sociale ne nous dispense pas d'une réflexion sur ce sujet) ». On ne peut que se féliciter de voir pour la première fois le coût du travail sur le devant de la scène. Et puisque la TVA n'est plus une piste, celle de la CSG est partout évoquée. Une fausse piste pensons-nous.

TVA ou CSG, c'est fondamentalement la même chose.

Dernièrement, c'est Louis Gallois dont l'intervention a été la plus claire sur le coût du travail et la CSG : « En France, la difficulté immédiate est avant tout la faible profitabilité de l'immense majorité des entreprises ». Il faut « un transfert massif de charges sociales des entreprises vers la CSG, l'ordre de grandeur est supérieur à ce qui était prévu pour la TVA sociale. » Louis Gallois évalue le montant du transfert nécessaire « de 30 à 50 milliards de fiscalité ». [1] Le point de TVA tourne autour de 7 milliards, et celui de CSG entre 10 et13 milliards d'euros selon les assiettes concernées. Plus de 3 points de CSG seraient en conséquence nécessaires pour compenser la baisse des cotisations patronales. Ce qui signifierait par exemple de passer la CSG payable par les salariés de 7,5 à 10,5%, ce qui est considérable.

Pour les salariés, le basculement proposé reviendrait à remplacer une cotisation patronale par une cotisation salariale. On a souvent insisté dans ces colonnes sur le fait qu'il n'y a pas de différence entre ces deux types de cotisations [2]. Vu du salarié, toutes deux font partie du coût du travail et pèsent pareillement dans les deux cas sur le salaire net, qui est la seule ligne qui intéresse vraiment les salariés. On imagine facilement la réaction des salariés et les pressions qu'ils exerceraient sur leurs employeurs à l'idée d'une baisse de leur pouvoir d'achat de 3% de leur salaire brut, baisse qui profiterait à ces seuls employeurs. Sauf peut-être, comme nous l'avons envisagé, à imaginer promouvoir cette réforme dans une perspective progressive de long terme afin d'en lisser l'effet sur une longue période. Mais ce ne pourrait être avec l'effet « immédiat » que préconise Louis Gallois. Et si le gouvernement actuel estime injuste d'agir, même plus modérément, sur la TVA (1,6 point), comment défendrait-il une telle solution ? TVA et CSG se traduisent toutes deux par une baisse du pouvoir d'achat, et les tensions dans les rapports employeurs/salariés seront encore plus fortes dans le cas de la CSG. Quant à la plus ou moins grande "justice" de l'une ou de l'autre, rappelons quand même que la hausse de la CSG agit directement sur le pouvoir d'achat, alors que celle de la TVA laisse la possibilité d'effectuer des choix de consommation. Les plus riches payeront évidemment plus de TVA, en fonction de leurs revenus : en ce sens, la TVA n'est pas "régressive" mais bien proportionnelle. Rappelons enfin que la TVA produit, même s'il est limité, un effet anti-délocalisation dans la mesure où elle pèse sur les importations.

Compter sur la différence d'assiette entre TVA et CSG produirait des effets économiques néfastes.

