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Abus de droit : l'administration étend son pouvoir sur le contribuable

LE NOUVEAU CCRAD : LE CADF !

Nous pensions à l'issue de la publication du projet de loi de finances pour 2009 que les promesses formulées lors des discussions budgétaires relatives à la loi de finances pour 2008 seraient restées lettre morte quant à la réforme du CCRAD [1], malgré l'ampleur des propositions formulées ultérieurement par le rapport Fouquet rendu public dans le courant de l'été 2008. Mal nous en a pris car c'est au sein du projet de loi de finances rectificative pour 2008 que se situe, à l'article 20, une refonte globale de l'abus de droit, et du CCRAD, issue directement du rapport Fouquet.

Cependant, il y a loin de l'esprit du rapport à la lettre du texte. Il s'agit tout au plus d'une tentative de clarification de l'abus de droit, qui vise en définitive à en étendre au maximum le champ d'application, sans véritablement s'attaquer au fond, c'est-à-dire aux difficultés engendrées par la définition de l'abus de droit lui-même.

1) Un abus de droit renforcé, mais pas explicité :

Il aurait été en effet intéressant de préciser de manière restrictive les conditions dans lesquelles l'abus de droit visé à l'article L64 du LPF se trouvent réunies. Or tel n'est pas le cas puisque se trouvent simplement consolidés les deux critères alternatifs définissant l'abus de droit, le premier inscrit dans les textes et le second dégagé par la jurisprudence :

- la fictivité des actes
- la recherche du bénéfice d'une application littérale des textes ou des décisions dont la combinaison n'est motivée que par le but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales de l'intéressé.

Ainsi, l'on peut dire que l'acception de l'abus de droit est ainsi développée de la façon la plus large possible. D'autant qu'incidemment se trouve également consolidé (inclus dans le texte) le bénéfice « des décisions », qu'il faut entendre nous dit le législateur comme se référant aux décisions ministérielles ayant une portée générale. On sera particulièrement étonné de cette inclusion. En effet, même si la jurisprudence a tenté de les inclure dans son appréciation de l'abus de droit, les décisions ministérielles représentent précisément des réponses à des situations non prévues explicitement ni dans les textes fiscaux légaux, ni par la doctrine administrative, et sont ainsi en elles-mêmes source de droit. En les incluant au sein même des dispositions sujettes à détournement, l'ensemble des sources de droit fiscal se trouve visé par des détournements potentiels alors même que leur précision aurait dû les en exclure.

Les réponses ministérielles demeurent exclues de l'abus de droit

Cela peut sembler curieux, mais alors même que le texte réformant le CCRAD en profite pour préciser que l'abus de droit peut être étendu aux réponses ministérielles, cette disposition n'a aucune valeur légale. On en veut pour preuve que les réponses ministérielles expriment l'interprétation administrative des textes par les services du ministére et s'imposent donc à l'administration. Ceci repose sur la réponse du Premier ministre Lionel Jospin à Monsieur Serges Mathieu publiée au J.O. Sénat n°441 p.2198 du 28 août 1997. En l'état du droit les réponses ministérielles continuent d'engager l'administration même fiscale.

Plus que jamais, le second critère devient celui de la stigmatisation de l'habileté fiscale, au sein des « sommets enneigés de l'abus de droit » comme l'évoquait il y a près de vingt ans, Jérôme Turot [2] . Un critère qui à lui seul étend la subjectivité de la procédure d'abus de droit, au risque pour le contribuable malheureux d'être pris définitivement en flagrant délit d'intelligence, même en s'appuyant sur une réponse ministérielle en bonne et due forme, sensée caractériser sa situation. Il n'y a donc ni avancée, ni simplification de ce côté de l'abus de droit.

2) Un champ d'application de l'abus de droit étendu au maximum

Il existait par ailleurs un certain répit à l'abus de droit légal, celui qui se développait concernant les impôts non inclus limitativement au sein de l'article L64. Celui-ci se limitant aux droits d'enregistrement (à l'origine de la procédure), l'IS, l'IRPP, les taxes sur le chiffre d'affaires, l'ISF et la taxe professionnelle). En cherchant à réprimer les abus de droit concernant d'autres impôts, le juge :
- interdisait au contribuable ou à l'administration de recourir au CCRAD, ce qui ne représentait pas une grande perte puisque la procédure consultative était généralement défavorable à l'incriminé dans 90% des cas
- interdisait également à l'administration d'infliger la majoration de 80% encourue par le contribuable pour abus de droit « classique ».

