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La suppression de la taxe d'habitation n'a aucun intérêt pour l'économie française

Tous les mercredis, avant le Conseil des ministres, Le Macronomètre, l'observatoire des réformes du gouvernement lancé par la Fondation iFRAP, attribue une note aux réformes d'Emmanuel Macron. La note de la semaine du Macronomètre est présentée dans le Figaro. Cette semaine : 3/10 sur la promesse de campagne d’exonération à 80% des ménages de la taxe d’habitation.

Pendant la campagne, Emmanuel Macron a annoncé la suppression de la taxe d'habitation pour 80% des ménages. Cette taxe bien connue des Français est un impôt local dû par tout contribuable (propriétaire ou locataire) occupant au 1er janvier de l'année une habitation en tant que résidence principale ou secondaire. 30 millions de feuilles d'imposition à la taxe d'habitation sont émises chaque année, cependant 4,9 millions de ménages ne l'ont pas payée en 2016, soit parce qu'ils sont déjà bénéficiaires d'une exonération totale, soit parce que les abattements dont ils jouissent ont conduit à une annulation de leur impôt.

La taxe d'habitation a rapporté 23 milliards d'euros aux communes et intercommunalités en 2016. En 2020, elle aurait rapporté 26 milliards d'euros. C'est environ un tiers des recettes du bloc communal.

La mesure relative à la baisse progressive de la taxe d'habitation pour 80% des ménages a été votée dans le projet de loi de finances 2018. La bascule s'effectue par tranches de dégrèvement de 30% en 2018, 65% en 2019, 100% en 2020. À terme, 80% des ménages aujourd'hui assujettis devraient ainsi se voir dégrevés de la TH.

La montée en charge du dispositif présente un coût budgétaire de 3 milliards en 2018, 6,6 milliards en 2019 et 10,1 milliards d'euros à compter de 2020. Le seuil d'exonération n'est pas uniforme. Il dépend de la composition du foyer fiscal selon les critères choisis par le gouvernement. Ces plafonds ont été confirmés lors de la présentation du projet de loi de finances le 27 septembre 2017:

  • Personne célibataire sans enfant (1 part fiscale): revenu fiscal de référence (RFR) inférieur à 27.000 euros par an, soit 30.000 euros de revenu perçu ;
  • Couple sans enfant (2 parts fiscales): revenu fiscal de référence (RFR) inférieur à 43.000 euros par an, soit 47.760 euros de revenu perçu ;
  • Couple avec 1 enfant (2,5 parts fiscales): revenu fiscal de référence inférieur à 49.000 euros par an, soit 54.480 euros de revenu perçu ;
  • Couple avec 2 enfants (3 parts fiscales): revenu fiscal de référence inférieur à 55.000 euros par an, soit 61.080 euros de revenu perçu ;
  • Couple avec 3 enfants (4 parts fiscales) : revenu fiscal de référence inférieur à 67.000 euros par an, soit 74.400 euros de revenu perçu ;
  • Puis +6.000 euros de RFR par demi-part supplémentaire.

L'exonération possible de la taxe d'habitation ne concerne que la résidence principale et donc pas les 3,3 millions de résidences secondaires (montant estimé entre 1 et 1,5 milliard d'euros).

Même si la taxe d'habitation est critiquable pour son caractère inéquitable (elle est très variable selon les communes), lié notamment à l'obsolescence de ses bases, et pour son coût de collecte important, sa suppression sur la résidence principale pour 80% des ménages impliquerait une très forte concentration de l'impôt sur les 20% de ménages restants.

Cette hyperconcentration pourrait déboucher - même si cela n'a pas été le cas en décembre 2017 - sur une censure du Conseil constitutionnel pour rupture caractérisée d'égalité devant les charges publiques… D'où l'annonce d'une suppression totale de la taxe d'habitation en 2020 sur l'ensemble des résidences principales, dont la date n'a pas encore été arrêtée mais qui pourrait être votée dès le projet de loi de Finances 2019.

Cela aboutira à un véritable casse-tête fiscal local sur lequel se penchent tous les technos mais aussi tous les maires. Sachant que le gouvernement s'est engagé noir sur blanc à ne pas créer de nouvel impôt pour compenser la suppression de la TH, il ne peut que jouer à la hausse sur des impôts déjà existants… et au bonneteau fiscal pour en amortir le coût. Le comité des finances locales qui s'est réuni sur le sujet fin février entrevoit la solution (un peu tordue) suivante :

En acte I: transférer la part départementale de la taxe foncière au bloc communal, afin de récupérer 16 milliards d'euros dans le giron des communes et intercommunalités à l'horizon 2020. Mais manquent encore 10 milliards. Est évoquée pour combler ce trou, une part de TVA allouée au bloc communal....

En acte II: pour combler le trou créé par la suppression de la taxe foncière dans les recettes des départements, l'idée du Comité des finances locales est… d'augmenter la CSG, soit 1,3 point.

À force de complexité, on comprend mal la finalité de cette «réforme». Concentrer plus l'impôt ? Exonérer de tout impôt local les locataires et faire haro sur les propriétaires ? Créer une taxe foncière en fonction des revenus ou une fraction spécifique en direction des locataires ? Rendre la CSG plus progressive ? Surtaxer encore plus les résidences secondaires sous couvert de Airbnb en fusionnant cette part de TH avec la taxe de résidence ? Toutes les mauvaises fées de la fiscalité semblent se pencher sur ce berceau issu d'une promesse électoraliste mal ficelée.

Même dans sa version actuelle, telle que votée en loi de finances 2018, la mesure n'a aucun intérêt pour l'économie française. Supplément de consommation, dont une partie non négligeable en faveur des importations (+3 milliards), effet négatif sur le solde public (+7,5 milliards d'euros de supplément de déficit)...

N'y avait-il pas un dossier plus urgent sur la fiscalité locale ? Celui de la baisse des taxes sur la production qui grèvent la compétitivité de nos entreprises de quelque 80 milliards d'euros par an. Pas assez électoraliste ?