L'assiette de la CSG est plus large que celle des revenus du travail, en ce qu'elle atteint notamment les retraites et les revenus du capital. En ce qui concerne les retraites, rien n'interdit en tout état de cause d'égaliser les taux, qui sont actuellement de 6,6% pour les retraites et de 7,9% pour les revenus du travail. Mais le problème est différent pour les revenus du capital, qui supportent déjà des prélèvements sociaux supérieurs à ceux pesant sur le travail. La dernière réforme du gouvernement précédent a au surplus consisté à augmenter de deux points ces prélèvements sociaux sur les seuls revenus du capital, pour les porter à 15,5% : un doublement en quelques années. Et le gouvernement actuel maintient cette hausse, bien que sa motivation, qui était de compenser la baisse des cotisations patronales pour la famille, n'existe justement plus. Ces deux points de hausse vont donc être affectés généralement à la couverture des autres dépenses prévues par le gouvernement. Faudrait-il sérieusement imaginer d'augmenter encore de trois autres points, soit au total cinq, les prélèvements portant sur la rémunération du capital, alors que le gouvernement prévoit en même temps de supprimer le prélèvement forfaitaire sur ces revenus au titre de l'IR… sans compter le rétablissement de l'ISF au taux ancien sans bouclier fiscal (ou à 85%), la nouvelle tranche de l'IR à 75% ou enfin (?) la taxe de 3% sur les dividendes ? Ce serait une désincitation considérable à toute utilisation à long terme de l'épargne, dont le gouvernement a cependant souligné récemment la nécessité. Or l'urgence et l'essentiel sont bien d'augmenter la richesse, ce qui ne peut se faire sans améliorer la productivité des entreprises et leur taux de marge. Pour ce faire nous avons besoin d'épargne qui s'investisse dans les entreprises et de capital. On rappelle par exemple que l'Italie et l'Allemagne comptent respectivement 62.400 et 150.000 robots industriels en service, alors que le parc français ne dépasse pas les 34.500 en 2011 : c'est cela aussi la productivité, donc la compétitivité de l'entreprise France, et cela nécessite des investissements en capital dont il faut assurer une rémunération normale. On dira même que richesse et productivité sont une condition préalable de l'emploi. Pour cette raison, nous sommes sceptiques sur la politique des emplois aidés dans la mesure où ils n'augmentent généralement pas la richesse, et où leur rémunération repose sur la hausse des prélèvements.

La seule vraie question reste celle de l'importance des dépenses à financer.

Les cotisations sociales et la CSG financent la protection sociale. En 2010 (les chiffres viennent d'être rendus disponibles), la protection sociale a coûté 654 milliards d'euros, sur un total de dépenses publiques un peu inférieur à 1.100 milliards (soit près de 60% de ces dépenses et 33,87% du PIB). Les cotisations effectives ont apporté 354 milliards (222 pour les employeurs et 104 pour les salariés), et les impôts et taxes 150 milliards. Les dépenses totales sont en progression de 3,2% de 2009 à 2010, chiffre seulement légèrement inférieur à celui des années précédentes, et bien entendu en forte progression par rapport au PIB qui a baissé cette année-là. Le solde négatif se monte à 21 milliards. On voit l'importance des sommes concernées. Un basculement de 35 milliards de cotisations patronales ne correspondrait qu'à 10% de celles-ci, et pourtant comment trouver quel prélèvement augmenter ?

Comme l'a fait remarquer à juste titre Olivier Garnier, membre du Conseil d'analyse économique, lors de son audition par la Mission parlementaire sur la compétitivité - mission qui avait échoué à parvenir à des conclusions : « Toutes les questions de structure des prélèvements obligatoires ou de mode de financement de la protection sociale ne sont que des éléments de second ordre par rapport à la question de la taille des dépenses à financer. La première des différences avec l'Allemagne, c'est que le poids de nos dépenses publiques dans le produit intérieur brut tourne autour de 55%, contre 46% chez eux ! Dès lors, tous nos débats qui visent à substituer un prélèvement à un autre à recettes constantes – sur la taxe sur la valeur ajoutée (dite TVA sociale) par exemple – se trompent de sujet. Compte tenu de la taille de nos déficits publics, ce qu'il faut se demander, c'est quel serait le moins mauvais prélèvement à augmenter pour les résorber ! Arriver, sur une longue période, à faire progresser les dépenses publiques, ne serait-ce qu'en ligne avec la croissance potentielle de l'économie, serait déjà une performance que nous n'avons jamais réussi à accomplir. »

