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Taxe Tobin, le retour de l'impôt de bourse

La lecture des seuls titres des paragraphes de l'article 6 du projet de loi (ci-dessous) qui a supprimé l'Impôt de bourse en 2008 le confirme : une taxe sur les transactions financières est contre-productif, surtout si la France est seule à la mettre en place.

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Projet de loi

« Un impôt supprimé dans la plupart des places financières »,

« Un impôt contre-productif dans des marchés financiers ouverts »,

« Un impôt qui accentue les délocalisations d'opérateurs et nuit à l'attractivité de la place de Paris »,

« Un rendement budgétaire en trompe-l'œil ».

Faut-il vraiment retomber dans cette erreur ?

En 40 ans, la TVA, création purement française, s'est répandue à travers plus d'une centaine de pays. Le monde entier a abandonné le pied, la coudée ou la livre et adopté les mètres, les kilos et les meures décimales décrétées par la France. La Déclaration des droits de l'homme a incontestablement servi d'étendard à de nombreuses révolutions de 1789 à 2011. Mais nos récentes initiatives n'ont eu aucun succès : retraite à 60 ans, 35 heures, taxe sur les billets d'avion… Le monde entier était supposé suivre notre exemple, mais quand nous nous sommes retournés, nous étions bien en tête, mais tout seuls, handicapés et ridicules. Est-il encore possible de sauver une taxation franco-française des flux financiers (ou taxe Tobin) d'un sort identique ?

Projet européen de taxe sur les transactions finnacières

La lettre de mission adressée par les ministres allemands et français du budget à la Commission européenne le 9 septembre 2011 était claire : « L'assiette de la taxe devrait être large et couvrir toutes les transactions financières relatives à des instruments financiers tels que : actions, obligations, devises et dérivés. » Il était précisé plus loin que cette taxe serait appliquée aux transactions nationales et internationales.

Cherche 10 millions d'euros pour 3 jours

Optimiser leur trésorerie est un objectif important pour toutes les organisations (entreprises, collectivités locales, caisses d'assurances sociales) notamment dans la période actuelle. Cela les amène à devoir se procurer ou à vouloir prêter régulièrement des sommes très importantes pour des durées très courtes, de quelques jours. Même une taxe de 0,1 % reviendrait à multiplier par 10 le coût de telles facilités.

Exemple : Fin décembre 2011, la Caisse de Retraite de la SNCF rencontrant des difficultés pour mobiliser auprès de ses partenaires bancaires la trésorerie nécessaire au paiement en une fois des pensions, est autorisée à procéder au versement en deux fois distantes environ une semaine. Cette caisse est tout à fait solvable, mais doit se procurer des capitaux importants pour lisser ses rentrées de cotisations et de subventions et ses dépenses.

L'achat et la vente d'actions, d'obligations ou de devises par les particuliers, les entreprises et les états ou autres collectivités publiques, seraient taxés à un taux d'environ 0,1%. L'État français qui rembourse et emprunte chaque année 180 milliards d'euros serait pénalisé de 360 millions d'euros sur ses emprunts et 50 millions sur le paiement des 50 milliards d'intérêts (mais conscient de ce problème, il parle déjà de s'en exonérer, tant pis pour les autres). Les collectivités locales et les hôpitaux verraient leurs charges d'emprunts alourdies de la même façon. Le secteur privé serait autant touché. Et d'abord les grandes entreprises comme Renault, Peugeot, Airbus, L'Oréal, Air France, Total, BNP… qui travaillent dans tous les pays du monde. Mais aussi toutes celles qui, commerçant à l'étranger, ont besoin d'emprunter ou d'acheter des devises pour se protéger contre les variations de change.

