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Loi de modernisation des institutions et rétroactivité fiscale

La bataille aura bien lieu !

Les lois fiscales rétroactives constituent un sujet extrêmement sensible. En effet elles imposent un environnement particulièrement difficile pour le contribuable lorsqu'elles sont porteuses de dispositions qui lui sont défavorables, rendant peu propice le climat économique hexagonal.

Trop souvent Bercy et les parlementaires ont le bras lourd sur les modifications des dispositifs fiscaux en vigueur. Car il n'existe pas de principe constitutionnel assurant la stabilité de notre système fiscal. Et qui dit stabilité, dit prévisibilité à terme pour les investisseurs comme pour les contribuables. La situation actuelle est cependant minée par une triple rétroactivité fiscale :
- D'une part, le caractère mécaniquement rétrospectif des lois de finances qui proposent des dispositifs par essence différents de l'environnement légal régissant la production des revenus de l'année en cours (puisque les impôts sont payés en n+1 sur les revenus de l'année n).
- D'autre part, la rétroactivité économique, qui est due à l'incidence de dispositions nouvelles pour des stratégies fiscales et financières bâties sur le long terme.
- Enfin, la rétroactivité juridique qui recouvre les lois de validation destinées à contourner une jurisprudence contraire dont les conséquences seraient particulièrement lourdes financièrement ou de promulguer des mesures interprétatives dont le juge contrôle avec sévérité le caractère strictement explicatif et non réglementaire. Il s'agit de la catégorie la plus nombreuse et, alors même que la rétroactivité devrait être exceptionnelle, elle s'analyse statistiquement en un véritable moyen de gouvernement : ainsi entre 1982 et 1999, 308 dispositions rétroactives ont été promulguées dont 97 clairement défavorables au contribuable et généralement pour passer outre une décision de justice risquant de faire jurisprudence en faveur du contribuable (exemple : correction symétrique des bilans).

C'est à destination de cette dernière catégorie de rétroactivité fiscale qu'un amendement (n°61 visant l'article 11 de la loi de modernisation des institutions modifiant l'article 34 de la constitution), présenté par les députés Jean-Christophe Lagarde et Jean-Luc Warsmann rapporteur et Président de la commission des lois, a voulu strictement répondre, en encadrant l'utilisation des lois de validation fiscales.

Cet amendement ne propose rien moins que l'inscription dans la constitution d'un principe général dégagé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, celui de l'exigence d'un motif d'intérêt général suffisant pour avoir recours à une disposition législative rétroactive. Mais le Conseil a eu tendance à reconnaître trop souvent comme suffisants les motifs d'intérêt général avancés pour valider des dispositions rétroactives : en témoigne la validation législative limitant l'effet d'un dégrèvement massif en matière d'impôts locaux suite à une décision de justice au motif qu'il était susceptible d'occasionner une augmentation de la charge de travail des services fiscaux ! (CC décision n°2002-458 du 7 février 2002). Les députés ont donc voulu en restreindre encore la portée en proposant que « Sauf motif déterminant d'intérêt général, la loi ne dispose que pour l'avenir ».

Le Sénat, en la personne du rapporteur du projet de loi Jean-Jacques Hyest, a tordu le cou à cette réforme en première lecture. Le Sénateur a estimé que son adoption par l'Assemblée faisait courir un risque en matière pénale, dans la mesure où la généralité de la rédaction pourrait tout aussi bien introduire un risque quant à la possibilité d'introduire une exception au principe intangible à valeur constitutionnelle qui vise l'interdiction de la rétroactivité des lois pénales plus dures pour les individus. Il va sans dire,que l'artifice est un peu gros et que la Cour européenne des droits de l'Homme disposant d'une jurisprudence constante en la matière, il aurait été impossible d'enfreindre un tel principe. Mais pour le moment le pénal semble tenir le fiscal en l'état.

Reste heureusement aux députés à renouveler l'initiative en seconde lecture, en proposant cette fois non pas l'amendement n°61 mais au contraire l'amendement 360 proposé par le groupe Nouveau Centre et plus particulièrement par les députés François Sauvadet et Jean-Christophe Lagarde. Celui-ci dispose en effet que « En dehors des exceptions au principe de non-rétroactivité prévues par le droit pénal, la loi ne dispose que pour l'avenir ». Reste que l'on cherche alors le « motif déterminant d'intérêt général » qui faisait tout l'intérêt de cette initiative parlementaire. Initiative qui de plus sort renforcée du très récent rapport Fouquet qui appelle fortement les pouvoirs publics à l'encadrement étroit du recours aux dispositions à effet rétroactif et aux lois de validation législative en particulier. Il énonce d'ailleurs sans détour : « Il est certain que pour l'image de la France vue de l'extérieur, la consécration constitutionnelle du principe de non-rétroactivité de la loi fiscale apporterait l'image d'une sécurité accrue pour les investisseurs étrangers dès lors que peu d'Etats ont jusqu'à présent consacré un tel principe dans leur système constitutionnel ». A défaut de suppression, cet encadrement serait en tout cas un signe fort de stabilisation de la norme fiscale dans notre pays. La bataille de la rétroactivité fiscale a donc bien lieu et elle ne fait que commencer !