Olivier Garnier mentionne ici le chiffre de 55% du PIB de dépenses publiques. Nous en sommes maintenant à 56% et le gouvernement prévoit de parvenir à 56,5% avant que le ratio n'entame une baisse. Mais il compte sur l'augmentation du PIB pour cela, et non sur la diminution des dépenses. Or les prévisions du gouvernement sont nettement trop optimistes sur l'évolution du PIB comme on le sait, et le ratio risque donc au contraire d'augmenter. Les statistiques de la protection sociale ainsi que les prévisions ne sont malheureusement pas disponibles après 2010, mais le gouvernement n'a nullement prévu de s'attaquer à ces dépenses. Au contraire, entreprises et salariés vont voir leurs cotisations augmenter encore de 0,5 point, à échéance de 5 ans, pour financer le retour partiel à la retraite à 60 ans.

Les entreprises ont perdu leur taux de marge, et les entrepreneurs le goût et la capacité d'investir, cependant que les Français ne sont pas prêts à sacrifier aussi considérablement qu'il le faudrait leur pouvoir d'achat. Il est temps de repenser notre modèle social et, dans un premier temps cesser d'augmenter, puis diminuer, non pas seulement maintenir à niveau, les dépenses publiques induites par ce modèle. Mais de cela le gouvernement ne veut pas –encore- parler.

Une telle révision de notre modèle social est une réforme très lourde et qui nécessite évidemment temps et concertation. Comme il y a urgence et que vraisemblablement cette réforme ne suffira pas à opérer les transferts nécessaires, il faut aussi procéder à ces derniers, et pour cela il faut faire flèche de tout bois, et notamment :
- Augmenter non pas TVA ou CSG, mais TVA et CSG, de façon à profiter des avantages respectifs de l'un et de l'autre : renchérissement des importations pour la TVA et assiette large pour la CSG (mais un nouvel alourdissement des prélèvements sur les revenus du capital productif n'est pas opportun),
- Aligner la CSG appliquée aux retraites sur celle portant sur les revenus du travail,
- Fiscaliser les prestations sociales en espèces,
- Examiner dans quelle mesure l'assiette de l'IR ne devrait pas être élargie. En Norvège la protection sociale est presque intégralement financée par l'IR, et dans une moindre proportion en Allemagne où les niches fiscales sont très faibles. Il existe en France des pistes permettant d'élargir l'assiette de cet impôt : une (dernière !) tranche à 50% ne serait pas choquante, des niches fiscales peuvent être supprimées, et enfin il n'est pas normal, même s'il faut tenir compte de la CSG comme d'un impôt sur le revenu, que la moitié des Français échappent complètement à l'IR. Une révision des premières tranches du barème pourrait être envisagée, et l'instauration d'un impôt minimum discutée. Notons que ces pistes supposent que les augmentations se fassent à prélèvement total identique, et qu'elles ne servent pas à financer de nouvelles dépenses, mais seulement le transfert des cotisations portant sur le travail. C'est là une différence essentielle avec le programme socialiste, qui crée au contraire de nouveaux impôts pour financer de nouvelles dépenses. Il est certain que l'exercice consistant à faire les deux, transférer et créer des dépenses, est voué à l'échec. Gouverner c'est choisir.

Dernière minute : le Premier Ministre, dans son discours de clôture de la conférence sociale s'est exprimé ainsi : « Pour élargir et diversifier les sources de financement de notre système de protection sociale, le gouvernement saisira le Haut conseil du financement de la protection sociale dès le mois de septembre 2012… Ce dernier réalisera un diagnostic sur les modalités actuelles de financement de notre protection sociale, précisera le partage entre les besoins de protection sociale relevant d'une approche contributive et ceux qui relèvent d'une approche non contributive. Il dessinera les évolutions possibles du système actuel, notamment en termes de diversification des recettes. » D'ores et déjà, le sujet est donc renvoyé à une instance différente des partenaires sociaux, instance qui a été créée par François Fillon en mars 2012.

[1] Les Échos, 9 juillet 2012.

[2] Ce qui vient de se vérifier cette semaine dans la présentation gouvernementale du PLFR à propos des prélèvements sur les revenus du capital.