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L'État actionnaire face à l'État stratège

Le rapport annuel 2011 de la Cour des comptes revient sur un des rôles de l'État français, celui d'État actionnaire. À travers l'Agence des participations de l'État (APE), l'État actionnaire gère un portefeuille coté en bourse de 69,334 milliards d'euros au 1er septembre 2011. Loin d'être épargné par la crise et les mauvaises performances du CAC 40 (recul de 9,88% de septembre 2010 à septembre 2011), ce portefeuille perd 21,06% de sa valeur comparé à 2010 (87,828 milliards d'euros).

Image : OWNI

Les entreprises dans lesquelles la présence de l'État est significative contribuent à cette détérioration, les baisses de leurs actions sur un an (juin 2010 à juin 2011) étant particulièrement fortes, avec quelques exceptions comme EADS (+27%) ou encore Safran [1] (-2%) :

Chute des cours boursiers sur un an des entreprises où l'État est actionnaire
ADP 9,99%
France Telecom 23,98%
GDF-Suez 27,31%
EDF 39,13%
AREVA 66,32%
AIR France-KLM 68,63%

Source : Bloomberg

Sur 5 années, le constat est similaire, la baisse ayant été de 75% [2]. Plus globalement, en incluant des secteurs qui ne sont pas sous la responsabilité de l'APE (SNCF, Fonds Stratégique d'investissement (FSI) [3], la Française des jeux, Thales, CNP-Assurance, Dexia, La Poste, La Monnaie de Paris, France Télévisions, Renault SA…), le périmètre de l'État propriétaire comprend 57 entités avec un bilan combiné de 660,2 milliards d'euros en 2010. Détails du bilan de l'APE
ACTIFPASSIF
°
- dotation à la caisse de la dette publique & désendettement d'établissements publics de l'État.
- augmentation de capital.
- avance d'actionnaires & prêt assimilé.
- autre investissement financier de nature patrimoniale de l'État.
°
- produits de cessions de titres, parts ou droits de société.
- reversement de dotation de capital.
- produits de réduction de capital ou de liquidation.
- remboursement de créances.
- versement du budget général.

L'action de cet État actionnaire à travers le compte « participation financière de l'État »

Solde du compte de 2005 à 2011
En milliards d'euros2005200620072008200920102011
Prévision PLF [4] 4.000 14.000 5.000 5.000 5.000 5.000 5.000
Recettes constatées (issues du passif) 10.032 17.180 7.726 2.080 3.455 2.983 635
Crédits consommés (issus de l'actif) 10.036 17.170 4.039 1.765 1.198 6.710 716
Solde de l'exercice -4 10 3.687 315 1.657 -3.727 -82
Solde cumulé 210 211 3.897 4.212 5.870 2.143 2.061

Source : Rapport Cour des comptes, mai 2012

Les difficultés économiques sévissant, l'APE perd de l'argent depuis deux ans. Et en réalité, le fonctionnement est le suivant : le solde cumulé (en 2007 la vente d'actions EDF pour un montant de 3,7 milliards d'euros) est reporté tous les ans afin d'éponger les pertes. Et de ce fait les résultats des cessions réalisées par l'État actionnaire ne sont plus attribués au désendettement de l'État ou des établissements publics mais des opérations en capital (augmentation de capital, achat de titres, autres investissements…). En 2011 voici la répartition :

Or, toutes ces dépenses relèvent d'engagements passés et qu'il aurait fallu anticiper ! Car étant en déficit, la conséquence est majeure : L'APE ne finance plus le désendettement de l'État ou d'établissements publics. Par exemple, le remboursement de la dette de 4,5 milliards contractée à cause du Crédit Lyonnais à l'échéance 2014 n'est pas en passe d'être réalisé.

Malheureusement pour 2012, les engagements financiers passés vont encore mobiliser les recettes de l'État actionnaire, il faudra de nouveau financer La Poste, les banques multilatérales de développement et, nouveautés obligent : le MESF et la nouvelle banque d'industrie… alors que ce n'est pas en rapport avec la mission initiale de l'APE. A titre de rappel, « L'État actionnaire s'attache à promouvoir une véritable stratégie industrielle globale : il anticipe les enjeux stratégiques des entreprises et mène une réflexion sectorielle au sein des filières. Il peut favoriser les partenariats stratégiques ou les rapprochements d'entreprises à participation publique, quand ceux-ci sont opportuns, afin de leur permettre de rivaliser avec leurs concurrents mondiaux ».

Or depuis 2003, les prises de participations n'ont cessé de concerner les anciens monopoles publics ultra-endettés (France Telecom, Gaz de France, EDF, ADP, Air France, Areva, La Poste). L'État actionnaire doit faire des choix qui in fine, lui permettront d'engranger des dividendes. Il est important que les ressources ne viennent pas que des prélèvements obligatoires. Et pour cela, il faut définitivement que l'État stratège disparaisse au profit de l'État actionnaire. Les futurs ratios de rentabilité fournis en juillet permettront d'en juger par les chiffres.

L'État actionnaire ?

Dans la plupart des cas, l'Agence des Participations de l'État représente l'actionnaire majoritaire ou le plus important des entreprises où elle intervient. Pour renforcer son rôle opérationnel, cette agence a été rattachée en 2010 au ministère de l'Économie et un nouveau directeur a été nommé. Mais peut-elle se comporter comme le ferait un actionnaire de ce niveau, prenant position sur les stratégies à long terme mais aussi sur les considérations micro-économiques des entreprises concernées ?

