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Le projet avorté de réforme du CCRAD

La commission des finances du Sénat avait été audacieuse (voir supra). Afin de réformer le fonctionnement du Comité consultatif pour la répression des abus de droit, elle avait insisté sur trois axes majeurs de réforme visant à renforcer son indépendance (d'aucun diront son impartialité), mais aussi son caractère consultatif préalable au contentieux.

Une fausse bonne idée : le pluralisme renforcé du CCRAD

Les apparences sont souvent trompeuses… les parlementaires ont en effet proposé une ouverture de la composition du CCRAD vers la société civile, avec le projet d'entrée de praticiens de professions libérales au sein du comité. Force est de constater qu'il s'agit en réalité d'une fausse bonne idée. Voyons en détail pourquoi :
- Tout d'abord la proposition de faire entrer un notaire : ici se pose un problème éthique qui rejaillit sur la neutralité de l'institution. En effet, les notaires sont frappés par une obligation légale de dénonciation (comme la majorité des professions juridiques disposant d'un secret professionnel, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment) qui selon certaines sources expliquent en leur qualité de position charnière entre les contribuables, leur patrimoine et le fisc qu'ils soient bien souvent les premiers aviseurs de ce dernier (voir notre article : « Perquisitions fiscales contraires aux droits de l'Homme ! » publié sur www.ifrap.org).
- Ensuite, concernant les avocats, les mêmes réserves doivent s'appliquer… aucune disposition ne permet en réalité de présumer leur impartialité, notamment à cause de leur possible participation au sein des commissions départementales des impôts (CDI) en qualité de commissaires chargés de défendre les intérêts des contribuables.
- Enfin s'agissant des experts comptables, leur indépendance est également sujette à caution, notamment lorsque l'on s'avise de penser que le commissaire du gouvernement siégeant au sein des conseils régionaux de l'Ordre, n'est autre que le Directeur régional des services fiscaux ou l'un de ses adjoints (par exemple arrêté 3 août 2000, J.O. 1er septembre 2000 p.13588). Il résulte en effet depuis une délibération du Conseil supérieur de l'Ordre, qu'un représentant du conseil de l'Ordre dans l'accomplissement de sa mission, pouvait emporter la comptabilité de clients pour procéder à des vérifications (CE. 31 mars 2003 n°229839 : « Considérant (…) que les experts comptables (…) chargés du contrôle interne (…) peuvent et doivent recevoir communication de toutes pièces et documents de travail et notamment des dossiers de la clientèle). Sachant que ce représentant est potentiellement dépendant indirectement du directeur des services fiscaux, en sa qualité de membre de droit du conseil régional des experts comptables, la neutralité problématique de ces représentants au sein du Comité doit être relevée. Il existe donc en l'absence de dispositions complémentaires pour renforcer l'indépendance et la neutralité des membres de ces professions nommées au sein du CCRAD, un véritable conflit d'intérêt potentiel.

Il s'agissait en effet, de parvenir a extirper tout soupçon de conflit d'intérêts par la proposition d'un nouvel article 1653 D dans le CGI et la modification substantielle des règles présidant à la nomination des membres et au fonctionnement du CCRAD. Petit tour d'horizon :
- Il s'agissait en premier lieu d'élargir la composition du comité, afin de sortir de l'ornière des Grands corps qui en paralysaient l'ouverture : y adjoindre des membres de professions libérales autorisées : notaires, avocats, experts comptables (ainsi que des suppléants), tout en s'assurant de l'absence de conflit d'intérêts avec les cas traités (voir encadré). Le nouveau dispositif se serait alors accompagné d'une limitation de la durée des mandats des membres, qui actuellement n'est prévue par aucun texte ! Limiter l'exercice de leur fonction à 6 ans, aurait évité d'aboutir à des nominations pratiquement à vie.
- Il s'agissait ensuite de constater que l'avis du CCRAD ne devrait pas, puisqu'il est théoriquement consultatif, renverser la charge de la preuve. L'avis aurait été susceptible tout au plus d'éclairer les débats contentieux à venir, mais simplement à titre accessoire, l'administration devant quoi qu'il arrive apporter la preuve de la faute du contribuable.
- Enfin, le projet d'amendement proposait de renforcer le respect du contradictoire, en permettant enfin au contribuable et à son conseil d'être auditionnés en même temps que le rapporteur de l'administration fiscale par les membres du comité. C'est malheureusement à cette ambitieuse réforme que Bercy s'est opposé. Et ce, d'une façon on ne peut plus dilatoire. En effet, tout en partageant les avancées du projet, le ministre du Budget et des comptes publics Eric Woerth a enterré la réforme, en soumettant toute avancée législative en ce sens, à la rédaction préalable d'un rapport susceptible « d'enrichir le débat », préparé par Olivier Fouquet, ancien président de la section des finances du Conseil d'Etat. La lettre de mission est pourtant des plus vagues : « conduire une réflexion d'ensemble sur la sécurisation juridique des relations entre l'administration fiscale et ses contribuables . » Espérons que les conclusions et propositions qui devaient être rendues publiques en janvier ou février 2008 ne tarderont pas à venir… bien que la tournure prise par les évènements soit plutôt celle d'un enterrement de première classe.

Signalons toutefois que Bercy ne sera pas parti les mains vides. En effet dans le PLFSS 2008 (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale), le gouvernement a accepté au contraire un élargissement des prérogatives du CCRAD en matière d'abus de droit « social », c'est-à-dire visant à condamner les actes « ayant pour objet d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des cotisations et contributions sociales ». Aux termes du nouvel article L.243-7-2 du code de la Sécurité sociale : « En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis (…) à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit », à la demande de l'organisme chargé du recouvrement ou du cotisant. Une façon comme une autre de contribuer à renforcer l'activité du Comité consultatif. Il faut dire que contre toute attente en effet, les statistiques récentes du CCRAD avaient montré au contraire en renforcement significatif des avis rendus au profit du contribuable.

Le CCRAD :

- Intro : Lorsque Bercy passe en force : la non-réforme du CCRAD
- Partie I : Le projet avorté de réforme du CCRAD
- Partie II : Le CCRAD : Un comité plus favorable au contribuable !