L'impôt de bourse

Cet ancêtre de la taxe Tobin sent bon l'époque où la Bourse se traitait encore à la criée au Palais Brongniart, avec un montant de 0,3 % de la transaction. Il a finalement été supprimé en 2008. Curieusement, seuls les résidents français étaient redevables et une longue liste de valeurs étaient exclues de cette taxation dont : les valeurs du Trésor bien sûr, les valeurs américaines cotées aux États-Unis, les obligations dans leur grande majorité et la souscription d'OPCVM (FCP, Sicav…). Malgré ces limites, visiblement faites pour sauvegarder la place de Paris, il a fallu admettre qu'il était contre-productif. Sans oublier que la suppression de cet impôt avait été compensée par une augmentation de la taxation des plus-values de cession de16 à 18%.

L'expérience de la Suède

Au cours des récentes négociations de Bruxelles sur la taxe dite Tobin, la Suède s'est montrée très réservée. On comprend pourquoi. Dans les années 1980, la Suède était encore dans sa phase de croissance rapide des dépenses sociales et d'alourdissement des prélèvements obligatoires. C'est en 1984 qu'elle a mis en place une taxe de 0,5 % sur les transactions financières, taxe dont le taux a été doublé en 1986. Le résultat fut décevant. La taxe sur les transactions supposées rapporter 1.500 millions de Couronnes par an ne produisit que 80 millions. Pire, l'effondrement du volume des transactions à la bourse de Stockholm et donc des impôts sur les gains en capital, annula entièrement les rentrées de la nouvelle taxe. En 1990 et 1991, la Suède entrait dans une sévère crise de déficit et de chômage. Pour en sortir, elle prit de nombreuses et courageuses mesures dont la suppression de cette taxe sur les transactions financières qui n'a pas laissé un bon souvenir dans ce pays.

Le mythe des prélèvements indolores

Les impôts peu visibles (taxe sur les billets d'avion, taxe Tobin, TVA, surcharge pour l'électricité verte) sont séduisants pour les responsables politiques et l'administration puisqu'ils paraissent faussement indolores pour les contribuables. Mais au niveau macro économique, ils sont tout aussi pénalisants : prélever 50 milliards d'euros par an sur l'économie comme le souhaitent les partisans de la taxe sur les transactions financières, pénalise automatiquement le pouvoir d'achat des consommateurs et les capacités d'investissement des entreprises.

Vers une Tobin symbolique

Tous les rapports comme celui sur « Les nouvelles contributions internationales » ou les entretiens entre Chefs d'États européens ont conclu qu'une telle taxe ne peut être mise en place qu'au niveau mondial ou, à défaut européen.

Si la France devait persister seule dans la mise en place d'une taxe sur les transactions financières, ce ne pourrait être que sur un secteur très limité, probablement l'un de ceux qui ont été les plus décriés pendant la crise : CDS, Hedge Fund, Transactions haute fréquence. Cela n'empêchera pas ces activités de quitter notre pays et d'aller se développer dans les pays voisins, mais cela limiterait les dégâts sur notre économie. La « Taxe de bourse » comportait déjà de nombreuses exceptions, pourquoi pas sa triste héritière ? L'idée d'introduire « des grains de sable dans la mécanique des marchés financiers » pour les ralentir est étrange. Pourquoi ne pas imposer un délai d'une heure dans l'acheminement des messages Internet ou d'une semaine sur la durée des transports de marchandises par bateau de la Chine vers la France ?

Pourquoi une taxe spéciale sur les transactions financières ?
ObjectifCommentaire
Augmenter les prélèvements obligatoires L'urgence est de diminuer les dépenses
Punir les banques Les actionnaires des banques ont déjà perdu presque tout leur capital (ex : Dexia) ou une grande partie
Punir les banques Ce sont les clients et l'économie qui seraient pénalisés
Punir les banques La plupart sont faibles et il a fallu mettre en place des soutiens
Faire contribuer la finance qui a créé la crise Pour le moment c'est le surendettement des États qui est un problème, pas le système financier.
Lutter contre la spéculation La plupart des spéculations sont utiles : agriculteurs, industriels, commerçants doivent se couvrir contre des variations fortes des valeurs des biens (pétrole, sucre, blé, acier) ou des devises ou des deux.

Les spéculations nuisibles ne seront pas gênées par cette taxe ; leurs transactions seront délocalisées.

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