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Le Smic n'est pas une mesure du niveau de vie

Ne pas confondre économie et solidarité

Le gouvernement a tranché, ce sera 2% de coup de pouce, dont 1,4% qualifié d' « avance » sur la revalorisation automatique à venir au 1er janvier prochain pour tenir compte de l'inflation, et donc seulement 0,6% de véritable coup de pouce. C'est un peu comme la prime à la casse pour les automobiles, sera-t-on contraint de pérenniser l'avance pour éviter une absence de hausse l'année prochaine ? Quoi qu'il en soit, cette hausse mécontente tout le monde, les syndicats parce qu'elle reste insensible par ceux qui la perçoivent, le patronat parce que malgré sa faiblesse, elle n'est pas du tout indifférente aux résultats déjà exsangues des entreprises ni sans effet sur l'emploi. Mais avant tout, on a tort d'en faire un symbole tout à la fois de la lutte des classes et du pouvoir d'achat des salariés. Voici pourquoi.

La question rituelle, « peut-on vivre avec 1.100 euros par mois ? », est mal posée. Elle confond en effet l'économie, qui doit répondre à la question de l'emploi, avec la politique, comprise comme expression du devoir moral de solidarité. Et on aurait tort de fustiger les entreprises qui-ne-cherchent-qu'à-s'en-mettre-plein-les-poches, car ce ne sont pas les grandes entreprises qui rémunèrent leurs salariés au Smic, mais les TPE, les artisans et petits commerçants, catégories professionnelles qui ne distribuent pas de dividendes et dont les finances se situent la plupart du temps sur le fil du rasoir.

Si l'on place la question du Smic au plan de la solidarité, il faut considérer non pas le salaire seul, mais le revenu de ceux qui le perçoivent, c'est-à-dire compte tenu des effets de la redistribution publique, et aussi des situations individuelles.

Les médias se faisaient récemment l'écho d'employés évoquant l'insuffisance de leurs salaires alors qu'ils travaillaient à temps partiel, et « obligés » de recourir au RSA pour combler leurs fins de mois. Ce qui prouve au moins deux choses : c'est d'abord, comme les économistes ne cessent de le clamer, que l'insuffisance de ressources tirées du travail tient essentiellement à l'insuffisance du temps de travail, qu'il s'agisse des interruptions entre emplois successifs comme du temps partiel au cours d'un même emploi. A ce sujet, on aura beau augmenter le Smic, même dans de grandes proportions, on n'aura pas résolu la question. Même avec une hausse de 20%, un salaire à mi-temps de 550 euros ne passera qu'à 660 euros, et ce sera toujours très insuffisant pour vivre ; par contre on est certain de l'effet désastreux d'une telle hausse sur l'emploi.

La seconde chose que l'exemple indiqué révèle, c'est l'efficacité des mécanismes de redistribution, et du RSA en particulier, même si l'on comprend le malaise que ressentent les personnes « obligées » d'y faire appel. Une étude récente de la Direction du Trésor, passée trop inaperçue [1], relève l'importance de cette redistribution (voir encadré).

[( Comment le niveau de vie des salariés au Smic bénéficie-t-il de la redistribution ?

Les conclusions essentielles de cette étude :
- En général le niveau de vie n'est pas dépendant du salaire au niveau du Smic puisque 30% des salariés au Smic se situent dans les cinq premiers déciles de niveau de vie, et que le salaire ne représente qu'un quart de ce niveau dans le bas de l'échelle.

- Le système socio-fiscal accroît le niveau de vie moyen des salariés au Smic de 8,5%, et les prestations diverses représentent 12% de leur revenu disponible.

- Le revenu disponible a augmenté de 10% pendant que le salaire minimum n'augmentait que de 5%, et, selon les situations, la progression du revenu disponible a été entre 2 et 7 fois plus dynamique.

- Les situations sont extrêmement variées en fonction des configurations familiales, mais l'augmentation des revenus disponibles est attribuable aux dispositifs de soutien à l'emploi (PPE et RSA) ainsi qu'à la réforme des allocations-logement).

