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Bouclier fiscal et autoliquidation

Beaucoup de bruit pour rien ou presque !

Certaines réformes fiscales semblent reprendre la formule célèbre du prince de Salina (Burt Lancaster) dans le Guépard de Visconti : « il faut bien que quelque chose change pour que tout reste comme avant ! ». La réforme de l'autoliquidation du bouclier fiscal est de celles-là, même si l'on serait tenté d'aller plus loin en disant que l'option qu'elle ouvre fait même régresser le droit au bouclier fiscal du contribuable. Le Guépard fiscal avancerait-il masqué ? Explications :

Le bouclier fiscal à 50%, promesse du candidat Sarkozy à l'élection présidentielle, est devenu réalité lors du vote de la loi TEPA dite « paquet fiscal » à l'été 2007. Ce bouclier redimensionné s'applique désormais aux droits à restitution ouverts par le bouclier fiscal à partir des revenus perçus en 2006, sur les impositions subies en 2006-2007 pour une demande de restitution en 2008.
A l'iFRAP, nous avions déjà tiré la sonnette d'alarme sur la précédente version à 60% du bouclier fiscal, et ses principaux défauts. Ceux-ci ne furent dans leur grande majorité par amendés avec le bouclier à 50% qui, tout de même, permit l'inclusion de la CSG et de la CRDS en son sein, ainsi qu'un nouveau calcul du revenu de référence dû à la modification du barème de l'impôt sur le revenu ainsi que l'extension du bénéfice du bouclier aux impositions de l'année même de perception des revenus et non uniquement de l'année suivante.

Il en est ressorti l'équation suivante permettant de déclencher l'application du bouclier :

Déclenchement du bouclier fiscal
ISF + IRPP + (taxe foncière + taxe d'habitation uniquement pour la résidence principale) + prélèvements libératoires + prélèvements sociaux sur les revenus de capitaux mobiliers + impositions des plus-values immobilières et leurs prélèvements sociaux + prélèvements sociaux des revenus d'activité et de remplacement divisé par Revenus nets de frais professionnels y compris les revenus exonérés d'IRPP et produits soumis à prélèvements libératoires - déficits catégoriels dans les règles prévues par l'article 156 du CGI > 50%

On remarquera au passage que les impositions locales frappant la résidence secondaire du contribuable ne sont pas prises en compte dans le bouclier. Pour un système destiné à limiter la pression fiscale réelle à 50% des revenus, il y a là quelque chose de choquant étant donné que l'on ne prend pas en compte la pression fiscale dans son ensemble. Pourquoi cette exclusion de principe ? Peut-être parce que le fisc a estimé qu'il s'agissait d'un signe manifeste de richesse car, dans le même temps, la base d'imposition ISF comprenait évidemment l'ensemble des biens fonciers du contribuable y compris ses résidences secondaires. On l'aura compris, même dans cette version « redimensionnée », il y a encore matière à progrès.

Mais c'est à compter de la loi de Finances pour 2009 que le Sénat, revenant à la charge après un échec en loi de Finances 2008, a réussi à obtenir le droit à l'autoliquidation du trop payé de l'année n-2 et n-1 sur les impositions de l'année n.

Pour bien prendre en compte l'exacte mesure de cette nouvelle voie optionnelle, il faut rapprocher l'intention du résultat fini. Le moins que l'on puisse dire est que autoliquidation ne rime pas avec simplification.

++DECOUPE++

L'autoliquidation : des promesses non tenues

++NOCHAPEAU++

Dans son discours de Laval, le 28 août 2008, le Président de la République affirmait : « Je crois qu'il faut aller jusqu'au bout de la logique du bouclier fiscal en le rendant déclaratif, c'est-à-dire qu'on n'aura pas besoin de payer puis de se faire rembourser ». L'idée était d'importance car cela revenait à empêcher que le Trésor bénéficie d'avances fiscales indues car non rémunérées au détriment du contribuable (puisque restituées l'année suivante, sans prendre en compte l'inflation).

Les sénateurs ont donc proposé d'ouvrir une option afin d'imputer sur l'année même de perception une fois la limite de 50% du revenu atteinte, la créance fiscale issue du bouclier sur certains impôts désignés à cet effet [1] : les impôts locaux (uniquement là encore sur la résidence principale), l'ISF, et la CSG et la CRDS assis sur les revenus patrimoniaux (à l'exclusion de la CSG et de la CRDS assises sur les revenus d'activité et de placements).

