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Fiscalité : l'erreur de M. Piketty

Bernard Zimmern, président-fondateur de la Fondation iFRAP, et François Saint-Cast, docteur en économie, cosignent une tribune dans Les Échos où ils démontrent que notre fiscalité est déjà très progressive.

L'idée circule actuellement que les pauvres paieraient sur leurs revenus plus d'impôts que les riches. Cette idée ne serait-elle pas une contrevérité ? C'est pourtant ce que démontrent les chiffres de Thomas Piketty, le chercheur qui fait circuler cette rumeur et qui, dans un essai « Pour une révolution fiscale » et sur son site Revolutionfiscale.fr, tente de faire croire que les prélèvements fiscaux français sont régressifs et qu'il faut accroître les impositions sur les riches.

Ces inégalités se concrétiseraient sous forme de courbes où sont rangés, en abscisse, tous les Français dans l'ordre de leurs revenus, du plus bas à gauche au plus haut à droite, et, en ordonnée, le pourcentage de prélèvements payés par chaque fraction de la population (voir graphique cidessus).

C'est ainsi qu'au centre de l'essai de Thomas Piketty, page 50, figure la courbe 1 où le dernier point à droite regroupe 5.000 personnes, dont, entre autres, Madame Bettencourt ; elles ne contribuent qu'à 33 % aux prélèvements collectifs alors que les plus pauvres contribuent à 40 %.

D'où l'indignation de l'auteur qui s'exclame, page 70, que « les chômeurs sont plus imposés que les actionnaires ».

Sauf que, dans cette courbe, il n'y a ni Mme Bettencourt ni les chômeurs. En effet, subrepticement, ont été exclus les chômeurs et les retraités puisque, au lieu de 50 millions, n'y figurent que les 20 millions de Français de 18-65 ans qui travaillent plus de 80 % de leur temps.

En prenant non plus 20 millions de Français mais le tableau STI3 de Thomas Piketty englobant 50 millions, on tombe sur la courbe 2 déjà beaucoup plus progressive où les « riches » sont plus imposés que les « pauvres ».

Si, ensuite, on prend non plus les revenus bruts (hors RSA, minima sociaux...) mais les revenus réels dits secondaires, après redistribution, on obtient alors la courbe 3 encore plus progressive.

Cette courbe est reprise (à droite sur le graphique) en s'en tenant aux déciles et montre bien la progressivité des prélèvements. Ce que confirme le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de mai 2011. D'où, pour démontrer les inégalités de la société française, la nécessité d'aller mettre le microscope sur le dernier centile de la population et de l'allonger afin de rendre spectaculaire une microchute du pourcentage d'impôts payés par le centile le plus riche.

Un artifice supplémentaire de Thomas Piketty consiste à ajouter dans les revenus les bénéfices non distribués par les sociétés. Au prétexte que les actionnaires s'enrichissent potentiellement. Alors que la valeur des actions a chuté en dix ans. Si on enlève ces revenus fictifs, on passe de la courbe 3 à la courbe 4. La chute ainsi magnifiée est en fait minuscule. Sur ce centième des Français qui paient déjà plus de 90 milliards de prélèvements obligatoires, le « manque à taxer » devient inférieur au milliard d'euros.

On pourrait cependant s'élever contre cette inégalité, même minuscule, si l'on n'oubliait pas un impôt essentiel payé pour presque sa totalité par les deux derniers centiles des plus hauts revenus et qui renverse la chute de la courbe. Impôt essentiel car s'il n'y a plus personne pour le payer, notre économie s'arrête : l'impôt-risque.

L'impôt-risque, c'est ce que les riches paient en patrimoine perdu parce qu'ils osent investir dans des entreprises. Ces pertes annuelles sont de l'ordre d'au moins 4 % des capitaux propres des entreprises françaises, soit plus de 40 milliards ; dont environ la moitié sur le dernier centile. Nous sommes très au-delà du milliard de prélèvements manquant détecté par le microscope des inégalités.

Si des « entreprenants » n'acceptent pas de courir ce risque, le financement en capitaux propres de nos PME s'arrête. Problème d'autant plus grave que là où les entreprises françaises sont à 120 milliards d'autofinancement (amortissements et bénéfices non distribués), les Anglais et les Allemands sont à 220 et 240 milliards. Et Thomas Piketty voudrait taxer les revenus non distribués, alors qu'il faudrait plus que les doubler pour que notre industrie reste compétitive et fabrique des emplois... ?

Notre avenir est-il dans plus de taxation ou dans la création de richesse ?

François Saint-Cast est docteur en économie, Bernard Zimmern est président de la Fondation iFRAP.

Cette tribune a fait l'objet de commentaires sur des blogs :

"Comment je me suis fait manipuler par Thomas Piketty", sur le blog d'Aymeric Pontier