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L'inacceptable proposition du PS sur les allocations familiales

On n'en aura donc jamais fini de remettre sur la sellette le débat sur la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Il faut encore le redire, ce débat n'a rien à voir avec celui qui porte sur la suppression de certains « privilèges » ni avec la prétendue « justice » socialo-fiscale, bien au contraire. Et il se pose dans des termes encore plus inadmissibles qu'auparavant, compte tenu des réformes intervenues ou annoncées tendant au sacrifice de la politique familiale française au nom de la lutte contre le déficit public et d'une incessante redistribution égalitariste. La proposition du PS est inacceptable parce qu'inéquitable.

Le président du groupe socialiste a provoqué la surprise en évoquant la mise sous condition de ressources des allocations familiales. On croyait le débat enterré depuis l'année dernière où François Hollande s'y était opposé et avait en contrepartie abaissé le quotient familial. Sans oublier que Lionel Jospin y avait déjà renoncé en 1999 après quelques mois d'application. A ces occasions, tout avait déjà été dit sur le caractère universel de la politique familiale, qui n'est pas faite pour mettre en œuvre une redistribution « verticale » entre riches et pauvres, mais une redistribution « horizontale » entre foyers sans enfants et foyers avec enfants. Nous n'y reviendrons pas, mais voulons ici insister sur le caractère encore plus choquant de la proposition du PS compte tenu des réformes intervenues ou annoncées.

La politique familiale serait presque entièrement mise sous condition de ressources

La politique familiale est déjà mise à mal par les propositions actuelles de nature budgétaire : diminution des aides à la garde d'enfant pour les ménages les plus aisés, congé parental, prime à la naissance affectée, décalage de plusieurs prestations.

Rappelons en général que sur un total de plus de 31 milliards d'euros (chiffres 2010), les prestations familiales mises sous conditions de ressources sont maintenant du même niveau (environ 15,5 milliards) que celles attribuées sans conditions de ressources. La proposition aboutirait à ajouter 12 milliards aux prestations sous conditions de ressources, soit à anéantir presque entièrement le caractère universel de la politique familiale.

Le système est déjà très redistributif

Rappelons encore que les cotisations sont progressives alors que les prestations sont fixes, ce qui assure déjà une redistribution importante en faveur des catégories aux revenus modestes.

Lecture : Presque immédiatement au-dessus de la limite d'abattement des bas salaires, à partir de 29.560 euros de revenu, les foyers de 2 enfants cotisent plus qu'ils ne reçoivent. La limite est à 67.430 euros pour les foyers de 3 enfants. Les classes moyennes participent donc très tôt à l'effort de redistribution en faveur des classes modestes [1]. Quelle peut être la logique de justice sociale consistant à aller encore au-delà et à priver totalement de prestations à partir d'un certain niveau de revenus ? Plus on cotiserait et moins on recevrait ? Quant à l'argument selon lequel « les riches n'en ont pas besoin », pourquoi ne serait-il pas utilisé de même pour l'assurance-maladie par exemple – ou pour n'importe quoi ? Et si c'est le cas, pourquoi ne pas alors supprimer à la fois cotisations et prestations pour ces riches ? La réponse est évidente : parce que les cotisations des riches permettent de payer les prestations des plus modestes, comme le démontre le tableau ci-dessus. CQFD.

Allocations familiales, suppression de la première tranche d'IR, quotient familial et RSA

Overdose et ras-le-bol de mesures égalitaristes reposant sur la taxation des classes moyennes, il faut le dire clairement. Au même moment où la mise sous condition de ressources revient sur le tapis, on supprime la première tranche de l'IR avec pour résultat de faire tomber nettement en-dessus de 50% le pourcentage de foyers payant cet impôt sur le revenu, qui est quand même le symbole essentiel de la solidarité nationale : solidarité à sens unique ?

