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Secret bancaire et paradis fiscaux : stratégie comparée USA/CANADA

L'IRS (le fisc américain) procède à un véritable « forcing » contre le secret bancaire suisse dans le différend qui l'oppose à UBS (Union des banques Suisses). Tandis que son homologue canadien a mis en place une politique beaucoup plus souple vis-à-vis des paradis bancaires et fiscaux. Décryptage de deux positions fiscales opposées.

La lutte des Etats-Unis contre les paradis bancaires, le cas de la Suisse :

Le fisc américain a commencé par demander la levée du secret bancaire suisse concernant l'identité de 19 000 américains teneurs de comptes numérotés. Il faut dire que, si le fisc américain a la dent dure, c'est parce que les détournements seraient massifs, avec à la clé une fraude de l'ordre des 18 milliards $. Assignée devant la justice américaine, la banque a accepté de verser une composition transactionnelle de 780 millions € après que la FINMA (l'autorité des marchés financiers) de Berne ait joué avec succès les intermédiaires, en permettant la levée limitée du secret bancaire moyennant un abandon de toute poursuite d'UBS au pénal pour aide à la fraude fiscale. La levée du secret bancaire a été limitée puisqu'elle a abouti à la communication dans un premier temps de l'identité de 323 clients au mois de juillet puis, très récemment, de 250 autres titulaires de comptes.

Cette levée partielle a placé UBS devant un dilemme à priori insoluble : en ne répondant pas à l'injonction de l'IRS, la banque s'exposait à se voir retirer sa licence bancaire aux Etats-Unis. En le faisant, elle se plaçait elle-même en contravention avec la législation suisse qui pourrait l'exposer à un retrait de sa licence bancaire en Suisse. Par ailleurs, en proposant avec succès sa médiation entre la banque et l'Etat américain, la FINMA, l'autorité de régulation des marchés financiers se retrouve en posture d'accusé : le tribunal administratif fédéral (TAF) la désavoue en décidant dans une décision provisionnelle du 20 février (décision provisoire) de donner raison aux déposants américains qui ont introduit le recours devant la juridiction administrative. Concrètement le TAF oblige la banque à retenir les dossiers des déposants américains alors même qu'ils ont été transmis le mercredi précédent à la conclusion de l'accord entre UBS et l'IRS au fisc américain.

Le tribunal fédéral, de concert avec le Conseil fédéral, tentent d'apporter réponse préservant l'essentiel : le secret bancaire suisse. Une faille que la fédération entend définitivement faire disparaître à l'avenir : le Tessin (l'un des cantons italophone de la fédération) a annoncé qu'il lancerait prochainement un référendum d'initiative populaire visant à inscrire le secret bancaire dans la Constitution. Cependant, enhardi par ce premier succès bancaire, l'IRS a décidé de poursuivre cette fois 52 000 nouveaux clients pour quelque 14,8 milliards $ pour n'avoir pas déclaré l'existence de ces comptes au fisc américain. Dans la mesure où seule la fraude fiscale constitue un délit en Suisse, mais pas l'évasion fiscale, les autorités Suisse ont adressé une fin de non recevoir à la justice américaine sur ce dernier point. Loin de juguler la crise, la Suisse cependant se retrouve, avec ce premier accroc au secret bancaire, dans une posture inconfortable. Les états membres de l'UE veulent y voir un précédent qui leur permettrait de revendiquer l'égalité de traitement avec les Etats-Unis sous peine de discrimination. Jean-Pierre Jouyet, président de l'AMF, confirme : « On verra vraiment si c'est la fin des paradis fiscaux lorsque la Suisse appliquera les mêmes règles que celles qui viennent d'être appliquées à l'égard des Etats-Unis, à l'égard de l'Union européenne. »

Il faut dire que la fraude fiscale est évaluée à 345 milliards $ en 2007 aux Etats-Unis. L'administration américaine cherche donc par tous les moyens à débusquer les fraudeurs qui parviennent à soustraire près de 14% des recettes fiscales. Aux Etats-Unis l'IRS encourage d'ailleurs officiellement les citoyens américains ou étrangers à la délation fiscale. Ces aviseurs fiscaux (whistleblowers), disposent à cet effet d'un formulaire-type à télécharger sur Internet et à remplir, le formulaire 211, dont la particularité est de tenir sur un feuillet unique. C'est grâce à une loi de 2006 entrée en vigueur au 1er janvier 2007 que tout un chacun disposant d'informations privilégiées peut saisir le fisc en dénonçant les fraudes et les évasions fiscales constatées, et ce, d'autant plus si les sommes en jeu sont importantes. Si les sommes recouvrées par le fisc dépassent les 2 millions $ (intérêt et pénalités compris), l'aviseur se voit gratifié sur le montant même des saisies en touchant de 15 à 30% des sommes redressées.

Devant un marché aussi lucratif, des cabinets spécialisés se sont constitués afin de servir d'intermédiaires entre les aviseurs fiscaux et le fisc américain. Ceux-ci revendiquent la paternité de dénonciations records [1] . Ils justifient leur action, par la complexité du système fiscal américain et la sophistication des fraudes, qui dans les grands groupes internationaux échappent généralement aux analystes du fisc.

Cependant, une telle agressivité vis-à-vis des paradis fiscaux, n'est pas uniformément partagée par les pays occidentaux. Le Canada en offre un saisissant contre-exemple.