Contre toute attente, après intervention gouvernementale et modifications téléguidées par Bercy (remplaçant l'amendement n°I-14 rectifié par un I-14 rectifié bis), le dispositif voté s'écarte aujourd'hui sensiblement par ses attendus de la volonté présidentielle : de telle sorte que Philippe Marini doit constater non sans une certaine amertume que : « Avec cette rédaction, le contribuable fait sa déclaration, liquide ses droits, paie la totalité de son ISF. S'il a trop versé, il constate qu'il y a une créance sur l'Etat, qui lui est remboursée l'année suivante, sans qu'il ait à réclamer. » et d'ajouter peut-être ironique : « C'est un progrès. »

Le seul progrès notable est qu'en choisissant cette option le contribuable n'a plus à utiliser l'imprimé « 2014 DRID » qui possède la caractéristique d'une réclamation contentieuse. En effet, désormais s'il utilise l'option auto-liquidative, le contribuable remplit une déclaration spécifique, déposée ensuite auprès du service chargé du recouvrement de l'imposition qui procédera à l'imputation.
La procédure est donc fort proche [2] de celle préexistante puisque, lorsque l'on fait valoir son droit à restitution, la demande est instruite par les services fiscaux.

Par rapport à la volonté présidentielle : « on n'aura plus besoin de payer puis de se faire rembourser ! » le droit est donc toujours en décalage. En effet, devant les craintes du gouvernement, les parlementaires ont inventé dans l'amendement I-14 rectifié bis, l'autoliquidation « différée » ! Dès lors, il ne s'agit plus que d'un simple droit à remboursement pour trop perçu, lequel a l'inconvénient majeur de placer la responsabilité du contribuable en première ligne !

++DECOUPE++

Une responsabilité fiscale accrue du contribuable qui l'expose à de nouvelles sanctions

++NOCHAPEAU++

Avec l'option auto-liquidative ouverte, la responsabilité fiscale du contribuable est automatiquement engagée. Il appartient au déclarant non seulement de mentionner préalablement dans cette déclaration l'imposition ou les acomptes provisionnels sur lesquels pourront être imputés la créance fiscale, mais encore de ne pas se tromper sur le montant de celle-ci. Toute erreur de calcul de cette créance virtuelle (avant validation par les services fiscaux) sera imputable au contribuable. Se déclenche alors un double mécanisme de contrôle :

- D'une part, en cas de déclarations de créances sur l'Etat jugées excessives par les agents du fisc, les déclarations seront contrôlées selon les mêmes règles, garanties et sanctions, que celles prévues en matière d'IR. Le croisement systématique des données fournies par le contribuable et les bases de données du fisc pourra ainsi déboucher sur des contrôles fiscaux renforcés, même si l'administration des finances appelle cela « un simple pointage », et non un contrôle fiscal. D'autant que « ces déclarations contrôlées [le seront](…) même lorsque les revenus pris en compte pour la détermination du plafonnement sont issus d'une période prescrite ». L'administration fiscale, remettant en question le mode de calcul de la créance, pourra redresser de manière rétroactive sur la base d'irrégularités au sein d'une période prescrite.

- D'autre part, dans le cas où Bercy n'aurait rien remarqué (ou feint de ne rien remarquer), les erreurs éventuelles déboucheront nécessairement sur des imputations d'impôts excessives l'année suivante. Selon, le nouvel article 1783 sexies du CGI, si l'imputation excède une « marge d'erreur » de 5% de la créance réelle à déclarer, le trop déduit sera frappé d'une majoration de 10% (soit 10% de majoration de l'insuffisance de versement constaté) bien évidemment placée hors bouclier.

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Délais de contrôle de l'Administration fiscale

Ajoutons qu'il est possible de faire une ou plusieurs demandes d'imputations puis, pour le reliquat, de faire une demande de restitution contentieuse, mais l'inverse n'est pas possible. On ne peut demander un chèque global au Trésor, puis lui demander d'imputer ce montant sur un certain nombre d'impôts spécifiques désignés. Pourtant, cette dernière solution aurait eu le mérite de sécuriser le système : une demande de restitution préalable permettant d'avoir l'accord de Bercy sur le montant de la créance fiscale sans engagement de responsabilité, suivie ensuite d'une imputation prioritaire sur différents impôts l'année suivante.

Pourquoi l'autoliquidation a-t-elle été vidée de son sens ?
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Chronologie du bouclier fiscal à 50% et auto-liquidation

En réalité si la réforme auto-liquidative a été pétrifiée c'est à la demande expresse du gouvernement. Celui-ci craignait un impact sur la trésorerie de l'Etat, en évoquant l'existence tout à fait exagérée d'une véritable « double peine » budgétaire l'année d'ouverture de cette procédure, soit l'année 2009. En effet, dans le système déclaratif classique du bouclier à 50%, les revenus de l'année n-2 sont comparés aux impôts prélevés en n-2 et n-1 (dont l'ISF) pour ouverture du droit à restitution en année n. L'année 2009 aurait vu tout à la fois pour le Trésor une minoration de son impôt par imputation directe du bouclier, au titre des revenus 2008 et un versement des restitutions au titre du trop perçu des impositions sur les revenus de 2007… si bien qu'avec l'autoliquidation différée définitivement retenue, il faudra encore faire l'avance des fonds d'une année sur l'autre et ainsi de suite… quelle que soit l'option choisie.

