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Taxe carbone : ni TIPP flottante, ni TICPE « gélive » !

Voilà l’idée de s’inspirer d’une recette ancienne, la TIPP flottante, pour se laisser le choix de geler l’évolution de la taxe à volonté. Nous expliquons pourquoi nous pensons que c’est une mauvaise solution, et que le moratoire s’impose.

La TIPP flottante

Fin 2000, le Brent passe à presque 45 dollars le baril, venant d’un plus bas de 18 dollars début 1999. La part des taxes (TIPP et TVA) dans le prix à la pompe est de 61% pour le gazole et de 69% pour le super, ce qu’elle est à peu près encore maintenant. La TIPP est une taxe assise non pas sur le prix, mais sur le volume (39 centimes au litre pour le gazole, 58,6 centimes pour le super en 2000, contre respectivement 59 et 68 centimes (auxquels il faut ajouter 25 centimes de TVA) aujourd’hui). La forte augmentation du pétrole brut conduit à introduire un mécanisme censé être automatique et réversible par lequel le montant de la TIPP est provisoirement diminué pour baisser la recette de TVA (perçue sur le produit  ainsi que sur la TIPP) et le prix du produit final. Lionel Jospin, Premier ministre à l’époque, fait voter la loi qui entre en application le 1er octobre 2000. Mais l’expérience ne sera jamais renouvelée, car le gouvernement n’a jamais osé faire jouer la règle en sens inverse, c’est-à-dire ré-augmenter les taxes lorsque le brut a baissé à partir de l’année suivante, et elle n’avait de plus provoqué qu’une baisse de 2 centimes du litre. Résultat, selon la Cour des comptes, l’Etat a perdu 2,7 milliards d’euros de recettes en deux ans, et Jean-Pierre Raffarin s’empresse de supprimer la loi lorsqu’il succède à Lionel Jospin en 2002.

Le projet de TICPE « gélive ».

Le gouvernement n’a pas souhaité reprendre la solution de la taxe flottante compte tenu du mauvais souvenir qu’elle a laissé. Il se propose donc d’adopter une variante, dont le mécanisme précis n’est pas encore déterminé. Il s’agirait de réserver au gouvernement la possibilité de « geler » le montant de la TICPE (successeur de la TIPP après l’addition de la composante taxe carbone) chaque trimestre à partir du moment où le prix du brut atteindrait un certain niveau. Mais le mécanisme ne sera pas automatique comme dans le cas de la TIPP, mais utilisable à la volonté du gouvernement. L’administration « planche » semble-t-il sur un texte qui puisse être constitutionnellement validé, ce qui n’est d’ailleurs pas un exercice évident, mais un type d’exercice qui fait la spécialité de Bercy.

Que penser donc de cette initiative ?

Le geste est politiquement dépassé

Le gouvernement entend donc maintenir la hausse de la taxe carbone prévue en 2019, qui doit, selon le PLF 2019, rapporter 3,9 milliards (dont 2,4 au titre de l'effet tarif et 1,5 dû à l'effet volume), et se réserver ultérieurement, en cas de hausse trop forte du brut, d’abaisser à volonté le montant de la taxe (au litre de carburant). Première remarque : si le gouvernement mettait en œuvre le mécanisme immédiatement, cela résulterait en une baisse tout aussi immédiate des recettes de l’Etat, à un niveau inférieur à ce qu’il serait sans aucune modification de la taxe. Ce n’est évidemment pas le souhait du gouvernement ! S’il tardait à le mettre, il y a fort à craindre que, comme lors de l’expérience de 2001, le courage politique lui manque au moment de renverser le processus en ré-augmentant la taxe.

