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L'impôt sur la fortune immobilière est une usine à gaz

Esprit de l'IFI es-tu là? On a connu l'IGF, l'ISF et maintenant l'IFI (impôt sur la fortune immobilière)… Tout cela parce qu'un jour de 1982, François Mitterrand a décidé de taxer les «riches» pour financer le RMI. Un sparadrap que, depuis lors, aucun président n'a pu décoller sauf très épisodiquement. On note aujourd'hui que le gouvernement fait preuve de beaucoup de courage en menant la réforme de l'ISF. Mais, pour faire passer la pilule de la suppression de l'ISF sur les biens mobiliers, le gouvernement accentue le discours sur la taxation d'une - pseudo - rente immobilière, en fixant à la loi un nouvel objectif, celui d'orienter l'épargne vers les investissements dits productifs, comme les placements mobiliers, par opposition aux investissements immobiliers.

Il s'agit là d'un motif d'intérêt général qui n'est pas douteux. Le problème est tout de même la qualification de l'activité immobilière comme «non productive», qui, elle, est plus qu'hypothétique. Il reste en effet à le démontrer, dans la mesure où l'immobilier (construction + activités immobilières) constitue chaque année 16,4% de la valeur ajoutée française. Et ce, d'autant plus que l'immobilier entre 1995 et 2015 a vu la pression fiscale lui incombant augmenter de 39%. Soulignons aussi que, en part de PIB, l'immobilier français supporte 3,3 points d'impôts et taxes quand l'immobilier allemand est à 0,8 point… Un écart qu'on peut chiffrer à plus de 50 milliards d'euros. On retrouve plutôt une motivation fondée sur le concept un peu fumeux de la pénalisation de la «rente».

Le projet de loi est, quant à la détermination de l'assiette de la taxe, un inextricable monument digne des plus grandes œuvres de la technostructure de Bercy, et assuré de causer d'infinis maux de crâne à nos frères contribuables potentiels, bien obligés d'en être les déchiffeurs, ainsi qu'au Conseil constitutionnel, sans doute amené à se prononcer sur sa constitutionnalité.

Inutile de développer le motif d'inconstitutionnalité tenant à la rupture d'égalité devant les charges publiques, qui entraînerait trop loin dans des discussions par trop techniques. À ce sujet, les ambiguïtés essentielles ont été relevées par l'opposition, particulièrement dans les discussions au sein de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Le député Charles de Courson a notamment souligné que celui qui investit dans l'immobilier commercial est exonéré, mais pas celui qui investit dans l'immobilier de logement, ce qui ne correspond à aucun critère de prise de risque ou d'investissement productif, lequel constitue l'objectif de la loi. De même, l'immobilier d'entreprise sera taxé ou non selon notamment ses conditions de détention et des fonctions exercées par le redevable concerné au sein des sociétés détentrices directes ou indirectes… Distinctions que le rapporteur général du budget a confessé ne pas pouvoir expliquer ! Voici un premier motif d'inconstitutionnalité.

Le principal écueil de la loi consiste dans l'intention de taxer la «détention indirecte» (par l'intermédiaire de sociétés) des actifs immobiliers. Les services fiscaux entendent alors retenir comme assiette imposable la valeur des actions possédées «à hauteur de la fraction de leur valeur représentative de biens ou droits immobiliers détenus directement ou indirectement par la société ou l'organisme». Ceci est une nouveauté, puisque sous l'empire de l'ISF les actions elles-mêmes étaient imposées. Ici, le redevable se trouve imposé à une hauteur qu'il est incapable de déterminer au moment où il réalise son investissement, puisqu'il s'agit de la fraction représentative des actifs en question, qu'il ne connaît pas.

En réalité, la notion de «valeur représentative» d'une fraction des actifs est un concept qui n'existe pas. L'administration fiscale cherche ici à taxer la valeur isolée d'un actif social, qui est une fiction. Et si l'on prend comme base la valeur comptable du bien, il ne s'agira pas la plupart du temps de sa valeur réelle, mais de sa valeur «historique», ce qui obligera la société propriétaire - qui n'est pas le redevable fiscal - à pratiquer (sous sa responsabilité ?) une réévaluation fictive de ses biens immobiliers - et de ceux de ses filiales ! Où va-t-on, à part sur la certitude de générer de gigantesques contentieux ?

Le législateur a tellement conscience de cette difficulté qu'il a introduit une disposition prévoyant qu'«aucun rehaussement n'est effectué si le redevable, de bonne foi, démontre qu'il n'était pas en mesure de disposer des informations nécessaires à l'estimation de la valeur des parts ou actions… représentatives des biens ou droits immobiliers qu'il détient indirectement». Autrement dit, ce n'est pas grave si vous ne pouvez pas nous dire combien vous nous devez ! A-t-on jamais vu pareille chose dans un texte fiscal ? Merci quand même de le reconnaître sans ambages.

Que dira le Conseil constitutionnel ? Il n'est pas juge de l'opportunité de la loi, seulement de sa constitutionnalité, mais à l'aune de cette dernière, on peut quand même penser qu'il devrait au minimum annuler la disposition prévoyant la taxation de la fortune immobilière indirectement détenue, pour ne maintenir que celle des biens détenus en direct, ou par l'intermédiaire de SCI fiscalement transparentes. Cela présenterait aussi l'avantage d'éviter de grever les coûts de collecte de l'IFI qui pourraient rester de 112 millions d'euros (pas de redéploiement des services en vue) soit 13% de la (future) recette, un record.

Cette tribune a été publiée dans les pages Opinions du Figaro, mercredi 15 novembre 2017.