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Le bouclier fiscal remis en cause ?

Un bouc émissaire pour des politiques en mal de recettes budgétaires

Plusieurs députés de la majorité, après l'avoir voté en 2007, veulent « trouer » le bouclier fiscal à 50 %. En tête d'un cortège qui va de Charles de Courson à François Goulard, Pierre Méhaignerie, président de la commission des Affaires sociales à l'Assemblée nationale est intervenu à l'occasion du collectif budgétaire pour demander que CSG et CRDS ne soient plus comprises dans le calcul des 50 % d'impôt maximum à payer par rapport aux revenus. Ce débat est plus une question de symbole qu'une question budgétaire puisque seulement 14 000 contribuables [1] ont utilisé le bouclier fiscal au titre de l'année 2008 sur les quelque 235 000 qui auraient pu y prétendre (voir Bouclier fiscal et auto-liquidation).
Le « coût » du bouclier fiscal s'établit ainsi pour le Trésor à 458 millions d'euros en 2008.

"Trouer" le bouclier fiscal est le type même de la fausse bonne idée d'autant plus que rares sont ceux, mis à part Jean Arthuis, Président de la commission des Finances du Sénat, et Gilles Carrez, Rapporteur général du Budget à l'Assemblée, qui évoquent de supprimer concomitamment l'ISF. Le bouclier fiscal doit prendre en compte tous les prélèvements obligatoires, y compris la CSG car il répond aux principes inscrits dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il est par ailleurs conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, laquelle prohibe le caractère confiscatoire de l'impôt. Son taux de 50 % est identique a celui qui a été retenu en Allemagne par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe dès 1995.

Les adversaires du bouclier fiscal ont beau jeu de relever que le bouclier fiscal à 50 % n'a pas encore fait rentrer réellement les fortunes parties s'installer dans des pays à la fiscalité moins confiscatoire comme la Suisse, la Belgique ou le Royaume-Uni. Le bouclier a en revanche permis de freiner le rythme des délocalisations des fortunes. Pour la première fois depuis 2000, le nombre des délocalisations de fortunes à baissé en 2007 pour atteindre 719, soit – 15 %. Il serait totalement contre-productif de donner à nos plus gros patrimoines à nouveau un signal d'instabilité fiscale dont la France est coutumière. Une remise en question du bouclier fiscal briserait la confiance.

Dans cet esprit, l'iFRAP avait proposé que le montant maximum de 50 % d'imposition soit inscrit dans la constitution. Surtout en temps de crise, ces patrimoines sont indispensables à la France, car ce sont eux qui peuvent faire rebondir la croissance. Inutile de les pousser à prendre le chemin vers la Suisse, pays qui a su jouer de son attractivité fiscale, où le chômage en hausse est à 3,4 %. En effet, ce sont ces mêmes contribuables stigmatisés pour riches (un tiers de ceux qui ont fait jouer le bouclier) qui ont injecté plus de 900 millions d'euros dans le capital des entreprises et dans les emplois de demain grâce à la mesure ISF-TEPA. Ces capitaux propres pour les entreprises créent les emplois marchands de demain. Au cœur de cette réflexion sur le bouclier fiscal doit ainsi se situer le problème de l'emploi.

Augmenter les recettes pour faire face à des dépenses non contenues, qu'elles soient sociales ou budgétaires, est une vieille tendance bien connue de nos politiques et de nos budgétaires. Plutôt que de baisser les coûts de fonctionnement de l'Etat ou de se poser la question du périmètre des dépenses sociales, la facilité consiste à remettre en question une mesure de justice fiscale qui, il y a encore peu, faisait l'unanimité dans la majorité. La réalité est que, malgré les alertes, la France ne réussit pas à baisser ses dépenses publiques, notamment celles de fonctionnement et celles liées à sa masse salariale. Alors, nos parlementaires n'ont d'autre choix que d'imaginer les revirements les plus improbables même si cela doit grever la création des millions d'emplois marchands qui manquent à l'appel et condamner la France à la paupérisation.

Rien qu'au niveau de l'Etat, tous les ans, 120 milliards sont dépensés en traitements des fonctionnaires. La prochaine augmentation du point d'indice de 0,8 % des fonctionnaires va coûter au moins 600 millions d'euros en 2009. Cette dépense supplémentaire annoncée, au-dessus de l'inflation, n'a pas provoqué de remous au Parlement alors qu'on annonce dans le même temps licenciements et baisses de salaires dans les entreprises. Avant de vouloir augmenter les impôts, ne serait-il pas de bon sens de contraindre l'existant et de s'abstenir de dépenses nouvelles ? Courageux, le gouvernement irlandais a, quant à lui, annoncé des mesures de baisse des dépenses publiques de fonctionnement et, notamment, une baisse du salaire des fonctionnaires de 7 %. Si l'objet du débat actuel est de faire participer à l'effort général ceux qui sont potentiellement moins victimes de la crise, la France pourrait s'inspirer de la politique irlandaise et geler, tant que la crise fait rage, les salaires du secteur public.

[1] On peut s'interroger sur le faible recours des contribuables concernés au bénéfice du bouclier fiscal. La procédure de réclamation à caractère contentieux conçue par la DLF afin de bénéficier du bouclier peut en effet inciter au contrôle fiscal. C'est pourquoi d'ailleurs seuls deux types de contribuables ont utilisé en 2007 comme en 2008 le dispositif du droit à restitution. D'une part les très gros patrimoines par l'intermédiaire de cabinets fiscaux. D'autre part, de très petits contribuables dont les revenus modestes n'impliquaient aucune sorte de contestation. Le marais des bénéficiaires « moyens » reste dissuadé d'utiliser le bouclier par le spectre du redressement fiscal.