Deuxième remarque, les Français vont donc expérimenter à compter du 1er janvier, une hausse du prix des carburants, concomitante à une forte hausse de l’électricité, contre une promesse très vague et qui n’engage en rien le gouvernement, de diminuer la taxe à un montant supérieur à celui que les Français trouvent déjà insupportable. Troisième remarque, la hausse des taxes pour 2019 sur les carburants est plus symbolique que pénalisante pour les Français (autour de 3 centimes le litre) -quoique remplir une cuve de 2.000 litres de fioul alourdisse quand même la facture de 66 euros d’un coup. Mais elle est de toute façon hautement symbolique d’un mécanisme très pénalisant à long terme que le gouvernement persiste à vouloir continuer de mettre en œuvre. Symbolique aussi de la volonté de ne pas attacher d’importance à cette goutte d’eau qui fait tout d’un coup déborder le vase entier de la fiscalité. 

Dernière remarque, le produit escompté de la seule hausse de la taxe, environ 4 milliards, ne profitera à la transition énergétique qu’à hauteur de 300 millions (affectés au CAS transition énergétique et à l’AFITF, Agence de financement des infrastructures de transport). Les Français se rendent compte que les recettes en question sont destinées à combler le déficit du budget général, dans lequel la transition énergétique est noyée. Et cela agit sur eux comme un chiffon rouge.

C’est au consommateur-citoyen de prendre le risque géopolitique

Le sujet finit par devenir celui du rôle de l’Etat. Or, le prix du pétrole brut dépend de circonstances économiques et politiques mondiales sur lesquelles le gouvernement français n’a pas de prise. C’est le rôle de l’Etat de déterminer au mieux la politique à suivre en fonction de ses principes et de la conjoncture mondiale ; c’est encore son rôle de protéger les citoyens et d’assurer leur sécurité ; mais ce n’est pas son rôle de tenir ces derniers à l’abri des aléas de la conjoncture économique sur lesquels l’Etat n’a pas prise.

Une TICPE flottante, d’une façon ou d’une autre, envoie au citoyen le message que l’Etat est là pour le protéger des fluctuations des cours du pétrole, alors qu’il revient à ce citoyen de s’adapter. Autrement dit, cela le déresponsabilise en ne le préparant pas à un avenir inéluctable. Pire, cela vient contredire l’autre objectif que se propose la taxe carbone à part de combler les trous du budget, à savoir d’inciter à une moindre consommation des produits pétroliers.

Alors, comment sortir du piège ?

Il est clair qu’il n’y a pas de bonne solution. Mais la moins bonne paraît être de se laisser tous les trimestres la possibilité de « geler » la TICPE en fonction du prix du pétrole brut, après l’avoir augmentée début 2019 conformément aux prévisions d’origine. Cette solution ne peut pas manquer d’exacerber les oppositions dans un contexte politiquement dangereux ; elle ménage au gouvernement une suite difficile à gérer, en le soumettant à une pression continuelle à la baisse de la taxe tous les trimestres (un peu comme chaque année se pose la question du « coup de pouce » au smic), et en l’empêchant en pratique de faire varier la taxe à la hausse lorsque cela pourrait se justifier, comme en 2001 ; elle envoie enfin un mauvais signal d’assistance aux citoyens, contraire à ce que doit être leur responsabilité par rapport au rôle de l’Etat, et à ce titre la solution est pire que d’abandonner ou revoir le programme de hausse de la taxe carbone.

Ce à quoi l’Etat doit s’atteler n’est rien d’autre que de diminuer les dépenses publiques pour pouvoir baisser les prélèvements fiscaux dont le montant rend impossible de demander de nouveaux efforts et sacrifices aux Français. Au plan écologique, la lutte contre les effets de serre ne peut être que d’un effet tout à fait négligeable compte tenu de la faiblesse, moins de 1% du total mondial, des émissions de CO2 en provenance de la France.

A très court terme, c’est la solution du moratoire qui s’impose, notamment en se donnant le temps de remettre à plat le programme fiscal et écologique. Le gouvernement a demandé trois mois de concertation : pourquoi exclurait-on de cette réflexion le parcours taxe carbone ?