Le modèle Canadien : la sérénité de l'optimisation fiscale :

Au Canada, au contraire, les choses se déroulent bien différemment. Le pays a choisi ouvertement de jouer la carte des paradis fiscaux. Il n'y a donc pas de traque particulière des grandes entreprises et, au premier chef, des banques afin de dissuader les investissements offshores. Il s'agit à la fois d'une tradition économique, et d'une volonté politique.
Il faut dire que les fondamentaux des finances publiques canadiennes, bien que secoués par la crise, semblent tenir bon. Avec une croissance économique prévue de près de 2,5% en 2010, et un déficit 2009 anticipé de seulement 34 milliards $, après 10 ans d'excédents budgétaires, Ottawa peut se permettre de prendre le contre-pied de son voisin nord-américain et de la plupart des autres démocraties occidentales pour booster ses performances et devenir une zone de très forte attractivité bancaire en jouant sur plusieurs axes : niches fiscales, taux d'imposition plus faible qu'aux Etats-Unis donc moins incitatifs à l'évasion ou à la fraude fiscales vers un paradis bancaire et soutien au crédit dans la logique de maintenir la rentabilité des placements.

La stratégie fiscale canadienne

- Fidèle à sa tradition fiscale, le gouvernement canadien au travers du budget Flaherty de 2009, démine le terrain par l'intermédiaire des niches fiscales. En repoussant l'hypothèque que faisait peser l'article 18.2 de la loi sur l'impôt sur le revenu qui aurait dû limiter l'imputation des intérêts et des frais de certains emprunts utilisés à compter de 2012 par les sociétés canadiennes pour financer des investissements à l'étranger (y compris les paradis fiscaux) en légalisant le principe de « double déduction » des intérêts et frais financiers supportés [2] . Une mesure qui va créer des opportunités pour les investisseurs extérieurs en domiciliant leurs activités en Amérique du Nord.

- D'autre part, le gouvernement canadien n'a pas exclu la possibilité de soutenir, lui aussi, le crédit bancaire par apposition de sa garantie à l'instar des autres gouvernements, afin d'éviter que les banques canadiennes n'aient à augmenter leurs taux d'intérêt, ce qui occasionnerait une augmentation du coût d'emprunt. Dès à présent un plan de soutien des crédits hypothécaires a été voté en loi de finances en janvier 2009, avec une enveloppe maximale de 75 milliards $ par la SCHL (la Société canadiennes des hypothèques de logement).

Ainsi, le Canada, fort de la stabilité de son système bancaire évite tout désavantage concurrentiel en matière financière et fiscale. Au 15 février 2009, le rendement des dividendes des 5 grandes banques canadiennes se situait à 6,8%, un sommet depuis 25 ans. Les analystes prévoient d'ailleurs qu'elles restent en situation de surplus de capitaux avec un ratio de distribution sur dividendes de 76% des profits réalisés après impôt. Une performance solide qui se justifie par les particularités du droit bancaire et du système fiscal canadien : une politique de canalisation encadrée des profits vers les juridictions offshores. Les grandes banques canadiennes ont depuis toujours eu recours aux placements dans les paradis fiscaux et bancaires, non seulement pour leur propre compte (cas de figure qui se présente également pour le secteur bancaire français) mais aussi pour le bénéfice de leurs clients titulaires de gros comptes. Une pratique qui permet de servir aux actionnaires comme aux clients normaux des rémunérations substantielles.
Aux Etats-Unis, la présence de succursales de banques américaines dans les paradis fiscaux est également notoire, tout comme les fonds spéculatifs [3], mais il n'y a pas réellement de fléchage vers les paradis fiscaux comme au Canada. En outre ces montages sont très encadrés et contrôlés par une administration fiscale américaine aux prérogatives très étendues et vis-à-vis de laquelle le secret bancaire est inopposable [4] . Ainsi, par l'intermédiaire d'un système complexe d'avantages fiscaux (voir encadré) et un usage raisonné des fiduciaires, les « Big Five » canadiennes (Banque Royale, Toronto-Dominion, Scotia, Banque de Montréal et CIBC) ont pu défiscaliser légalement pour près de 16 milliards $ minimum entre 1993 et 2007 dans des paradis fiscaux. Une somme qui ne tient compte que du montant de la fiscalité éludée sur les sociétés bancaires à l'étranger, et qui est minimale, puisqu'elle intègre par ailleurs la fiscalisation normale et plus lourde des revenus issus des filiales domiciliées aux Etats-Unis.

En développant l'attractivité bancaire de son territoire, le Canada fait donc coup double : d'une part, il renforce sa position financière dans un contexte difficile. D'autre part, il pérennise un travail de rééquilibrage. En effet, le système fiscal canadien est loin d'être toujours clément envers ses contribuables. La mobilité des assujettis est relativement réduite avec l'application d'un principe d'imposition du revenu global qui comporte une véritable exit tax de fait. Ainsi, malgré un droit fiscal exigeant, le Canada propose une alternative crédible, en conservant une législation fiscale favorable aux entreprises et au secteur bancaire. Une solution en tout cas diamétralement opposée à celle retenue par son grand voisin américain… ce qui tendrait à prouver qu'en matière de secret bancaire et de paradis fiscaux, deux voies sont réellement possibles pour les grandes économies occidentales.

[1] Ainsi, l'étude Ferraro de Washington évoque la dénonciation de plus de 10 milliards $ d'impôts éludés.

[2] Suivant l'avis du rapport de décembre 2008 du Groupe consultatif sur le régime canadien de fiscalité internationale (http://www.apcsit-gcrcfi.ca/index-f…)

[3] La principale différence réside dans l'absence de secret bancaire opposable à l'IRS sur le sol américain, ce qui dissuade les particuliers peu scrupuleux de passer par les banques. La pratique consiste donc à se couvrir derrière la complexité des montages sociaux, une pratique qui n'est pas sans risque et généralement illégale.

[4] Elle possède d'ailleurs le second plus grand réseau de conventions fiscales internationales du monde 57 en février 2007 (http://www.irs.gov/pub/irs-pdf/p901.pdf) contre 110 pour le Royaume-Uni.