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Bientôt l'ouverture à la concurrence des TER ?

La fin du monopole de la SNCF n'est plus tabou

Et si on essayait autre chose ? C'est ce que se demandent les Français depuis longtemps mais encore plus depuis un mois : dysfonctionnements spectaculaires de trains pendant la période de Noël, augmentation du prix des billets une nouvelle fois supérieure à l'inflation, grèves rituelles de cheminots, exaspération des voyageurs touchés par la fréquence des retards et « grèves de la présentation des billets aux contrôleurs » organisées par leurs associations, et la colère de présidents de Région qui en arrivent à imposer des pénalités à la SNCF et à l'attaquer en justice. D'après le colloque du 11 janvier 2011 organisé à l'Assemblée nationale [1], le moment est proche où il sera possible de voir si d'autres entreprises ne feraient pas mieux que la SNCF, grâce à une véritable ouverture à la concurrence des marchés ferroviaires, et notamment des TER (Transports Express Régionaux).

Le message le plus fort a incontestablement été celui du sénateur des Alpes-Maritimes Louis Nègre, président de la fédération des industries ferroviaires. En novembre 2009 le sénateur Louis Nègre avait rédigé une proposition de loi d'ouverture à la concurrence de l'exploitation ferroviaire voyageurs, une initiative brutalement rejetée comme étant un brûlot : « On est fatigué d'attendre. Il faut bouger vigoureusement. Le nœud du problème, c'est le statut des personnels de la SNCF ». Un jugement d'autant plus fondé que les TER de sa région sont parmi ceux qui fonctionnent le plus mal. Les journaux locaux (Nice Matin, La Provence et La Marseillaise) se font régulièrement l'écho des protestations des associations comme « Les naufragés des TER » et des critiques du président socialiste de la Région PACA et même de son vice-président communiste chargé des transports.

Les messages les plus encourageants ont été ceux des trois opérateurs présents, Deutsche Bahn, Veolia, Keolis. D'abord Johann Metzner, représentant l'ancien monopole allemand (DB), qui a montré que l'ouverture à la concurrence avait dynamisé son entreprise et le marché du transport ferroviaire en Allemagne. Pour son entreprise et malgré l'arrivée de concurrents dynamiques, depuis l'ouverture à la concurrence en 1994 :
- Croissance de 20% du volume d'activité des TER
- Croissance de 25% de celle du fret
- Diminution entre 20 et 30% des subventions publiques.

Ensuite Cyrille du Peloux, DG de Veolia Transport, a rappelé les nombreux pays du monde où son entreprise gère des trains à la satisfaction des clients et des responsables politiques. Et plus démonstratif, puisque Michel Bleitrach, président de Keolis, pourtant filiale de la SNCF, a confirmé les propos de son homologue de Veolia. Keolis, qui exploite notamment des lignes ferroviaires en dehors de France, vit dans une activité soumise à la concurrence aussi bien sous forme d‘exclusivité pour une ligne (délégation de service public) que d'exploitation concurrentielle d'une même ligne (open access), a reconnu qu'en France il « n'a pas rencontré beaucoup de présidents de région prêts à la concurrence ».

Ces trois opérateurs ont confirmé que les problèmes de sécurité et de partage des infrastructures (voies, gares) ont été résolus dans tous les autres pays où ils opèrent. Plusieurs des quatre orateurs précédents ont néanmoins souligné que la fermeture actuelle du marché français du transport ferroviaire constituait un handicap à la fois pour les opérateurs français et pour notre industrie ferroviaire. Les étrangers nous disent typiquement : « vous êtes mauvais joueurs ».

Pour Cyrille du Peloux, le pré-rapport très attendu du sénateur Grignon, a réglé les problèmes sociaux et rien n'empêche l'ouverture à la concurrence de l'exploitation ferroviaire voyageurs. Une convention collective de branche existe pour le fret, une convention analogue est à signer pour l'activité voyageurs, laissant libre chacun des exploitants de conclure des accords d'entreprise. A chaque entreprise de régler ses problèmes internes, la SNCF y compris.

Côté SNCF, David Azéma, Directeur général délégué a déclaré “à la SNCF il n'y a plus de tabou sur la notion de concurrence“ et Jacques Damas, Directeur général sécurité et qualité de service s'est lui déclaré “favorable à la concurrence mais bien préparée, anticipée, sous condition d'un décret sur l'organisation du travail (applicable à tous les opérateurs)“. Une façon de dire qu'il existe des nuances entre l'opérateur historique et les autres parties prenantes.

Pour Grillo Pasquarelli, directeur des transports terrestres à la Commission Européenne, les règlements européens autorisent la concurrence dans le transport ferré de voyageurs mais ne l'imposent que pour le trafic international avec une ambiguïté, laissée à l'appréciation de chaque pays, sur la définition de l'importance laissée au cabotage. Dans certains pays (par exemple en Allemagne depuis 1994) le transport ferroviaire de voyageurs est ouvert à la concurrence et dans d'autres (par exemple la France) le monopole de l'opérateur subsiste.

Son objectif premier étant le client et l'ouverture à la concurrence ayant mis en évidence son caractère favorable, la Commission va refondre l'ensemble des directives et règlements sur le transport ferré de voyageurs et publier de nouveaux textes en 2012, dont les principaux points seront :
1. La suppression des obstacles à l'entrée d'exploitants concurrents dès 2012,
2. La clarté des relations financières,
3. La planification à long terme entre l'Etat et le gestionnaire d'infrastructure,
4. La clarification de la tarification de l'usage des infrastructures
5. Les obstacles divers des opérateurs historiques
6. L'accroissement de l'indépendance des autorités nationales de régulation ferroviaire.

Sous réserve de la publication de ces nouveaux règlements, la mise en concurrence de l'exploitation sous forme de délégation de service public ou d'exploitation partagée, sera la règle à partir de l'année 2012.

Enfin, Alain Bonnafous, professeur d'université et chercheur au Laboratoire d'économie des transports, a mis en évidence l'importance de l'aiguillon de la concurrence pour améliorer la compétitivité de l'opérateur historique, développer les dessertes et la qualité de service dans les pays européens.

Même si, venant d'être nommé ministre des transports juste avant les crises ferroviaires de 2009, Thierry Mariani a dû logiquement conclure ce colloque de façon prudente, il est maintenant décidé par la commission européenne une libéralisation totale de l'exploitation ferroviaire en Europe dès 2012. Il serait avisé pour le gouvernement français et la SNCF de devancer cette date limite. L'enjeu n'est pas seulement pour les voyageurs mais est très important aussi pour les finances publiques. Le montant global des subventions de l'Etat et des Collectivités locales est, sans compter les effacements périodiques de dettes de la SNCF, d'environ 12 milliards d'euros par an pour l'infrastructure et l'exploitation ferroviaire. Une baisse de 30% de ces subventions, représenterait donc 3,6 milliards d'euros, soit par exemple le montant de l'ISF. Et les voyageurs bénéficieraient d'un service plus étendu et de meilleure qualité.

Les actes complets du colloque sont disponibles à cette adresse : L'ouverture à la concurrence des marchés ferroviaires.

[1] Colloque « L'ouverture à la concurrence des marchés ferroviaires » organisé par les « Villes et régions européennes de la grande vitesse » et « Avenir transports ».