Le sort du quotient familial est encore plus choquant : on voit François Hollande en 2013 se prononcer contre la mise sous condition de ressources des allocations, et la remplacer par une baisse du quotient familial. En 2014 le même Président se renierait en ajoutant à cette baisse la mesure que la première était censée remplacer ? De plus la logique de la réforme du quotient est de refuser aux « riches » le droit de faire bénéficier leurs enfants des mêmes conditions matérielles de vie que celles dont ils jouissent – ce qui est éminemment contestable en soi. Mais, pour rester dans cette logique, tous les enfants, de « riches » comme de « pauvres » doivent être traités de la même façon et donc donner droit aux mêmes allocations ! Et, pour ajouter encore à ce paradoxe, les 1.500 euros de baisse des impôts auxquels donne droit le quotient familial sont notoirement inférieurs à l'apport de prestations qu'entraîne la présence d'un enfant dans un foyer : 254 euros par mois, soit 3.048 euros par an [2] !! Autrement dit, la baisse d'impôts profitant aux classes favorisées sur les revenus quelles génèrent par leur propre activité n'est même pas égale à la moitié des prestations offertes par l'État aux titulaires du RSA…

Enfin, la progressivité des impositions est injuste

Le tableau ci-dessous mesure les écarts d'impôts et d'allocations familiales pour un couple avec 3 enfants suivant quelques hypothèses de revenu.

Écarts d'impôts et d'allocations familiales pour un couple avec 3 enfants suivant quelques hypothèses de revenu.

Bases de travail :

  • Barème d'imposition de 2014 sur revenus 2013 (les réformes annoncées de suppression de la première tranche d'imposition et d'augmentation de la décote n'ont pas pu être intégrées compte tenu de l'incertitude actuelle. Elles auront nécessairement pour effet d'augmenter les distorsions calculées ci-dessous.)
  • On suppose que la suppression des allocations familiales intervient à partir d'un revenu net de 4.900 euros par mois (58.800 euros par an), correspondant à la dernière proposition abandonnée par Lionel Jospin
  • Le revenu de 38.760 euros correspond à la future limite envisagée de taxation 0 de revenu pour 4 parts (9.680 euros par part).
En euros, par an.
Revenu net imposableAllocations familialesIRTotal gain ou perte
38.760 +3.540 0 +3.540
58.800 +3.540 -2.833 +707
70.000 0 -4.401 -4.401
80.000 0 -6.778 -6.778

Lecture : pour une différence de revenu de 11.200 euros entre 58.800 et 70.000 euros, la différence de gain net, après allocations familiales et impôts sur le revenu, n'est plus que de 6.092 euros (perte de 50%). Entre 38.760 et 80.000 euros, l'avantage de redistribution pour le premier revenu est de 10.218 euros.

La conclusion est simple. Cette nouvelle tentative de mise sous condition de ressources des allocations, venant s'ajouter à de nombreuses mesures tendant au même but est inacceptable car inéquitable. Indépendamment de l'abandon du principe d'universalité des prestations familiales pour la quasi totalité de ces prestations, la mesure pénaliserait les classes moyennes qui ne recevraient aucune prestation alors qu'elles cotisent déjà sur une base progressive pour des montants supérieurs aux prestations qu'elles reçoivent. D'autre part, la mesure viendrait doubler la réforme du quotient familial qui était au contraire censée la remplacer - réforme déjà très injuste en elle-même puisque l'avantage fiscal est réduit à une somme de moitié inférieure (1.500 euros) à celle que reçoit un titulaire du RSA (3.048 euros) pour l'entretien d'un enfant.

Si jamais cette mesure venait à être sérieusement débattue, cela demanderait de supprimer les allocations familiales pour les plus hautes rémunérations et en contrepartie, soit supprimer aussi la partie correspondante des cotisations famille, soit rehausser sérieusement le quotient familial, au moins à la hauteur des fameux 3.048 euros par enfant qui semblent être le coût par an communément admis d'un enfant dont la famille bénéficie du RSA.

[1] Même si les cotisations familiales sont des cotisations à la charge de l'employeur, au niveau du salaire « superbrut », lequel figure d'ailleurs sur le bulletin de salaire. La distinction entre cotisations salariales et cotisations patronales est en effet largement artificielle, et le niveau du salaire brut est évidemment fonction du salaire superbrut, c'est-à-dire du coût du travail.

[2] Soit 50% de la prestation d'un adulte seul (509 euros). On utilise la notion d' « unité de consommation », système de pondération de l'OCDE suivant lequel le premier adulte compte pour 1, le second pour 0,5 et les enfants en-dessous de 14 ans pour 0,3. Le RSA est donc encore plus généreux pour les deux premiers enfants que le système de l'OCDE. Par comparaison, le quotient familial français est extrêmement pénalisant et inéquitable au-dessus d'un certain montant de revenu, variable selon les cas.