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Livret A : Bruxelles nous réveille !

En condamnant la France à ouvrir la distribution du livret A à tout le réseau bancaire, la Commission de Bruxelles conduit le Gouvernement à moderniser un système à bout de souffle qui ne permet plus d'assurer la mission de financement du logement social assignée à la collecte des fonds de ce livret.

Le livret A (et le livret bleu) sont des produits traditionnels d'épargne dont la distribution est réservée à la Banque Postale, aux Caisses d'Épargne (et au Crédit Mutuel pour le livret bleu). Les dépôts (à vue) sont centralisés auprès de la Caisse des dépôts pour être prêtés à très long terme aux organismes d'HLM et donc servir au financement du logement social. Les encours sont d'environ 140 milliards €, le nombre des déposants avoisinant 50 millions.

Le 10 mai 2007 la Commission de Bruxelles a décidé que l'exclusivité accordée aux trois organismes était contraire à la liberté d'établissement et anti-concurrentielle, sans être justifiée par la mission de financement du logement social qui ne serait nullement entravée par une ouverture à la concurrence. La Commission a accordé neuf mois à la France pour se mettre en règle et donc ouvrir le marché à l'ensemble du secteur bancaire.

Ce délai a maintenant expiré

À la suite de cette condamnation, le Gouvernement français a chargé M. Camdessus d'une « mission sur la modernisation de la distribution du livret A et des circuits de financement du logement social ». Le rapport a été rendu mi-décembre 2007. Ses conclusions indiquent que, indépendamment du caractère anti-concurrentiel de l'exclusivité de distribution conférée aux trois organismes, le système de financement du logement social doit être revu dans son ensemble car il est à bout de souffle, coûteux pour les finances publiques et insuffisant à court et à long termes pour les besoins du logement social.

Le dispositif est à bout de souffle

Le livret A représentait 26 % du patrimoine financier des ménages en 1980, il n'en représentait plus que 4 % en 2005. « On peut voir là un des effets de la meilleure éducation financière des Français qui les pousse de plus en plus à rechercher les actifs les plus rémunérateurs », dit le rapport. Triste aveu pour le service public, par ailleurs en partie en concurrence avec lui-même, puisque l'État a créé le livret jeune, le livret de développement durable, le livret d'épargne populaire, etc… qui mobilisent une part de plus en plus importante de l'épargne au détriment du livret A.

Jusqu'en 1985, le système pouvait fonctionner dans la mesure où l'inflation étant à un haut niveau, l'État pouvait s'endetter à bon compte en rémunérant les dépôts sur le livret A à un taux inférieur à l'inflation. Selon le rapport, l'État bénéficiait « de la subvention implicite et peu glorieuse résultant d'une rémunération négative, en termes réels, des épargnants… En manquant à son engagement premier de protection de l'épargne, l'État faisait face plus aisément à sa tâche de promotion du logement social. » Autre terrible aveu !

Le coût du dispositif est anormalement élevé

Mais depuis 1985, la rémunération du livret se situe bon an mal an au-dessus de l'inflation, et son taux vient d'être remonté de 3 % à 3,5 % à compter de février 2008.

Et là, les choses ne vont plus bien du tout : le rapport calcule que, même avec un intérêt de seulement 3 % versé au déposant, les intérêts versés par les organismes de logement emprunteurs ne suffisent plus à faire face au coût de la ressource, et ce d'autant plus qu'à ces 3 % il faut ajouter un taux de commissionnement parfaitement exorbitant de 1,3 % versé à la Banque Postale (et de 1 % aux Caisses d'Épargne) en contrepartie du placement du livret A. Le rapport propose que le taux de cette commission soit abaissé au taux de « droit commun », soit 0,4 % ce qui aurait le mérite de libérer plus d'un milliard d'euros pour le financement du logement [1].

En l'état actuel, le coût annuel de la collecte – soit 4,8 % pour la Banque Postale et 4,5 % pour les Caisses d'Épargne – rend impossible de consentir des prêts aux organismes à des conditions acceptables pour eux. Le système ne peut fonctionner qu'artificiellement, grâce, d'une part, à des bonifications d'intérêt au profit des emprunteurs, les prêts étant « octroyés à perte », et d'autre part, à des aides publiques diverses de 2,7 milliards € dans le secteur locatif social (« aides à la pierre » de l'État).

Mais il y a plus : le rapport note que, en tout cas depuis 2004, « le coût de la ressource livret A [pour le financement du logement social] est supérieur à celui du marché ». En effet, un financement par voie d'émission d'obligations par l'État serait moins coûteux que le système rigide que nous venons de décrire, aboutissant à un taux de 4,8 % ou 4,5 %.