Désormais, cette porte sera définitivement fermée puisque la procédure d'abus de droit concernera tous les impôts et taxes sans exception. Ainsi la procédure de majoration normale, la saisine du CCRAD sera utilisable dans tous les cas, y compris en matière d'abus de droit « social ».

3) Le CADF (comité de l'abus de droit fiscal) : tout change pour que rien ne change

Le CCRAD voit sa titulature se modifier. Désormais, il devient le CADF, comité de l'abus de droit fiscal. La mention du terme « consultatif » saute… pour mieux rester. En effet, il reste parfaitement consultatif simplement « Si le changement n'est que terminologique, il participe d'une volonté de donner une plus grande force aux avis du comité » nous précise le rapport de la commission des finances. En clair tout change… pour que rien ne change. Ainsi, si la composition se trouve renforcée en s'ouvrant aux professions du droit et du chiffre, par l'intermédiaire d'un juriste fiscaliste, d'un notaire et d'un expert comptable, cela se fait au détriment du « professeur des universités »… sans doute à cause de sa trop grande proximité avec l'administration… ou l'aveu d'un certain décrochage technique avec la pratique de la fiscalité… les deux à la vérité comme l'explicite le rapport « De fait, les compétences du comité seront renforcées, de même que son indépendance vis-à-vis de l'administration »… puisque la nomination de ces titulaires ne pourra se faire que sur proposition du conseil de leurs ordres respectifs. Une avancée même si nous restons dubitatifs sur la pleine indépendance de ces personnalités qualifiées.

4) Un système toujours aussi pénalisant

Par mesure de clémence et afin de tenter de se « mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme en matière de proportionnalité des sanctions », la majoration n'est plus de 80% mais simplement de 40% « lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire ». Là encore l'ambiguïté de la formule ne lasse pas de laisser rêveur. De deux choses l'une, ou le contribuable s'est laissé abuser par un individu mettant en avant son « expertise », et en ce cas, on ne comprendrait pas qu'il se retrouve même pénalisé de 40%, à moins de retenir que la crédulité est punissable en matière fiscale. Ou il n'était qu'à moitié coupable parce qu'il ne voulait pas savoir… et en ce cas, son manque de diligence pour éclairer ses soupçon lui est parfaitement imputable. Dans le doute, l'administration ne cherche pas à sonder les cœurs et les reins, et penche directement pour la seconde alternative… est-ce plus favorable au contribuable ?

Mais il reste alors encore à apprécier s'il en est le principal bénéficiaire. Si un contribuable abusé (donc théoriquement soumis à une pénalité de 40%), se retrouve être le principal bénéficiaire, celui-ci se retrouvera chargé au taux plein de 80%, tandis qu'un individu plus prudent, saura rester bénéficiaire secondaire pour jouir de la « remise ». Il en est de même de la personne qui bénéficie du montage « sans avoir été partie à l'acte constitutif de l'abus de droit ». Désormais, cette personne sera punissable de plein droit puisque « toutes les parties à l'acte ou à la convention sont tenues solidairement, « avec le redevable de la cotisation ou de la restitution d'une créance indue » au paiement de l'intérêt de retard et de la majoration ». Sous couvert de rechercher l'ensemble des coupables la nouvelle rédaction du 1 du V de l'article 1754 du CGI devient une véritable machine de guerre susceptible de poursuivre pour abus de droit, toutes les personnes situées dans le champ contractuel incriminé. Qui après cela osera dire comme l'évoque le rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale, que l'article 20 de la loi de finances rectificative pour 2008 s'inscrit dans la partie sur « la sécurité juridique » ! Peut-être parce qu'elle visait tout particulièrement celle de l'administration au détriment de celle du contribuable ?

[1] le comité consultatif pour la répression des abus de droit

[2] Jérôme Turot, ancien élève de l'ENA (major de la promotion Voltaire, 1980) a été maître des requêtes au Conseil d'Etat. Il est avocat à la Cour (Cabinet Turot) et membre du comité scientifique de la Revue de droit fiscal (RDF). Sur la promotion Voltaire 1980, voir http://www.lepoint.fr/actualites-po…