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Bouclier fiscal et plafonnement global des niches

Comment faire compliqué quand on peut faire simple !

Il nous a été donné il y a peu, l'occasion de montrer combien l'usage intelligent des niches fiscales comme alternatives crédibles à certaines dépenses budgétaires pouvait permettre de faire de cette technique une « arme budgétaire moderne ». Encore fallait-il qu'un arbitrage soit fait entre ces dernières et les dépenses classiques. Or, ce sont ces bonnes vieilles dépenses publiques qui ont été finalement retenues, sacrifiant à l'égalité plutôt qu'à l'efficience économique. Les niches fiscales ayant été parées du statut de bouc émissaire des dérapages des comptes publics, elles seront sacrifiées sur l'autel de la rigueur budgétaire. Dans ce chorus droite-gauche sur la nécessité de réformer un système faisant la part sans doute trop belle à certains dispositifs fiscaux, il pouvait apparaître choquant que certains contribuables particulièrement bien conseillés puissent s'exonérer totalement de l'impôt sur le revenu.

Or, la réforme qui s'annonce sous la forme d'un amendement de la commission des finances de l'Assemblée nationale (40 000 € ou 15% des revenus), n'est pas la seule à corriger l'évolution des dépenses fiscales. Didier Migaud Président de la commission des finances a proposé d'apporter sa contribution en choisissant de réformer le calcul du bouclier fiscal à 50% en rapprochant le revenu fiscal de référence du revenu réel du contribuable (comprenez en ne comptabilisant plus dans le calcul du revenu imposable les exonérations d'assiettes obtenues grâce à des niches fiscales actives ou "choisies").

I- La réforme du bouclier entre complexité et incertitudes

Dans le système actuel, le revenu réel pour le calcul du bouclier est minoré par les « niches d'assiettes » : ces abattements, quotients, exonérations, déductions, imputations qui s'appliquent directement sur le revenu [1].

Cependant, il faudrait que la réforme du bouclier envisagée ne télescope pas celle du plafonnement global des niches fiscales pour aboutir à un système trop complexe qui obligerait le contribuable à faire des calculs dans tous les sens, sans certitude d'être dans la légalité.

En l'état actuel des réformes, la démarche d'optimisation fiscale légale devrait ainsi se dérouler en trois temps afin de tirer bénéfice de tous les dispositifs en présence :

- Il faudra calculer le revenu théorique fiscal retraité pour l'application du bouclier fiscal (bien qu'il ne s'applique qu'en dernier, afin de tracer une perspective d'ensemble)

- Puis calculer simplement le revenu fiscal sans retraitement pour imputer par priorité les niches assiettes et ensuite les niches réductions et crédits d'impôts, et le comparer au revenu théorique sans application des niches pour la mise en œuvre des dispositions du plafonnement global (réduction d'impôt maximale de 40 000 € ou équivalente à 15% de son revenu annuel).

- Enfin, rapprocher les deux modèles pour vérifier l'applicabilité du bouclier, après utilisation des niches choisies. Et voir quel panachage permettra la meilleure couverture fiscale possible.

II- Mettre fin aux niches d'assiettes « choisies » pour simplifier le système

Une solution simple est néanmoins envisageable. Il s'agit d'éviter de devoir « sortir » du bouclier fiscal les niches d'assiette actives en les transformant en réductions ou en crédits d'impôts. De la sorte le contribuable éviterait un retraitement. En outre, cela unifierait le revenu fiscal de référence pour les deux dispositifs.

Cette approche de bon sens, a déjà été appliquée en profondeur au Canada dès la fin des années 80, ainsi, la réforme fiscale de 1987 a converti l'ensemble des déductions personnelles en crédit d'impôt à cause du caractère plus équitable de ces dernières [2]. La même approche a été développée au Royaume-Uni depuis les années 90 à l'initiative du gouvernement travailliste mais avec une approche systématique depuis avril 2000 (notamment les déductions des intérêts des prêts hypothécaires, et les abattements pour couples mariés). Le gouvernement anglais a d'abord commencé par transformer les déductions fiscales en réductions d'impôts.

Gros plan : lorsque l'instruction de mise en application du bouclier fiscal se retourne contre ce dernier

Cependant afin de donner pleine force à ce nouveau dispositif, il serait également nécessaire d'en profiter pour rectifier l'instruction de la DLF en date du 15 décembre 2006 relative à l'application du bouclier fiscal. En effet, quitte à modifier les règles du jeu, autant que le bouclier qui s'applique en année (n) aux impôts payés par le contribuable relatifs à l'IRPP pour l'année (n-1), mais également à l'ISF de l'année (n-1) accroisse la sécurité déclarative du contribuable. Or au sein de l'instruction les termes « impôts régulièrement déclarés » sont considérés comme devant être compris comme « exactement déclarés ».

Quid alors de l'application de dispositions simples et claires des niches fiscales relatives à l'IR ? La moindre erreur de calcul pourrait bien être fatale. La réforme devra donc être simple si on ne veut pas des redressements en masse et l'éviction consécutive du bénéfice de l'application du bouclier, pour tous les foyers cherchant à bénéficier des niches fiscales plafonnées.

Quid également des biens qui n'ont pas de valeur exacte en matière de déclaration d'ISF ? Si à la suite des premiers contrôles on apprend que les contribuables de bonne foi auxquels l'administration reproche une sous-estimation de biens dont la valeur n'est pas déterminée de façon certaine se sont vus infliger des redressements hors bouclier majorés de pénalités pour mauvaise foi et que certains ont ainsi dû payer bien plus de 50% de leurs revenus en impôts, la confiance disparaîtra aussitôt !

Puis dans un second temps, il a transformé ce dernier mécanisme en « crédits d'impôts » [3]. Appliqué en France, ce dispositif permettrait au sein du plafond global de faire jouer la concurrence entre des niches comparables. Ainsi, le plafonnement global s'en trouverait facilité et clarifié.

Il serait par exemple possible d'introduire à la place du système d'imputation des dépenses issus du dispositif du Malraux historique, et limitées à 140 000 € de travaux par an, directement sur le revenu du contribuable, un dispositif de crédit d'impôt à hauteur de 25% de cette somme, permettant lorsque le total des dépenses fiscales excéderont par hypothèse les 15% de revenus concernés, d'être mises en réserves et reportées sur les années suivantes.

De la sorte, en basculant l'ensemble des niches actives du côté des crédits ou des réductions d'impôts, il s'en suivrait une concurrence saine et non faussée entre les dispositifs fiscaux dérogatoires, assis sur un revenu de référence unique, simplifiant les calculs, et limitant l'usage au dispositif du bouclier fiscal. Une clarification alliant justice et sécurité auquel l'Etat comme les contribuables auraient tout à gagner !

[1] Ces déductions du revenus s'appliquent notamment en matière de déficits provenant de revenus d'activité (dans le cadre du « foyer fiscal), mais aussi aux déficits fonciers, industriels et commerciaux, aux titre de placements, mais pas en matière de dividende (réintégration de l'abattement de 40%).

[2] Voir, Lord, Sasseville, Bruneau, Friedlander, Les principes d'imposition au Canada, 13ème édition, Wilson & Lafleur, Montréal 2002, p.338

[3] On pensera notamment au « Child Tax Credit » et au « Working Tax Credit », voir Lymer, Oats, Taxation, Policy and Practice, 15th édition, Fiscal Publications, Birmingham, 2008, p.136-141.