En conséquence, parce que les organismes de placement prélèvent des commissions exorbitantes, et aussi parce que le recours à d'autres sources telles les obligations serait actuellement préférable, le financement du logement par l'intermédiaire du livret A se révèle anormalement onéreux.

Le dispositif est enfin insuffisant, car dès 2012 les ressources du livret A ne permettraient plus de faire face aux besoins de financement des logements sociaux, surtout depuis que ces derniers sont en forte croissance du fait des engagements pris par l'État dans le cadre du droit au logement. Et dès 2032 l'encours des prêts deviendrait supérieur aux dépôts, ce qui est évidemment impensable.

La cause devrait être entendue… mais non !

La palme de la résistance revient aux Caisses d'Épargne. C'est d'abord l'Union syndicale solidaire [2] qui lance une alerte en feignant de ne pas comprendre : « La Caisse des dépôts… propose des prêts aux collectivités à des taux parfaitement compétitifs, autour de 3,6 % avec en sus une garantie de l'État » : certes, grâce à des prêts octroyés à perte et à l'addition de toutes les aides publiques, on se demande même pourquoi lesdites collectivités payent des intérêts ! Quant au commentaire de l'Union syndicale sur la proposition du rapport, « teinté de libéralisme nauséeux », d'associer le diable, c'est-à-dire « les grands acteurs bancaires » qui se signalent par leur « convoitise » et leur « irresponsabilité dans la crise des subprimes », on voit que lesdits syndicats ne sont vraiment pas en voie de changer de ritournelle.

La direction de l'Écureuil, pour être plus modérée dans l'expression, n'en est pas moins aussi critique.

Selon son conseil de surveillance, la « préservation des équilibres financiers des deux réseaux distributeurs actuels » et la « diminution du coût de financement du logement social » sont des impératifs que l'ouverture de la distribution à toutes les banques remettrait en cause. Et de menacer de fermer 1 000 agences et de supprimer 4 000 emplois.

Certes, la Caisse d'Épargne défend son pré carré. Mais on ne saurait vraiment trouver un pire terrain et des arguments aussi mal à propos.

On l'a vu, le système actuel est coûteux et insuffisant, somme toute incapable de remplir sa mission.

Ceci est en partie dû à l'existence même du monopole, qui est à l'origine, pour les organismes qui en sont titulaires, de profits liés à des commissions dont le montant serait impensable dans un régime de concurrence.

Comment d'autre part ne pas établir un lien avec les avantages considérables dont jouit depuis toujours le personnel des Caisses d'Épargne, même si ces avantages ont subi une certaine réduction ces dernières années ? Avant de se laisser aller à un véritable chantage aux licenciements, les Caisses d'Épargne pourraient chercher à rationaliser leur gestion, et aussi à mettre en valeur la considérable puissance d'un groupe bancaire international qui a les moyens de se défendre vis-à- vis de la concurrence [3].

Et encore une désinformation !

La palme de la désinformation revient enfin au collectif d'associations et de syndicats qui lance une pétition intitulée « Pas touche au livret A », qui appelle au retrait du « projet de privatisation du livret A », charabia qui n'a aucun sens, comme si quoi que ce soit était modifié à ce livret et à la destination des fonds. De même la pétition prétend protester contre le « projet » (?) de fermeture de 1 000 agences, dont on a vu ce qu'il fallait penser

La décision de la Commission détaille précisément sur 65 pages les raisons pour lesquelles il n'y a pas lieu de craindre que la mission de financement du logement social soit contrecarrée par l'ouverture de la distribution du livret A. En tout état de cause, selon la Commission, quelque inconvénient qui puisse surgir serait facilement contourné par des mesures ponctuelles, de sorte que le maintien du monopole n'est nullement nécessaire.

Au contraire, les inconvénients d'un tel monopole apparaissent au grand jour, et il faut remercier la Commission d'avoir finalement contraint la France à se pencher sur une anomalie ancienne et coûteuse pour, espérons- le, y remédier définitivement.

Il semblerait que le Gouvernement s'apprête effectivement à ouvrir la distribution du livret A comme le demande la Commission, en baissant le taux de commission à 0,4 % suivant la recommandation du rapport Camdessus.

[1] La Commission mentionne de 0,6 à 0,8 %, mais le rapport Camdessus justifie 0,4 % par une proposition de diminution des obligations provenant du service public d'accessibilité aux services bancaires qui peuvent justifier un (léger) supplément de rémunération.

[2] Cette union est composée d'un ensemble de syndicats non représentatifs, comme les syndicats SUD.

[3] Selon la Commission, les Caisses d'Épargne ont une part de marché dite « naturelle », c'est-à-dire sans rapport avec le monopole, de 14,8 % comme banque de dépôt, ce qui est un chiffre important.