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Les mesures fiscales efficaces : l'exemple britannique

Partie III.2 Allons chercher la croissance !

Par Gérard TARDY, Directeur de Noble Fund Managers Limited.

Je suis venu de Londres, où je vis depuis une dizaine d'années, pour ce colloque. J'ai créé mon entreprise à Londres en l'an 2000, que j'ai revendue il y a deux ans. Je fais ce métier de Business Angel essentiellement en Grande-Bretagne et de temps en temps en France. Je participe aussi à un groupe qui s'appelle Le Cercle d'outre-Manche, qui réunit des chefs d'entreprises français installés à Londres qui comparent les pratiques anglaises avec les pratiques françaises.
Nous préparons un rapport sur le lien entre universités / création d'entreprises / Business Angels. Ce rapport verra le jour dans un mois environ.

De temps en temps, j'aime revenir aux termes. Ce terme « Angel » est un terme anglais ancien, qui désignait les personnes finançant les productions théâtrales. Ce terme a été repris dans une acception américaine. La définition qu'en donne Wikipédia – que je trouve excellente – est la suivante : « Un Business Angel est un individu fortuné, souvent un entrepreneur ayant réussi, qui apporte des fonds à des sociétés en phase de lancement ou de croissance, en général en échange d'une participation au capital, et qui les fait profiter de son expérience professionnelle. » Tout est là. Depuis le début, nous avons abordé les mesures fiscales, mais dans le concept de Business Angels, en tout cas tel qu'il est compris en Grande-Bretagne, il y a beaucoup cette idée d'implication personnelle, de mentoring, du fait que ce n'est pas simplement l'argent qui travaille, mais l'expérience professionnelle.

« Les Business Angels risquent leur propre argent »

J'ai voulu lister ce que font les Business Angels. Il faut démarrer par cette idée que les Business Angels risquent leur propre argent. Par rapport au métier que j'exerce en partie, qui consiste à gérer un venture capital trust, l'équivalent d'un FCPI à la française, en tant que Business Angel, c'est mon propre argent.

« Les Business Angels souhaitent contribuer plus que par leur argent. »

Le Business Angel investit, en général, dans la formule anglaise, après les 3 F (Friends, Family and Fools). C'est-à-dire dans une phase intermédiaire entre le tout premier démarrage avec des ressources souvent familiales et avant les fonds institutionnels, lesquels interviennent de plus en plus tard. Nous avons déjà parlé du montant de leurs investissements. Les vrais Business Angels investissent souvent plusieurs fois par an, mais ce sont quand même des gens très difficiles à convaincre. Demandez à tous ceux qui ont essayé de lever de l'argent auprès d'eux ! Les Business Angels agissent seuls ou en réseau, nous l'avons dit. Une idée très importante, c'est qu'ils sont libres dans leur décision. Les Business Angels prennent souvent beaucoup de temps pour se décider. La liberté est un concept extrêmement important.

« Sans naïveté »

Et, bien entendu, ils espèrent gagner de l'argent à la sortie. Ils voient les aides fiscales, non pas comme un don, mais comme la juste compensation du risque. Comme ils sont entrepreneurs, ils abordent cela sans aucune naïveté. Il n'y a qu'à regarder les résultats des fonds qu'ils investissent dans les phases d'amorçage. C'est un métier très difficile où les chances de gagner de l'argent sont faibles. S'il n'y avait pas d'avantage fiscal, les chances de perdre de l'argent seraient absolument énormes. Donc, l'avantage fiscal est la simple compensation par rapport à un risque qu'il serait absurde de prendre, compte tenu de toute leur expérience, si justement il n'y avait pas cet avantage fiscal.

Quelques mots sur les structures britanniques

Il y en a de multiples. La structure la plus courante pour les Business Angels, c'est l'EIS (Enterprise Investment Scheme). L'EIS existe depuis longtemps, a connu un certain nombre d'évolutions. Elle est relativement importante. Les montants levés en 2006-2007 atteignaient 600 millions de livres sterling, soit près de 1 milliard d'euros. En 2005, ils s'élevaient à 1 milliard de livres sterling, soit 1,4 milliard d'euros. Cela représente beaucoup d'argent. L'EIS donne un avantage fiscal qui, par contre, peut paraître relativement faible, mais les pertes en capital sont prises en compte. Les pertes en capital peuvent être considérées comme des pertes sur le revenu. Comme vous savez qu'en Grande-Bretagne, les personnes fortunées paient 40 % d'impôt sur le revenu, elles peuvent en déduire ces pertes. Avec cette prise en compte des pertes, cet avantage fiscal est relativement important. Ce qui frappe par rapport à la France, ce sont les montants maximum à investir par personne. La Grande-Bretagne atteint 400 000 livres par personne. Je vous rappelle qu'en Angleterre, la notion de foyer fiscal n'existe pas. S'il y a un couple, le montant peut donc être multiplié par deux. Les conditions sont évidemment beaucoup plus libérales qu'en France. Cette fameuse mesure de minimis est importante. Je ne sais pas comment les Anglais se sont débrouillés, mais en tout cas beaucoup mieux que nous en France ! La mesure n'existe que depuis un an et n'a pas beaucoup plu en Grande-Bretagne. Depuis un an en effet, une entreprise anglaise ne peut pas recevoir d'EIS ou d'autres structures semblables plus de 2 millions de livres par an. Deux millions de livres représentent quand même 2,8 millions d'euros. À ma connaissance, aucune autre aide n'est comprise dans ce plafond. J'ajoute que l'Engineering anglais étant ce qu'il est, il y a de multiples manières de ne pas vous embarrasser pour passer à côté de ces plafonds. En tout cas, la Grande-Bretagne a réussi là où nous nous battons entre 250 000 et 1,5 million d'euros. Voilà pour les entreprises EIS. Elles s'adressent essentiellement aux individus, donc des Business Angels agissant seuls ou éventuellement par l'intermédiaire de programmes d'EIS.

