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Comparaison du chiffrage de Nicolas Sarkozy avec le programme de stabilité

A l'instar des cinq grands candidats à l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy a proposé un chiffrage recueillant les mesures déjà actées ou acquises et les annonces effectuées dans le cadre de la campagne présidentielle. L'originalité de Nicolas Sarkozy est de détailler ces mesures en indiquant qu'elles s'inséreraient dès à présent dans le cadre des programmes de stabilité notifiés par la France à la commission européenne, plus particulièrement ceux figurant dans la « stratégie pluriannuelle des finances publiques » mis à jour en décembre 2011 et dans le cadre de l'actuel « programme de stabilité 2012-2016 ». A la clé, l'annonce d'un effort global (prélèvements et recettes confondus) sur nos finances publiques de 115 milliards d'euros afin de parvenir à un objectif d'annulation du déficit en 2016. Notre comparaison avec le programme de stabilité transmis à Bruxelles par la France donne un différentiel de plus de 8 milliards en 2016 [1].

[(

Trajectoire pluriannuelle de finances publiques
(% du PIB) 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Solde public-5,2-4,4-3,0-2,0-1,00,0
Dépenses publiques 55,9 55,8 55,1 54,2 53,4 52,6
Recettes publiques 50,8 51,5 52,1 52,2 52,4 52,6
Dette publique au sens de Maastricht 85,8 89,0 89,2 88,4 86,4 83,2
Dette publique hors soutien financier à la zone euro 85,1 86,6 86,5 85,4 83,3 80,4
Sources : programme de stabilité 2012-2016 )]

Première remarque : alors que la trajectoire pluriannuelle des finances publiques a sensiblement évolué pendant la période séparant la publication des deux documents, les efforts d'ajustement pour les pouvoirs publics sont strictement les mêmes. Le tableau général de programmation reste donc inchangé tout comme les efforts en recettes et en dépenses à réaliser. On ne contestera pas cette présentation qui a le mérite de permettre une vraie imputation des économies à réaliser en fonction des années. Cependant, la ventilation annuelle n'a pas été précisément documentée. La cellule de chiffrage du candidat, dûment contactée, n'a pas souhaité préciser. La Fondation iFRAP procède donc à sa propre imputation ce qui permettra de s'interroger sur le degré de « sincérité budgétaire » des mesures avancées.

[(

Plan de consolidation de 115 milliards d'euros sur la période 2011-2016
(milliards d'euros) Montants consolidés 2011-2016
Dépenses74
Mesures déjà votées 39
Mesures à documenter 35
Recettes41
Mesures déjà votées 33
Mesures à documenter 8
Total115

)]

Selon les prévisions du Gouvernement, le volume du plan d'ajustement budgétaire se répartit entre 74 milliards en économies réalisées sur les dépenses et 41 milliards de recettes supplémentaires. Sur ces deux grandes masses, 39 milliards d'économies et 33 milliards de recettes sont déjà votés. Il reste donc à documenter 35 milliards d'euros d'économies supplémentaires et 8 milliards d'euros de recettes qui font l'objet d'un certain nombre de propositions du candidat Nicolas Sarkozy dans la campagne [2]. Pour le candidat il reste 44 milliards à documenter, répartis entre 8 milliards en recettes et des coupes de 36 milliards dans les dépenses (au lieu de 35 dans le programme 2012-2016). Par ailleurs, les annonces de campagne sont chiffrées à 9,5 milliards d'euros, répartis en -5,5 milliards pour les mesures impactant directement les recettes et 4 milliards de mesures supplémentaires concernant les dépenses. Elles devront être compensées par des mesures complémentaires à due concurrence. Les mesures non documentées s'élèvent donc en définitive à 53,6 milliards d'euros cumulés en 2016, étant par ailleurs entendu que si des « marges de manœuvre » sont annoncées (2,5 milliards, à raison de 0,6 milliard de recettes supplémentaires votées et 1,8 milliard induit par la réforme de la formation professionnelle), il nous appartiendra de vérifier si leur volume est suffisant pour « sécuriser » le projet proposé.

1) Économies annoncées concernant les dépenses de l'État

**Maîtrise de la masse salariale de l'État

L'effort demandé à l'État et à ses opérateurs en 2016 est de 9 milliards d'euros. Les mesures sécurisées par la RGPP donnent selon nos calculs en 2016 une économie de 2,8 milliards d'euros (à cause de la rétrocession maintenue à 50% en faveur des fonctionnaires en poste). Par ailleurs au sein de la fonction publique d'État il ne nous semble pas possible que le gel du point de fonction publique excède 0,6 milliard d'euros [3]. Pour mémoire (rappelé dans le tableau) le candidat s'engage à ne réaliser que 7 milliards d'effort sur la masse salariale en y incluant la mise en place du « un sur deux dans la fonction publique locale ». Il existe donc, rien que sur les dépenses de personnel de l'État, un manque à gagner de 6,6 milliards d'euros en 2016 par rapport aux prévisions. Ce résultat est imputable en partie aux mesures prises par le candidat comme l'arrêt du 1 sur 2 dans l'enseignement primaire que nous avons considéré comme effectif à partir de 2013, conduisant à un manque d'économies cumulées de 1 milliard d'euros en 2016.

