Actualité

Total doit-il être le plus gros contribuable français ?

Dans une interview publiée par le journal “Le Parisien” le 4 mars 2014, le président Hollande déclare : « Total, qui est la plus grande entreprise française, devrait à ce titre être le plus gros contribuable français ». Un lecteur du quotidien lui demanda si le fait que le groupe ne paie pas d'impôts (sur les sociétés) en France ne le choquait pas. « Si, bien sûr, cela s'appelle de l'optimisation fiscale », lui répondit François Hollande. D'autres responsables politiques, comme Florian Philippot, vice-président du FN, ont dénoncé le fait que le groupe s'était organisé pour ne pas payer «un centime d'impôts en France», ce qui "choque". Vrai ou pas ?

Total et la fiscalité

Comme tous les groupes internationaux, TOTAL SA détient des filiales établies dans tous les pays où il opère. Cette société enregistrée en France publie des comptes consolidés qui englobent les 903 sociétés sur lesquelles elle exerce une forme de contrôle.

L’impôt sur les sociétés (IS) est territorial par nature, ce qui signifie qu’il est imposé par chaque État sur les bénéfices engendrés sur son territoire. Ainsi, chacune de ces 903 filiales consolidées est imposée dans le pays où elle exerce son activité, qui est normalement son pays d’incorporation.

Globalement, l’impôt consolidé du groupe TOTAL (14,8 milliards de dollars en 2013) est proportionné à son profit brut consolidé sur la même période (26,3 milliards de dollars).

2013

(Millions de $)

Consolide mondial

CA

251.725

Résultat consolide avant impôts et taxes

26.288

Impôts et taxes

(% du résultat brut)

14.767

(56%)

Résultat net

11.521

 

Si ce résultat avait été entièrement imposable en France au taux actuel de 38% (taux normal et contributions additionnelles), l’impôt aurait été de 10 milliards de dollars seulement.

Or, chez Total comme dans le secteur pétrolier en général, les profits se font dans l’amont grâce à la rente pétrolière. Ainsi, le résultat opérationnel consolidé est généré à 82% dans l’amont.

Comme Total produit plus de 95% de ses hydrocarbures en-dehors de la France, ses profits sont réalisés en très grande majorité à l’étranger. Les taux d’imposition appliqués sur ce segment vont jusqu’à 85% au Nigeria, 78% en Norvège ou encore 76,5% au Gabon, ce qui fait de Total l’entreprise française la plus taxée dans le monde. Elle a versé plus de 10 milliards d’euros d’impôts et taxes par an au cours des 10 dernières années. 

En France, les activités de Total, essentiellement dans le raffinage et la distribution, sont actuellement déficitaires du fait de surcapacités (résultat net -200 millions d'euros en 2013). Par contre, l'entreprise a versé 2,7 milliards d'euros d'IS entre 2000 et 2011, soit en moyenne 225 millions par an, lorsqu'elle réalisait des bénéfices.

Malgré un résultat déficitaire en France en 2013, Total a versé de nombreux impôts et taxes perçus sur des assiettes autres que le bénéfice, tels que :

  • contribution économique territoriale, impôts locaux, forfait social, contribution sociale de solidarité des sociétés, taxes sur les salaires (410 millions d'euros)
  • taxe sur les dividendes versés aux actionnaires étrangers (350 millions d'euros)
  • taxe de 3% sur les dividendes versés en France (160 millions d'euros).

Globalement, Total a ainsi acquitté en France environ 920 millions d'euros d’impôts et taxes en 2013, contribuant par là même à son résultat net négatif.

À ces 920 millions d'euros d’impôts et taxes, s’ajoutent 1,1 milliard d'euros de charges sociales versées en France en 2013.

Les paradis fiscaux

Après avoir fermé 14 filiales dans des paradis fiscaux depuis 2012, Total a décidé d’en fermer 9 autres d’ici fin 2016, et de n’en conserver que 10 aux Bermudes et aux îles Caïman, pour des raisons opérationnelles ou juridiques.

Le taux d’imposition moyen de 56% montre bien que les pays où Total déclare l’essentiel de ses profits ne sont pas des paradis fiscaux, loin s’en faut.

Par ailleurs, suspecter Total d’ « optimisation fiscale » est absurde, du point de vue du fisc français. Compte tenu du niveau très élevé de la fiscalité dans les pays où Total produit du pétrole, l’optimisation fiscale consisterait précisément à rapatrier en France les profits réalisés à l’étranger, et donc à maximiser le bénéfice imposable en France…

Le CIR et le CICE

Le groupe n'a pas perçu le Crédit d'impôt compétitivité emploi au titre de 2013, car il est déficitaire en France. Mais il a acquis une créance sur le fisc français de 19 millions d'euros, à laquelle s'est ajoutée une autre créance, de 60 millions celle-ci, au titre du Crédit d'impôt recherche (Cir).

Ainsi, Total pourrait toucher un chèque du fisc de près de 80 millions en 2017.

Le CIR et le CICE sont destinés à inciter les sociétés établies en France à investir dans la recherche et à améliorer leur compétitivité.

De telles incitations ne peuvent pas être conditionnées à la profitabilité globale du groupe auquel elles appartiennent. Une telle condition serait inapplicable, car contingente aux diverses normes comptables appliquées par des groupes de nationalités différentes. 

Conclusion

  • Si « TOTAL est la plus grande  entreprise française », ce n’est en fait que grâce à son activité internationale, qui est imposable à l’étranger en vertu de la territorialité de l’impôt. En conséquence, établir une relation directe entre la taille d’un groupe international comme Total et les impôts payés par ses entités françaises est un raccourci trompeur, qui masque en réalité la lourdeur de la fiscalité française ;
  • Alourdir encore cette fiscalité ne devrait pas faire fuir Total compte tenu de l’importance de sa base industrielle en France, mais ne ferait que réduire encore l’attractivité de la France pour les investisseurs, qu’ils soient d’origine française ou étrangère ;
  • Par ailleurs, suspecter Total d’ « optimisation fiscale » au détriment du fisc français est dénué de simple bon sens. Si la lutte contre les paradis fiscaux doit être poursuivie, Total ne peut être suspect d’y recourir de façon significative, compte tenu de son taux d’imposition global (56%) et du faible nombre de filiales dans les pays incriminés (19, passant à 10 fin 2016) ;
  • Concernant le CIR et CICE, le législateur français doit enfin accepter, par simple pragmatisme, que des réductions d’impôt profitent à des sociétés qui n’en ont pas un réel besoin, du moment que l’effet recherché globalement est atteint.