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Exil fiscal : les nouvelles dispositions fiscales françaises en cause …

Dans le différent fiscal qui oppose en ce moment la France à la Confédération Helvétique [1], nous avons précisé dans un récent article que la rigidification de la position suisse aboutissait, du point de vue du contribuable français, à rapidement clarifier sa situation fiscale.

Ce que nous n'avons pas encore abordé c'est le fait que les évolutions réglementaires et législatives récentes ou en cours, concourent elles aussi à renforcer l'arbitrage entre la légalisation interne (régularisation auprès de la cellule de dégrisement) ou externe (obtention d'un statut de résident permanent hors de France) de la situation personnelle des contribuables disposant de valeurs à l'étranger.

Nous avons déjà soulevé le problème de la légalité de l'exploitation des données de la liste des 3000 titulaires de comptes en Suisse, dans le cadre « d'un fichier autorisé par la Commission nationale de l'informatique et des libertés. » Celui-ci a en effet été créé par arrêté du 25 novembre 2009 et se prénomme désormais EVAFISC. Il est chargé de recenser l'ensemble des titulaires de comptes à l'étranger. L'accès à ces informations étant autorisé aux agents de la direction nationale des enquêtes fiscales et des directions chargées du contrôle [2] dans les termes les plus larges [3].

Par ailleurs, côté législatif, le projet de loi de finances rectificative pour 2009 en cours de discussion au Sénat, prévoit, avec la création d'une cinquantaine d'agents du fisc disposant de pouvoirs de police judiciaire, le déclenchement d'une procédure d'enquête fiscale dérogatoire par rapport au droit commun (sans que le contribuable ne soit avisé de la saisine de la Commission des infractions fiscales et sans que ne lui soit communiqué l'avis de cette commission ! (sic)). Or celle-ci ne peut être initiée que sur saisine du parquet ou de la chambre de l'instruction, lorsqu'il existe « des présomptions caractérisées » d'infractions fiscales avec possibilité de dépérissement de preuve et (condition cumulative) qu'il y ait eu recours à l'utilisation de faux (ce qui vise spécifiquement le grand banditisme), mais aussi, et là c'est beaucoup plus sensible, de façon indépendante ou cumulative [4] l'usage de comptes détenus directement ou indirectement (ce qui vise notamment les trusts) dans des états non-coopératifs [5].

Il ressort d'une application littérale de ce texte que des possesseurs lambda de comptes à l'étrangers, qui par ailleurs pourraient les détenir dans des pays considérés comme ETNC (états et territoires non coopératifs au sens du futur article 238-0 A CGI), pourront être poursuivis de plein droit en vertu de cette procédure dérogatoire. Or la classification des ETNC est elle aussi relativement ambiguë : le troisième critère d'identification étant le fait de « ne pas avoir au 1er janvier 2010 conclu avec la France, non plus qu'avec au moins douze Etats et territoires, une convention d'assistance administrative… ». Or cette disposition peut se comprendre comme l'obligation stricte de n'avoir pas conclu avec la France et 11 autres territoires une convention d'assistance administrative ou alternativement (ce qui respecterait à la lettre les standards de l'OCDE) de n'avoir pas conclu 12 conventions fiscales avec des territoires qui puissent ne pas inclure la France spécifiquement. Le mécanisme de révision de la liste « noire » française n'apporte aucune clarification et renvoie la « sortie de la liste » à l'appréciation du Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations en matière fiscale.

Concernant la Suisse, les sénateurs viennent, le 17 décembre, d'inscrire par amendement la Suisse sur la liste noire française des paradis fiscaux au 1er janvier 2010. Or une telle position n'est pas juridiquement tenable [6] selon les termes mêmes du projet initial de loi de finances rectificative : en effet, celui-ci précise que les « Etats ou territoires ayant signé avec la France, avant le 1er janvier 2010, une convention d'assistance administrative (…) ne sont pas inscrits à cette date sur la liste ». Or précisément la Suisse, même en suspendant le processus de ratification de l'accord, l'a bien signé le 27 août 2009, ce qui la fait sortir de droit de la liste française en cours d'élaboration. Dans cette affaire, Bernard Valero le porte-parole du Quai d'Orsay cherche à calmer le jeu : « nous espérons que la ratification de cet avenant, qui fait suite à une longue période de négociations avec nos amis suisses et qui constitue une étape importante sur le chemin de la transparence fiscale, ne sera pas remise en cause ou retardée à l'excès. » La balle semble être maintenant entre les mains de Bercy.

[1] Et qui rebondit aujourd'hui au niveau pénal dans la mesure où le Département de la justice suisse vient de renouveler la demande de restitution des codes des bases de données volées auprès des autorités françaises en assortissant celle-ci d'une date butoir fixée au 25 décembre prochain en vertu de la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959. Le seul échappatoir pour la France étant d'invoquer l'article 2 de la convention qui dans son b) précise que"L'entraide judiciaire peut être refusée (…) Si la partie requise (en l'espèce la France) estime que l'exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de son pays."

[2] DNVSF (direction nationale de vérification des situations fiscales), DVNI (direction des vérifications nationales et internationales), DRESG (Direction des renseignements à l'étranger et des services généraux), DIRCOFI (direction du contrôle fiscal pour les moyennes entreprises) ainsi que les directions territoriales concernées.

[3] On ne voit pas d'ailleurs dans ces circonstances quel service fiscal ne pourra pas avoir accès à ces informations sensibles.

[4] Et c'est toute l'ambiguïté de l'usage du « ou » (qui peut être analysé comme cumulatif ou alternatif).

[5] Si l'on accepte l'anglicisme « non coopératif » à la place de « non coopérant ».

[6] D'où la rédaction sibylline de l'amendement déposé par les sénateurs Philippe Marini et Jean Arthuis, respectivement rapporteur et Président de la commission des finances puisqu'il vise à étendre l'inclusion dans la liste noire « aux pays qui ont manifesté leur intention de suspendre (le processus de) ratification », ce qui empiète manifestement sur la souveraineté de la partie cocontractante en cherchant à lui « forcer la main ». Légiférer dans un domaine réservé traditionnellement à la diplomatie est un exercice périlleux.