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L'administration a-t-elle réussi à priver les redevables de l'ISF du bouclier fiscal ?

Le bouclier fiscal, instauré par la loi de finances pour 2006, avait été annoncé par le Premier ministre en septembre 2005. L'objectif de ce bouclier était officiellement de limiter les prélèvements fiscaux à un niveau qui soit, sinon tolérable, du moins ne touche pas à l'absurde.

Depuis l'institution de l'IGF avec l'arrivée des socialistes en 1981, de nombreux contribuables se trouvaient taxés au-delà de leurs revenus et, de fait, contraints à l'exil. Des décisions de la Cour de Carlshrue en Allemagne et des procès intentés auprès de la Cour de Justice européenne laissaient présager que cette situation allait devenir intenable pour le gouvernement français et le bouclier fiscal est plus une invention des fiscalistes de Bercy pour éviter un changement forcé que le geste d'un gouvernement venant au secours de contribuables pressurés.

Mais, à la lecture de la dernière circulaire d'application publiée par la Direction Générale des Impôts le 15 décembre 2006, on peut se demander si le recul de la DGI en matière d'ISF n'est pas purement cosmétique car cette circulaire annule en pratique la plupart des effets bénéfiques du bouclier fiscal.

La circulaire rappelle que "seuls les impôts correspondant aux montants régulièrement déclarés sont pris en compte" pour la comparaison du total des impositions avec le revenu et l'établissement du plafond de 60%. Les mots “régulièrement déclarés” sont dans la loi mais les contribuables l'ont interprété comme devoir déclarer en temps et en heure et sans omission. Dans sa circulaire, l'Administration prévoit que les suppléments d'impôt résultant d'une rectification des montants déclarés ne seront pas pris en compte pour le calcul du bouclier fiscal et que le total des impôts après rectification peut ainsi dépasser 60% des revenus. De plus il est expressément prévu que cette augmentation s'appliquera même si le contribuable, conscient d'une incertitude, a signalé le problème par une "mention expresse" alors que pour les autres impôts, ce système est admis pour prouver sa bonne foi et dispenser des intérêts de retard. Donc, un contribuable ayant une incertitude sur le mode d'évaluation d'un bien apprend aujourd'hui qu'il aurait dû choisir l'an dernier le mode le plus défavorable pour pouvoir bénéficier du bouclier fiscal...

Plus grave, la circulaire indique que la demande de remboursement de l'impôt trop versé, appelée "l'impôt indu" lors de l'annonce officielle de l'instauration du bouclier, constitue "une réclamation contentieuse" ; cette appellation a deux conséquences :

- Elle allonge de fait de 2 ans le délai de prescription normalement de 3 ans. Elle ouvre en effet un nouveau délai de prescription jusqu'au 31 décembre 2010 pour les demandes de restitution déposées en 2007 sur l'ISF 2006 en fonction des revenus 2005 ; ainsi la déclaration des revenus 2005, normalement prescrite au 31/12/2008 devient vérifiable jusqu'au 31/12/2010 ! De même l'ISF 2006 voit son délai de prescription allongé d'un an ; pratiquement un contrôle sur le bouclier fiscal permet le contrôle simultané de cinq années d'IRPP et de cinq années d'ISF.

- Donner des chiffres inexacts dans une réclamation contentieuse peut constituer "un manquement délibéré" passible d'une majoration de 40% des droits et peut-être même, une "manœuvre frauduleuse" passible d'une majoration de 80%. Le contribuable peut aisément être accusé de tels manquements dans le cas d'évaluations touchant l'immobilier et les sociétés non cotées dont l'évaluation est toujours sujette à caution. Ainsi une demande d'application du bouclier fiscal faisant suite à un ISF dans lequel figurent des valeurs estimées (immobilier, sociétés non cotées), si le fisc peut appliquer une majoration des estimations fournies par le contribuable, pourrait entraîner un supplément d'ISF, hors bouclier, majoré des intérêts de retard et d'une pénalité de 40 à 80% !

Ces deux dispositions auxquelles aucun contribuable ne pouvait raisonnablement penser en établissant ses déclarations à la suite de l'annonce du premier ministre seront certainement de nature à inciter les contribuables possédant des biens dont la valeur vénale n'est pas fixée par un tiers de façon indiscutable à ne pas demander l'application du bouclier et à laisser le trésor public bénéficier de "l'impôt indu".

Lors d'une récente réunion d'information sur ce sujet, un grand notaire parisien a même évoqué la possibilité que l'administration établisse une liste des contribuables redevables de ISF, ayant droit à l'application du bouclier et ne l'ayant pas demandée, afin d'aller y voir de plus près !

L'Administration a su retourner le bouclier fiscal contre le contribuable assujetti à l'ISF.