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Jeux en ligne : Le projet de loi sur l'ouverture à la concurrence ne va pas assez loin

Cette semaine, le projet de loi relatif à l'ouverture des jeux en ligne à la concurrence est examiné à l'Assemblée nationale. Tout le monde aurait pu croire que l'ambition du projet de loi était de faire de la France un challenger sérieux face aux redoutables concurrents anglais, maltais et italiens.

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L'Etat plume-t-il les joueurs ?

Il n'en sera rien car la quasi-intégralité des activités ludiques : jeux de grattage, jeux de tirage, paris hippiques, machines à sous en dur, ne seront bien évidemment pas ouverts à la concurrence. Seuls les jeux en ligne bénéficieront de l'ouverture à la concurrence. En matière de jeux en ligne, l'enjeu est d'importance : le marché français devrait représenter un potentiel de 2 milliards d'€ en 2010 assorti d'une croissance de 20-25%/an. Dans le même temps les marchés anglais, italien et espagnol représentent déjà respectivement des marchés de 4 milliards, 3 milliards et 1,2 milliard d'€ par an.

Malheureusement, même circonscrit aux jeux virtuels le projet d'ouverture est moins attractif qu'il aurait pu l'être :

- Du point de vue des joueurs, la fiscalité ludique ne devrait pas être beaucoup plus attractive. Elle n'évoluera pas beaucoup par rapport à celle qui existe déjà en matière de jeux en dur. Dans les secteurs ouverts à la concurrence, c'est-à-dire essentiellement en matière de paris sportifs, hippiques et de poker, l'alignement de la fiscalité en ligne et de la fiscalité en dur s'effectuera par le haut. Ainsi, les paris sportifs et hippiques se verront taxés à 7,5% sur les mises, contre 8,28% et 9,3% comme antérieurement. L'effort est donc minime lorsqu'on sait que les taux anglais sont de 1,5% suivis de près par l'Italie, dont les taux officiels de 4,4% vont progressivement converger vers les taux anglais. Du côté de la fiscalité sur le poker, elle semble s'alléger à 2% contre 2,42% pour les jeux en dur, mais elle sera prélevée sur l'ensemble des mises et non plus sur le produit brut des jeux (chiffre d'affaires de l'opérateur) contrairement au poker sur table, ce qui pourrait déstabiliser économiquement le secteur, comme se fut le cas en Italie où une expérience similaire a déjà été tentée.

- Du point de vue des professionnels agréés le « big-bang » concurrentiel annoncé ne sera vraisemblablement pas au rendez-vous. Actuellement, les monopoles historiques : le PMU et la Française des Jeux, seuls autorisés depuis 2001 à délivrer une offre de paris en ligne, réalisent respectivement des chiffres d'affaires de 540,4 millions et de 219,2 millions d'€ sur ce segment. Puisque dans un premier temps le marché français en ligne est estimé à 2 milliards d'€, les parts de marché à conquérir risquent d'être limitées à 1,24 milliard d'€. Bénéficiant d'une solide expérience en la matière, les monopoles publics ne vont donc pas partir à égalité avec les nouveaux titulaires de licences. Leurs plus gros concurrents seront les gros opérateurs étrangers tels que Betclic, Bwin, Unibet etc… qui disposent déjà d'une offre internet importante et sont autorisés à Londres, Malte ou Gibraltar. En conséquence, la concurrence débridée n'aura sans doute pas longtemps lieu, et les nouveaux entrants, à commencer par les casinos (Groupe Barrière, Tranchant, Partouche) qui ont lancé différentes formules de jeux en ligne depuis Malte, voire le Belize ou Londres, vont se retrouver rapidement distancés. D'où un phénomène inévitable de concentration allant jusqu'à jeter des groupes privés dans les bras des monopoles publics. En ce sens, les récentes annonces relatives aux rapprochements entre le groupe Barrière et la Française des jeux (FDJ) sur une offre de poker en ligne doivent être soulignés.

Quelle sera l'étape d'après ? Dans un arrêt récent Bwin c/ Santa Casa , la Cour de justice des communautés européennes a affirmé que la régulation du secteur des jeux relevait de la politique de chaque état-membre, faisant ainsi échec aux principes de la libre prestation de service et de reconnaissance mutuelle [1]. Pour autant, l'ensemble des monopoles nationaux doivent justifier leur existence devant les instances communautaires à raison de l'effectivité de leur politique de canalisation de l'offre de jeux et de lutte contre l'addiction (une part significative des recettes devant être allouée par ailleurs à des missions d'intérêt général). Dans ces domaines, la situation française semble très instable. Non seulement le budget alloué à la lutte contre l'addiction est émietté et purement cosmétique (environ 10 millions d'€ pour un marché 35,6 milliards d'€), mais surtout, l'immense majorité des recettes publiques (5,2 milliards d'€) est engloutie par le budget général (en vertu du principe d'universalité budgétaire). Les seules politiques publiques dûment identifiées bénéficiant d'affectations sur recettes significatives étant les paris hippiques (736,4 millions d'€ soit 8% des mises) et à un bien moindre degré le Centre National de développement du sport avec une dotation plafonnée de 160 millions d'€. A la marge, le projet de loi en discussion permettra le déplafonnement du prélèvement au bénéfice du sport sur les paris sportifs [2]. Il subsiste donc toujours une possibilité de remise en cause des monopoles publics français sur les jeux par la Commission européenne et significativement la Française des jeux.

Quoi qu'il en soit, si les offres « légales » de jeux à l'issue du vote de la loi ne sont pas suffisamment attractives, les joueurs n'hésiteront pas à jouer auprès d'opérateurs fiables et dûment agréés en dehors des frontières via Internet. Dès à présent, les habitudes sont prises, et pas moins de 25 000 sites « illégaux [3] » aux pedigrees très variables sont consultés par les joueurs français. En dernière analyse et en dépit des projets de filtrage envisagés par les pouvoirs publics auprès des fournisseurs d'accès Internet, il y a gros à parier que ce seront les joueurs en ligne et non les politiques qui trancheront.

[1] Celui-ci stipulant en pratique que l'agrément reçu dans un pays membre pour un opérateur de jeux, pourrait l'être également dans tout pays membre et réciproquement

[2] Devraient également y gagner les organisateurs d'évènements sportifs qui bénéficieront d'une monétisation accrue des droits à l'image.

[3] Selon l'hypothèse la plus pessimiste, puisqu'en réalité d'après les observateurs non institutionnels de la profession, leur nombre serait plus proche des 1000 gérés par une centaine d'acteurs vraiment significatifs en Europe