Sur ce point plusieurs hypothèses sont possibles :

- Soit le candidat souhaite privilégier la réduction d'autres dépenses et des compensations devront apparaître (plus d'économies sur le fonctionnement, sur les dépenses de transfert, etc.)

- Soit le candidat réserve d'autres mesures complémentaires : par exemple remettre en cause la règle de rétrocession, ce qui pourrait permettre un gain double à partir du moment de son adoption, ou une mesure médiane avec une rétrocession de seulement 20% des économies réalisées. Par ailleurs, le gel du point de fonction publique de l'État peut être amoindri par le jeu quadriennal de la GIPA (garantie individuelle de pouvoir d'achat), ce qui pourrait même amoindrir les économies affichées.

**Les dépenses de fonctionnement :

Les dépenses sécurisées dans le cadre des mesures RGPP déjà engagées ou des mesures complémentaires votées, représentent 12,3 milliards en 2016. Les mesures complémentaires annoncées par le candidat sont de 16 milliards en y incluant le gel des transferts aux collectivités territoriales. Elles sont parfois peu documentées comme les 6 milliards résultant de « la poursuite de la RGPP au même rythme » (sous-entendu qu'en 2007), ce qui suppose l'existence au niveau de l'État de marges de manœuvre budgétaires conséquentes et intactes de même ampleur que le travail déjà réalisé. Si l'on y inclut le gel de la contribution de la France au Budget de l'UE, il manque en fin de période, compte tenu des prévisions d'imputation, 3,3 milliards d'euros par rapport au programme de stabilité (prévoyant une économie de 27 milliards en 2016). Par ailleurs les mesures électorales annoncées impactant les dépenses de l'État créent un manque à gagner supplémentaire de 2,9 milliards en 2016, si bien qu'un solde négatif apparaît par rapport à la prévision du pacte de stabilité de 6,2 milliards d'euros.

On constate donc entre 2011 et 2013 un solde négatif permettant de montrer une avance de l'État par rapport à l'objectif de réduction des dépenses programmées. En revanche à compter de 2014 le manque d'économie (représenté positivement) croît pour culminer à 6,2 milliards d'euros en 2016.

2) Les économies annoncées sur les dépenses sociales

S'agissant des dépenses « sociales », l'objectif de programmation est de réaliser 19 milliards d'économies cumulées en 2016, dont la décomposition apparaît en blanc dans le tableau ci-dessous. Les mesures sécurisées en 2013 permettent de dégager 6,2 milliards d'euros d'économies auxquels Nicolas Sarkozy adjoint 13 milliards supplémentaires dont la documentation est ventilée par nos soins en bleu. Les efforts annoncés sont bien calibrés (13 milliards) contre un reste à documenter hors dépenses sécurisées chiffré à 12,8 milliards. Par ailleurs une mesure complémentaire est annoncée à hauteur de 1 milliard. Deux éléments dégradent cependant cette perspective :

- D'une part certaines mesures électorales nous semblent insuffisamment documentées : la bonne gestion à l'hôpital supposerait de réaliser en 4 ans (2013-2016) les mêmes économies cumulées que celles réalisées en 5 ans entre 2008 et 2012. Par ailleurs, s'agissant du contrôle des volumes et des prix des médicaments, les efforts retenus sont équivalents sur 4 ans à ceux réalisés entre 2008 et 2011, sans évaluation de l'effet en 2012. Enfin l'intensification de la lutte contre la fraude sociale est chiffrée à 1 milliard en 2016. Cela implique une approche répressive plutôt optimiste en matière de performance.

- D'autre part les mesures supplémentaires en dépenses impactent l'ensemble à hauteur de 1,25 milliard d'euros en 2016. Elles aboutissent à dégrader très légèrement le solde total résultant de la comparaison des économies projetées par rapport à la programmation : 50 millions d'euros en 2016, mais 800 millions d'euros en 2015. L'objectif est donc réalisé en fin de période mais des mesures complémentaires devraient être prises dès 2013 pour la période 2013-2015. Par contre, point positif, la perspective d'économies en matière de retraite est entièrement conservée.

3) De faibles économies sur les dépenses des collectivités locales

En matière d'économies sur les dépenses locales, l'objectif est très peu ambitieux, mais réaliste. Il se compose du gel du point de fonction publique (300 millions d'euros) et du non renouvellement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite dans la territoriale. Le Bilan est positif si le gel du point n'est pas compensé par un effet GIPA (voir ci-dessus). Dans ce cas, les perspectives sont tenues et même plus sans réduction notable des dépenses de fonctionnement et d'intervention des collectivités territoriales. On assiste même à des économies supplémentaires de 800 millions d'euros par rapport à la trajectoire retenue dans le cadre du plan de stabilité.