- Le volume total de travail sur l'année est la principale cause d'insuffisance des revenus du travail. )] Deux faits saillants : 30% des salariés au Smic appartiennent aux cinq déciles de niveau de vie les plus élevés ; dans le bas de l'échelle des niveaux de vie, les salaires des individus au Smic du premier décile de niveau de vie ne représentent qu'un peu plus d'un quart du revenu disponible de leur ménage. Ce sont les mécanismes de redistribution, PPE, RSA, prestations et fiscalité, dépendant eux-mêmes de la composition familiale des ménages auxquels les salariés appartiennent, qui expliquent cette disparité entre salaire et niveau de vie.

Dès lors, la question du niveau de vie est très mal posée, et il est regrettable que le gouvernement se laisse enfermer dans un débat qui ne se pose absolument pas dans les mêmes termes que lorsque le salaire minimum a été institué, c'est-à-dire à une époque où ce salaire constituait véritablement la mesure du niveau de vie de ceux qui le percevaient.

Quelques chiffres démontrent la cacophonie des positions prises sur le sujet : alors que le gouvernement a fixé le coup de pouce à 0,6%, la CGT et le Front de gauche revendiquaient une hausse de 22% que la CFDT estimait quant à elle tout à fait irréaliste, cependant que FO demandait 5%. Quant à la CFTC, elle renonce à se placer sur le seul terrain du salaire pour se placer, à juste titre certes, sur celui du niveau de vie des ménages,… mais dans ce cadre elle revendique ce qu'elle appelle un « revenu de dignité » égal, pour un couple avec deux enfants, à 3.300 euros mensuels. Soit l'équivalent de 3 Smics mensuels actuels, ce qui placerait le ménage en question dans le sixième décile de niveau de vie. Rappelons qu'à l'heure actuelle un couple avec deux enfants, dont un seul adulte travaille à mi-temps, doit se contenter de 1.300 euros par mois, avec son revenu d'activité, les allocations familiales et le RSA (522 euros), mais hors allocation logement.

La bonne approche consiste effectivement selon nous à se placer sur le terrain de la solidarité, plutôt qu'à demander aux revenus du travail ce qu'ils ne peuvent pas faire, c'est-à-dire assurer le pouvoir d'achat d'une famille entière où par exemple une seule personne est active. C'est d'ailleurs la solution qu'ont choisie nos voisins européens. L'exception luxembourgeoise mise à part, et compte tenu de la durée légale du travail inférieure en France, le Smic horaire français est le plus important d'Europe. Au Royaume-Uni, même le Smic mensuel est beaucoup plus bas (l'équivalent de 1.200 euros brut), mais les revenus d'assistance permettent de compléter le salaire à une hauteur au moins égale à celle de la France. L'Allemagne ne connaît pas (ni l'Italie non plus), sauf dans certains secteurs, de salaire minimum, mais là aussi les revenus d'assistance comblent la différence, par exemple dans le cas des mini-jobs qui allègent considérablement le coût du travail pour les entreprises. La Belgique et les Pays-Bas connaissent des Smic-jeunes. Les exigences aiguës de compétitivité commandent d'adopter ce type de solution en France. Aux entreprises d'assurer l'emploi, à la solidarité nationale d'assurer le pouvoir d'achat des plus défavorisés.

La conférence sociale de juillet prochain ne manquera pas d'évoquer la question des salaires. La CFTC appelle à ce que les « réflexions sur la politique globale des salaires et d'autres formes de rémunération » aboutissent lors de cette conférence. Il est certain que la seule politique des salaires ne permettra pas de régler la question des bas revenus, qui tourne essentiellement autour de l'insuffisance de l'emploi et de la prise en compte des besoins des ménages par opposition aux individus. En évoquant les « autres rémunérations », la CFTC n'a pas tort, mais la question n'est pas de la compétence de la conférence qui va s'ouvrir entre les partenaires sociaux.

[1] « Le niveau de vie des salariés au Salariés au Smic »,Trésor-eco, No 99 de mars 2012, fondée sur les statistiques de l'année 2010.