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Les contradictions du forfait social

Le forfait social a été inventé en 2009 pour faire participer certains revenus jusqu'alors exonérés, au financement de la protection sociale. Il concerne actuellement l'intéressement, la participation et les plans d'épargne salariale, ainsi que les contributions aux régimes de retraite supplémentaires d'entreprise à cotisations définies. Son taux était à l'origine de 2%, élevé progressivement à 8% en 2011, et il vient de faire un nouveau bond à 20%. Les sommes annuellement consacrées par les entreprises à cette épargne salariale sont évaluées à 18,5 milliards (8,8 millions de salariés recevant 2.100 euros par an en moyenne). C'est loin d'être négligeable, ce qui attise les convoitises budgétaires. La Cour des comptes avait en 2011 estimé que l'augmentation à 19% du forfait social ferait rentrer 4 milliards d'euros dans les caisses de l'État. C'est désormais chose faite, mais l'État se place en porte-à-faux à au moins trois titres.

Faut-il ou non favoriser la participation des salariés aux résultats des entreprises et le financement des entreprises ?

C'était l'idée du Général de Gaulle, sans cesse améliorée depuis, et c'était aussi un thème plusieurs fois abordé par François Hollande pendant sa campagne. Le forfait social à 20% va inévitablement provoquer un coup de froid sur le développement du système, d'autant que cette taxation intervient sur les sommes versées par les entreprises même lorsque le salarié décide de les épargner. La baisse de l'épargne salariale frappera en priorité les salariés les plus modestes, car c'est souvent « la seule épargne qu'ils ont les moyens d'avoir ». Ils sont d'ailleurs aujourd'hui 12,3 millions à disposer en moyenne de 7.600 euros d'épargne salariale accumulée. C'est cet objectif de partage du profit et d'épargne populaire qui est battu en brèche, ainsi que ceux, tout aussi importants, du financement à moyen terme des entreprises et du financement long de nos retraites. Certes, en tant qu'élément de rémunération des salariés, la « justice fiscale », si souvent invoquée, plaide en faveur de prélèvements sociaux comme sur les salaires. Il n'en reste pas moins qu'il faut savoir ce que l'on veut. Il existe de nombreuses autres dérogations fiscales, et en particulier celles qui portent sur les livrets d'épargne, complètement exonérés et dont le montant vient d'être doublé. La fiscalité de l'assurance-vie est aussi un sujet. Était-il souhaitable d'arbitrer ainsi en faveur de l'épargne à court terme (pour les livrets d'épargne en tout cas) au détriment des objectifs de l'épargne salariale ? Nous ne le pensons pas. Avons-nous tort aussi d'y voir la marque de l'influence des syndicats, toujours opposés à cette forme de rémunération ? Dommage qu'avec l'appui du Budget ils aient conduit le chef de l'État à une renonciation.

Une contribution patronale qui n'aura pas le rendement escompté

Depuis l'annonce de la hausse du forfait social les grandes entreprises ont toutes lancé des travaux d'ajustement des montants versés (accords d'intéressement et règles d'abondement des plans d'épargne). Des mises en place ou majorations de régimes de retraite supplémentaires ont été suspendues. Il est également à craindre que les petites entreprises, dont l'équipement en épargne salariale a considérablement progressé depuis la loi « Fabius » de 2001, mais qui reste insuffisant, renoncent à s'équiper. Ces ajustements à la baisse et ces renoncements réduiront d'autant les flux taxables et viendront diminuer le rendement attendu de cette taxe, de la CSG CRDS et de l'impôt sur le revenu. Par ailleurs, cette taxe réduit intrinsèquement l'assiette des bénéfices imposables des entreprises (manque à gagner d'IS). Sans parler de la perte de productivité liée à la réduction de ces dispositifs traditionnellement générateurs de motivation et de baisse de l'absentéisme.

Une contribution patronale qui ne se justifie pas

La Cour des comptes avait justifié le taux de 19%, porté maintenant à 20%, par le fait qu'il correspondait à l'addition des cotisations maladie et famille. Ceci nous ramène à l'actualité brûlante, qui est celle de l'allègement des charges patronales et du transfert de ces cotisations dites de solidarité qui pèsent sur les entreprises vers d'autres sources de financement. Aussi longtemps que les taux restaient faibles, on pouvait fermer les yeux. Mais il s'agit maintenant d'augmenter encore de 4 milliards les cotisations patronales. Les entreprises renâclent, et elles ont raison, d'autant qu'économiquement ces rémunérations présentent le caractère de dividendes, dont elles ont l'aléa en tant que participation aux résultats. Il n'y a aucune raison, si ce n'est de facilité, pour que les cotisations pèsent sur les entreprises.

On peut prédire des discussions fournies sur cette nouvelle augmentation des cotisations patronales, et surtout sur la révision à la baisse des accords d'intéressement et de participation. Des entreprises l'ont d'ores et déjà annoncé, ce qui ne manquera pas d'alimenter le risque de déclin de l'institution de l'épargne salariale.

Enfin, nous avons là un exemple typique du caractère artificiel de la distinction entre cotisations patronales et salariales, puisqu'ici le montant de l'épargne salariale ne peut s'apprécier qu'en net, toutes charges déduites. L'abolition de cette distinction permettrait d'éviter de nombreuses discussions qui n'ont pas lieu d'être (sauf pour certaines prestations comme celles d'AT-MP qui doivent rester à la charge des entreprises), et de mieux préparer la réforme qui s'impose, et à laquelle le gouvernement semble maintenant prêt à s'atteler, du financement de la protection sociale.