Dans toutes les grandes entreprises de son portefeuille, son influence sur les grandes options stratégiques semble faible même dans des projets se chiffrant en milliards ou dizaines de milliards d'euros : choix de France Telecom de se lancer dans l'industrie des contenus puis de la quitter, d'EDF d'investir en Amérique du sud puis du nord, au Royaume-Uni et en Italie, de GdF Suez d'investir au Royaume-Uni pour s'implanter dans les pays en développement, d'AREVA d'acheter une mine d'uranium en Namibie ou d'EADS de lancer en priorité l'A380.

A titre d'exemple, le rapport de la Cour des comptes sur EDF n'avait pas de quoi rassurer les investisseurs, « il faudrait un effort très considérable d'investissement équivalent à la construction de 11 EPR d'ici la fin de 2022. La mise en œuvre d'un tel programme d'investissement à court terme paraît très peu probable, voire impossible, y compris pour des considérations industrielles » et conclut en réclamant qu'une stratégie transparente et explicite soit adoptée. Le meilleur exemple est la prévision de contribution de ces entreprises au budget de l'État, constante chaque année depuis 2007 (5 milliards d'euros) dans le Projet de Loi de Finance traduisant l'absence de considérations macroéconomiques.

Les journalistes Olivier Baccuzat & Boris Cassel dans leur ouvrage Chères, très chères entreprises publiques, ayant décidé d'investir les coulisses de l'APE, ont mis en exergue deux problèmes de taille. D'une part, les représentants de l'État sont présents dans trop de conseils d'administration différents et d'autre part, soit ils ne prennent pas position, soit ils ne font que refléter celles qui ont été prises au sommet de l'État pour des raisons politiques ou politiciennes (fabriquer français, pas de fermetures de sites avant ou après les élections, obligation de rachat d'entreprises en difficulté ou commandes décidées par le pouvoir politique [5]). Le fait que les dirigeants de ces entreprises et les membres de l'APE soient nommés par le gouvernement diminue l'indépendance de ces derniers peu armés face aux centaines de spécialistes techniques et financiers des entreprises qu'ils sont censés conseiller.

L'autre handicap de l'APE est qu'ils n'ont aucune latitude sur le périmètre de leurs entreprises. Un souci constant des gestionnaires normaux est d'optimiser leur portefeuille en investissant dans des secteurs d'avenir et en réduisant la taille de ceux en déclin ou peu rentables. Le fait que cette possibilité soit pratiquement exclue, rejaillit sur le comportement de l'APE et sur celui des dirigeants et des salariés de ces entreprises, tous assurés de leur permanence quels que soient leurs résultats. Pour qu'ils puissent remplir leur rôle, il faudrait leur en donner les moyens quantitatifs et une grande indépendance en faisant entrer des personnalités incontestables du secteur privé comme cela a été fait au comité d'investissement du FSI.

Cette indépendance est d'autant plus un besoin quand on découvre comment les agences de notation pensent : Selon Moody's, Standard & Poors, si un état est en difficulté et n'arrive pas à se gérer, il ne peut pas s'occuper en plus d'entreprises, ce qui entraîne de facto une dégradation des entreprises où l'État a des participations. Une nouvelle attitude des actionnaires publics réduirait donc l'aléa moral. D'ailleurs, cela risque de s'imposer, la Commission européenne ayant déjà adopté de nouvelles dispositions concernant les défaillances d'établissements financiers même publics allant dans le sens de la responsabilisation de l'État actionnaire. En France, cela concernera la banque Dexia.

La proposition adoptée par la Commission européenne du 6 juin 2012 : « Si la situation financière d'une banque devait se détériorer de manière irrémédiable, la proposition prévoit […] qu'il reviendra aux propriétaires (donc aux actionnaires) et aux créanciers de la banque d'assumer les coûts de sa restructuration et de sa résolution, et non au contribuable ». De ce fait les actionnaires et propriétaires du secteur financier seront responsabilisés, ce qui renforcera la stabilité et la confiance pour, in fine, le retour à une économie renforcée.

Si l'État est un actionnaire de long terme qui pense rester au capital pour toujours, il apparaît surtout concentré sur des problèmes de court terme (Seafrance, Lohr, Photowatt, Novatrans, Renault, STX, Transdev Veolia pour le moment) fournissant rarement des perspectives économiques à moyen terme et long terme. C'est un fait inquiétant quand on connaît le projet du gouvernement d'intervenir encore plus fortement dans la gestion des entreprises privées en renforçant les structures d'investissement public existantes (CDC, FSI, OSEO) et en en créant une nouvelle sous la forme d'une Banque Publique d'Investissement. Les résultats de la gestion par l'APE des entreprises dont l'État est actionnaire ne plaident pas pour cette méthode.

[1] A l'heure du redressement productif, cet état des lieux de l'État actionnaire traduit l'avenir possible de l'industrie. C'est l'industrie de haute technologie. Le rapport Camdessus-Pébereau de 2005 réclamé par le ministre de l'économie de l'époque N. Sarkozy avait déjà sonné l'alerte. Et de façon pragmatique, il insistait sur le besoin de se lancer dans l'industrie de haute technologie.

[2] d'après Challenges

[3] L'État détient 49%, le reste est détenu par la Caisse des dépôts et consignations. Ce dernier a investi 7,1 milliards dans 1.800 entreprises en 3 ans.

[4] Estimation des recettes qui formeront les dépenses. Par conséquent pour chacun des exercices les recettes doivent être égales aux dépenses.

[5] Comme la commande récente de TGV par la SNCF à Alstom ou d'éoliennes marines aux entreprises françaises