++DECOUPE++

Conclusion : Vers une vraie autoliquidation

++NOCHAPEAU++

La seule vraie réforme : une autoliquidation qui autorise l'auto-imputation. Si l'autoliquidation était une auto-imputation, le gain de temps et de coût aurait justifié en partie que le contribuable se retrouve « responsable » de sa créance fiscale alors que le bouclier classique fait porter le poids de la validation de la déclaration sur l'administration elle-même.
Avec le nouveau système optionnel on rend le contribuable parfaitement responsable de l'évaluation de sa créance fiscale. Il n'y a donc aucun progrès et pire, un risque juridique et financier non négligeable en raison des erreurs déclaratives susceptibles de survenir. De là à combiner les effets de cette réforme du bouclier avec le plafonnement global des niches fiscales… Il y a là sans aucun doute un labyrinthe que fort peu de contribuables parviendront à traverser indemnes.

Il faudra alors se rappeler que, ce qui avait motivé originellement Bercy pour cette réforme, était la lourdeur de la gestion déclarative du bouclier fiscal pour ses services lors du traitement des demandes contentieuses. Gageons qu'en en reportant la charge sur le contribuable, ils n'y parviendront pas mieux pour autant. On se risquera alors à imaginer que cela pourrait permettre de justifier le maintien des effectifs actuels en dépit de la RGPP… décidément le guépard avancerait masqué !

Une réforme à encourager : l'autoliquidation avec auto-imputation non différée

Pour appuyer notre propos, considérons l'auto-imputation avec trois profils différents : Monsieur Gros ISF-Gros Revenu, Madame Gros ISF-Petit revenu, enfin Melle Petit-ISF Moyen revenu. Dans le cadre d'une imputation non différée, l'autoliquidation permettait une demande d'imputation sur les impositions à venir de la même année. Concrètement, ce dispositif se serait appliqué aux deux extrêmes de la population des contribuables bénéficiant du bouclier fiscal :

-Monsieur Gros ISF-Gros Revenu aurait un ISF auto-déclaré et payé en juin permettant immédiatement de constater un dépassement du bouclier (compte tenu des impôts déjà versés en n-2 et de la certitude du montant de la créance d'IRPP à liquider définitivement le 15 septembre). En ce cas, le calcul suffisamment précis de la créance sur le Trésor permettrait en effet une auto-imputation immédiate d'une part sur l'ISF mais également sur l'ensemble des impôts locaux à venir.

-Madame Gros ISF-Petit revenu a des revenus très faibles (RMI etc…), tout en étant assujettie à l'ISF en raison de l'importance de son patrimoine immobilier (cas se rencontrant paraît-il beaucoup dans les DOM-TOM, la Réunion en particulier). Dans ce cas, dès l'auto-déclaration de l'ISF, un formulaire joint aurait permis de demander imputation du trop perçu sur les impôts locaux à venir.

-Pour Melle Petit ISF-Moyen revenu : ce dispositif théoriquement opérationnel serait moins intéressant puisqu'il lui faudrait pouvoir modéliser avec une fiabilité suffisante le moment du dépassement par l'impôt des 50% du revenu de l'année précédente. Une opération délicate dans la mesure où, généralement, en outre, la certitude de la créance ne peut être connue avec suffisamment de précision à temps (connaissance de la créance fiscale locale dans le courant novembre déclenchant véritablement le droit à restitution du trop perçu donc l'auto-imputation). Ce cas type aurait alors orienté davantage Melle Petit ISF-Moyen revenu vers l'autre branche de l'option, la déclaration contentieuse, afin de courir moins de risque dans l'évaluation de sa créance fiscale.

[1] D'après l'amendement n°I-14 rectifié déposé par la commission des finances du Sénat dans le cadre du PLF 2009 instituant un 9 à l'article 1649-OA du CGI.

[2] La seule différence étant que la procédure de réclamation contentieuse n'est ouverte que l'année suivant celle du paiement de l'ISF et de l'IRPP, alors que l'autoliquidation est ouverte l'année même du paiement de ses impositions. Dans les deux cas, la restitution « liquidative » et la restitution contentieuse sont versées de façon différées au cours de l'année suivant l'année de la réclamation.