[(

Collectivités locales0,20,60,9122
Gel du point de fonction publique collectivités locales 2011-2016 (reconduction) 0,3 0,3 0,3 0,3 0,3 0,3
Application du 1 sur 2 dans les collectivités locales de + de 30.000 habitants 0,625 1,25 1,875 2,5
Solde des mesures "sécurisées" concernant les collectivités locales-0,10,3-0,025-0,55-0,175-0,8

)]

4) S'agissant des recettes, la perspective n'est pas totalement équilibrée

Les recettes annoncées par le candidat Nicolas Sarkozy doivent s'élever à 13,5 milliards d'euros. Elles viennent compléter les 32,64 milliards d'euros de recettes déjà votées. La cible à atteindre dans le cadre de la stratégie pluriannuelle des finances publiques est de 41 milliards d'euros en 2016. Les mesures engagées (gris) et annoncées (bleu) permettent de dégager un solde de recettes excédentaires par rapport à la programmation de 2,14 milliards d'euros en 2016. Certaines dispositions semblent peu solides : par exemple un accroissement du produit issu de la lutte contre la fraude fiscale estimé à +1,5 milliard d'euros/an sur l'ensemble de la période. Enfin, les mesures d'exonération de charges (dont l'impact peut être positif en budget dynamique, mais ne figure que pour son coût statique dans notre évaluation) impactent les recettes à hauteur de 5,42 milliards d'euros. Le solde complet par rapport à la prévision de recettes est donc négatif de 3,28 milliards d'euros.

Il en résulte donc un manque à gagner en économies sur les dépenses et en recettes de 8,73 milliards d'euros, dont 5,45 sur les dépenses. Ce résultat, même s'il peut être contesté, (dans la mesure où il résulte de la prise en compte d'hypothèses reconstituées qui ne sont pas annoncées explicitement dans le projet du candidat) témoigne néanmoins de l'étroitesse des marges de manœuvre budgétaires retenues.

En particulier, le manque d'effort demandé aux collectivités locales rejaillit sur la consolidation budgétaire à réaliser au niveau de l'État, malgré les économies supplémentaires apparemment dégagées. Les contraintes imposées aux dépenses des administrations de sécurité sociale, malgré les précautions méthodologiques retenues, sont globalement respectées. C'est donc l'État, et en particulier la contraction de sa masse salariale, qui pèse en grande partie sur les incertitudes budgétaires relevées. Les « marges de prudence » affichées dans le programme du candidat n'y suffiront pas. Il faudra nécessairement que des mesures complémentaires prennent le relais. Leur volume, la rapidité de leur impact, plaident pour un ajustement préférentiel à court terme par l'impôt plutôt que par la dépense… à moins qu'il ne soit mis fin, de façon durable, à la rétrocession de 50% des économies réalisées dans la politique du un sur deux. Face à l'ampleur des ajustements à effectuer cela nous semblerait un moindre mal.

Conclusion

En dépit des apparences, le programme de Nicolas Sarkozy est de loin le plus chiffré des programmes présentés aux Français dans le cadre de la campagne présidentielle. Si des incertitudes demeurent, il a au moins le mérite d'afficher les efforts demandés et de permettre une reconstitution relativement documentée des ajustements budgétaires et financiers à réaliser durant la période. Si les marges de sécurité semblent incertaines, ce programme est le seul à proposer un éclairage global sur la trajectoire budgétaire à suivre.

[(

Solde recettes et dépenses, programme complémentaire/effets annonces (hors retraites [4])
2011 2012 2013 2014 2015 2016
-1,84 -1,08 -2,91 0,67 5,00 8,73

)]

[1] Par convention la présentation des soldes s'effectue en comparant le programme de stabilité au programme du candidat. En conséquence lorsque les soldes sont négatifs c'est qu'il existe un gain d'économies ou de recettes supplémentaire dans le programme de ce dernier par rapport au programme de stabilité. A contrario lorsque le solde est positif cela implique que l'effort du programme du candidat est insuffisant par rapport aux prévisions soumises à Bruxelles. L'unité retenue est le milliard d'euros.

[2] Il subsiste un différentiel de 1 milliard d'euros par rapport au programme de stabilité mais ce différentiel est en lui-même très peu signifiant.

[3] Voir rémunérations et pouvoir d'achat dans la fonction publique, statistiques et données de référence, 2010.

[4] Il faut noter que le programme de Nicolas Sarkozy respectant parfaitement les économies anticipées par la réforme des retraites, le différentiel par rapport au programme de stabilité est nul. L'effet est donc neutre sur la détermination du solde final.