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Fiscalité et réforme de l'Etat en Suisse

Un modèle à suivre !

La Suisse fascine ! Combien de fois a-t-on entendu dire que les réalités helvétiques ne dépendaient que de l'héritage et de la culture locale rendant caduque toute tentative d'acclimatation des réformes administratives entreprises au sein de la confédération aux états alentours ? Combien de fois aussi a-t-on entendu dire que ce qui valait pour un petit état fédéral de 26 cantons, ne saurait être appliqué à des réalités politiques plus vastes, et qui plus est dans des états unitaires et non fédéraux ?

D'aucuns en effet nous serinaient dans un ouvrage récent « La Suisse c'est foutu [1] ? » et sous-titraient « une espèce à part ». L'ouvrage que nous livre François Garçon « Le modèle Suisse. Pourquoi ils s'en sortent beaucoup mieux que les autres » (Perrin, 2008) constitue en quelque sorte une réponse consistante en même temps qu'un démenti. Non seulement la Suisse n'est pas en perte de vitesse, mais en plus elle sait tirer parti de ses avantages et travaille à renforcer sans cesse son attractivité.

Aux origines de son succès tout d'abord, son esprit de stabilité. La Suisse a connu en tout et pour tout 110 conseillers fédéraux en 160 ans, depuis 1848 et la proclamation de la République fédérale après la guerre du Sonderbund. Ensuite et n'en déplaise aux esprits chagrins de l'exil fiscal, si une grande partie des sièges sociaux de grandes sociétés multinationales s'est installée à Genève, ce n'est pas pour fuir la pression d'une fiscalité trop lourde : le choix de Genève est ainsi paradoxal parce que la fiscalité cantonale y est deux fois plus élevée qu'à Zurich par exemple.

La raison du choix de la Suisse c'est d'abord la simplicité des procédures déclaratives : une entreprise consomme en moyenne 132 heures pour ses formulaires fiscaux en France, contre 63 en Suisse, malgré la superposition des déclarations fédérales et cantonales. Les Suisses l'ont bien compris, « le temps c'est de l'argent ». C'est ensuite une main d'œuvre qualifiée et multilingue, ainsi qu'un code du travail peu changeant. C'est enfin une société qui ne brocarde pas « les riches étrangers » bénéficiant de niches exorbitantes avec la formule des forfaits, et l'auteur d'indiquer « Ces fameux riches (...) constituent aussi une manne pour les industries suisses du bâtiment, de l'alimentation, des services, etc... ». En conséquence en octobre 2007, la Suisse décidait le renforcement des forfaits fiscaux en laissant la compétitivité intercantonale jouer sans laisser de plancher minimum.

Justement c'est sans doute sur le volet de la fiscalité cantonale que l'auteur fait œuvre la plus utile. A l'opposé des mécanismes péréquateurs verticaux et horizontaux à la française, conduisant à la déresponsabilisation des acteurs locaux, et dont les effets sont l'accroissement des inégalités entre les collectivités, qu'il s'agisse de la richesse produite ou du revenus par habitant (l'un d'ailleurs évoluant souvent à l'inverse de l'autre, comme on peut le vérifier par exemple au Vésinet dans un sens, ou en Seine-St Denis dans l'autre), l'auteur nous propose la réforme de la péréquation Suisse.

La clé de la réforme, c'est la RPT entrant en vigueur au 1er janvier 2008 : la péréquation financières par répartition des tâches est un mécanisme permettant de prohiber les doublonnages des interventions centrales et locales sur les mêmes tâches en y adjoignant une règle correctrice incitative de diminution des mécanismes de péréquation interrégionaux avec une réduction du fonds de péréquation de 5% chaque année, la RPT devant s'achever ainsi en 2033.

Et ce développement de la concurrence fiscale entre collectivités locales se traduit par des éléments concrets : déplacement par exemple d'Ernesto Bartarelli le vaudois qui quitte son canton pour l'Oberland Bernois à Saanen. La raison : une fiscalité locale très attractive. Résultat, la commune décide de baisser encore ses impôts car les rentrées occasionnées par l'arrivé du milliardaire ont augmenté dans des proportions considérables les ressources communales. La concurrence accrue entre les collectivités locales permet donc un développement plus important des territoires et non une marginalisation des collectivités les plus modestes ou reculées. Quand l'attractivité permet d'encourager le développement local et la responsabilité collective !

Le mérite de François Garçon est d'avoir renversé la problématique généralement avancée sur un pays que l'on connaît finalement très peu, mais dont on ne peut douter qu'il sait gérer ses finances publiques et se servir de l'arme fiscale comme un atout au service du développement économique national et non comme un boulet. L'auteur traite d'ailleurs de bien d'autres questions : éducation, logement, développement économique, démocratie et histoire... et l'inventivité suisse qu'il traque dans son enquête ne peut que forcer l'admiration d'un lecteur qui pour observer un petit pays, ne peut qu'entrevoir le chemin à parcourir pour rendre certaines de ces réformes envisageables chez son grand voisin.

[1] Mossé, Claude, La Suisse c'est foutu ?, éditions du Rocher, 2003, 357 p.