Il existe également des VCT (Venture Capital Trust). J'ai créé, par exemple, le premier VCT spécialisé dans les métiers de la santé, qui est mon domaine d'action. Je gère personnellement un VCT. Gérer un VCT est plutôt comparable aux FCPI ou FCPR. Le VCT s'adresse à des personnes du profil Business Angel, mais nous ne pouvons pas dire que les personnes qui investissent dans un VCT jouent un rôle de mentoring dans les affaires. Pour prendre l'exemple de notre discipline, nous avons 22 investisseurs qui sont relativement loin de l'investissement. Le régime VCT est plus favorable que celui de l'EIS : 30 % sont immédiatement déduits à l'entrée dans le VCT et non pas au moment où le VCT investit, puisque nous mettons du temps à investir l'argent que nous collectons. Le montant par personne est de 200 000 livres. Il a été doublé par monsieur Gordon Brown, pourtant accusé d'être très à gauche dans le régime anglais. Il y a donc deux ans, le plafond est passé de 100 à 200 000 livres par an et par personne. L'année dernière, les montants investis ont atteint 400 millions de livres, ce qui a été considéré comme une mauvaise année, puisque certaines années ont connu des montants de l'ordre de 600 millions de livres.

Quelques éléments de comparaison

Je me suis livré, moi aussi, à l'exercice des comparaisons France/Grande-Bretagne et je m'aperçois que nous arrivons aux mêmes chiffres globalement. J'ai d'ailleurs été un peu plus généreux pour ce qu'il se passe en France. En Grande-Bretagne, les chiffres sont peut-être mieux validés. Les Business Angels sont environ 30 000 qui investissent en moyenne 750 millions d'euros, dans 3 500 entreprises.

La comparaison avec les États-unis est également intéressante. Les États-Unis représentent environ six fois la Grande-Bretagne ou six fois la France. Aujourd'hui, entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, le rapport est d'un à deux. Globalement, il y a deux fois plus de Business Angels aux États-Unis qu'en Grande-Bretagne et 7,5 fois plus qu'en France. En ce qui concerne les montants, ceux-ci regagnent un avantage : les Business Angels américains investissent nettement plus que leurs homologues anglais : le rapport serait d'un à quatre. En ce qui concerne le nombre d'entreprises financées, le rapport est semblable.

J'ai établi une comparaison entre les Business Angels et les fonds institutionnels, soit FCPI, FCPR, etc. cette comparaison révèle que les Business Angels anglais investissent à eux seuls nettement plus que tous les ventures capitalistes institutionnels français : 500 millions de livres, soit 750 millions d'euros. Tous les ventures capitalistes français institutionnels ont investi, dans l'année de référence 530 millions d'euros. Aux États-Unis, les Business Angels investissent autant que tous les fonds institutionnels américains. J'ai été un membre fondateur de l'AFIC et à son conseil pendant de nombreuses années. L'AFIC (Association française des investisseurs en capital) a réalisé un très bon travail, mais en ce qui concerne les montants investis dans les entreprises en démarrage ou en phase initiale de croissance et en termes de nombre d'entreprises bénéficiaires, les Business Angels représentent plus que les fonds institutionnels : 3 500 entreprises en Grande-Bretagne financées par les Business Angels contre 500 financées par les grands fonds.

So what ?, comme disent les Anglais. J'ajoute un point d'actualité. Gordon Brown, parmi les mesures récentes qu'il a prises et qui ont fait couler beaucoup d'encre, a transformé le régime de la taxation sur les plus-values. Il a créé un système plus simple d'ailleurs ! Maintenant, la taxation sur les plus-values en Grande-Bretagne est de 18 %. Il a présenté ce projet comme une mesure de simplification. Ce qu'il n'avait pas vraiment dit, c'est que pour les Business Angels justement ou pour les entrepreneurs ou pour les cadres employés dans les grandes entreprises, le système anglais assez compliqué aboutissait à 10 %. Cette mesure a déclenché une véritable révolte du monde entrepreneurial anglais. J'ai participé à des réunions dont l'atmosphère était plus que houleuse. Finalement, monsieur Darling a annoncé, il y a un mois, que le régime allait être remis à 10 % jusqu'à un plafond de 1 million de livres sterling par personne. Je reviens à la seule idée ou presque, que j'aimerais que vous reteniez de cette présentation. En France, quand nous parlons de Business Angels, nous raisonnons en milliers, en dizaines de milliers d'euros.

En Grande-Bretagne, les personnes raisonnent en centaines de milliers de livres, voire en l'occurrence en un million de livres. Cela fait toute la différence. Nos chiffres marquent des progrès, mais restent à l'échelle du pays relativement insignifiants. Dans le même temps, la Grande-Bretagne crée une société d'entrepreneurs qui réagit quand un gouvernement s'attaque au monde de l'entreprise et le pousse à revenir en arrière.

Cet article fait partie du colloque Allons chercher la croissance ! Les entrepreneurs sont notre avenir.