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Transition énergétique en France : Gaz vs. Électricité

La stratégie de l'ADEME en question

Le message de la nomination de Nicolas Hulot, comme numéro 2 du gouvernement et ministre de la Transition écologique et solidaire, n'aura pas tardé à faire effet : l'action en bourse d'EDF a dévissé de 6,57% le jour même et  de 1,09% le lendemain. La situation de l'électricité en France n'est pas bonne et les signaux envoyés par le nouveau gouvernement inquiètent les investisseurs qui craignent que le nouveau ministre de l'écologie prenne des mesures défavorables à l'entreprise.... détennue à plus de 83% par l'Etat. 

Une actualité qui vient éclairer la situation contradictoire de l'énergie en France où les politiques mises en place favorisent le gaz au détriment de l'électricité.

Dans la lutte contre les émissions de polluants (CO2) et pour la transition énergétique, le gaz constitue un atout essentiel. Mais si tous les autres pays, comme les États-Unis, l’utilisent pour remplacer le charbon et le pétrole, la France est la seule à utiliser du gaz importé pour remplacer de l’électricité décarbonée produite en France. Une stratégie portée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), originale, mais un non-sens au niveau des émissions de CO2 comme de notre balance commerciale déjà en déficit de 48 milliards d'euros en 2016.  

Disponible en très grande quantité et dans des pays très divers (ex. Norvège, Qatar, Etats-Unis, Russie, Nigeria), facile à transporter et à stocker dans des cavités souterraines existantes, presque aussi énergétique que le pétrole, le gaz est une énergie formidable. Qu’il s’agisse du gaz de schiste, du gaz de mines de charbon ou du gaz extrait classiquement de gisements existant dans le sous-sol, ses usages sont multiples, et sa combustion émet moins de CO2 (et de particules fines) que ses concurrents : environ quatre fois moins que le charbon et deux fois moins que le pétrole. Tous les pays qui produisent de l’électricité à partir de charbon (ex. Allemagne) ou de pétrole (ex. Etats-Unis) ont donc un gros intérêt à passer au gaz.

Le cas français

La France est un cas atypique, son électricité étant produite à environ 73 % par le nucléaire, 11% par les centrales hydrauliques et 6 % par le solaire, biomasse et l’éolien, les 10 % restant étant fournis par des centrales à gaz, fuel et charbon. L’utilisation du charbon étant en voie d’extinction, son remplacement par le gaz est marginal. La sécurisation des productions aléatoires d’électricité (solaire, éolien) offre des débouchés au gaz mais pour des durées limitées dans l’année. Au total, dans la production d’électricité en France, il existe très peu de marge d’amélioration pour réduire le niveau d’émission de CO2.  

Mais depuis 2008, cette situation très favorable a commencé à être sciemment dégradée. Dans le domaine du chauffage des logements neufs, la part du chauffage électriques est passée de 72% en 2008 à 29% en 2014, et encore moins en 2016. Une tendance similaire pour l’eau chaude sanitaire, encore plus incompréhensible. Les chauffe-eau électriques fonctionnant la nuit constituent un moyen idéal de stockage de l’énergie électrique produite et de lissage des consommations. Une évolution franco-française très étrange.

  • Du point de vue du propriétaire et du locataire, ces nouveaux logements étant beaucoup mieux isolés, ce sont les coûts de construction et d’entretien, et la facilité d’utilisation qu’il faut privilégier. Trois sujets où l’électricité est gagnante, avec en plus une individualisation facile des consommations dans les immeubles.
  • Du point de vue global français, l’électricité étant très majoritairement produite en France, le remplacement de l’électricité par du gaz à 100% importé est contre-productif en termes d’emplois comme de balance des paiements. 

Source : bilan énergétique de la France 2015, ministère de l’énergie

Pourquoi ?

Cette évolution n’est due ni aux souhaits des constructeurs, ni à ceux de leurs clients mais à la méthode choisie pour règlementer la consommation maximum d'énergie au m2 dans toutes les constructions neuves (Règlementation technique 2012). L'idée de moduler la quantité d'énergie autorisée en fonction du mode de production de chaleur était pavée de bonnes intentions: la quantité de chaleur fournie doit inclure les conséquences de son mode de production. La consommation de gaz (ou de fuel, ou de charbon), entraine l'émission de CO2, de particules fines... A l’opposé, la production d’électricité par les barrages hydrauliques n’entraine presqu’aucune émission de CO2, et le nucléaire, très peu.

Mais pour des raisons obscures (lobbying des pro-gaz ou des anti-nucléaires), au lieu de prendre en compte la quantité de CO2 émise pour produire chaque calorie de chaleur, c’est le critère du rendement énergétique de la transformation gaz-chaleur d'un côté et uranium-électricité-chaleur de l'autre qui a été retenu. Le rendement de la conversion de l'uranium est inférieur à celui du gaz, ce qui est regrettable et aurait pu poser un problème de coût mais ne pose aucun problème de pollution athmosphérique. Conséquence du choix de ce critère, pour toute nouvelle construction, la consommation en chauffage est limitée par m2 et par an de manière beaucoup plus stricte si les logements sont chauffés à l’électricité que s’ils sont chauffés au gaz (avec un facteur 2 entre les deux !). Une règle qui devrait pratiquement interdire l’usage de l’électricité et qui a effectivement encouragé le chauffage au gaz. Cette règle vaut d’ailleurs tant pour les constructions neuves que pour les rénovations thermiques de logements, pour lesquelles l’Etat poussé par les lobbies a été obnubilé, là encore, par la réduction de la consommation d’énergie primaire.

Note : c'est en appliquant ce mode de calcul qui prend en compte l'énergie perdue au cours de la transformation de l'uranium en électricité que les statistiques officelles font apparître un taux d'indépendance énergétique de la France de 54% alors qu'il n'est que de 30 % en ce qui concerne l'énergie utile.    

Pour limiter les émissions de CO2, le critère le plus efficace et le plus juste aurait été de choisir la quantité de CO2 émise, au lieu de la quantité d’énergie consommée corrigée d’un facteur arbitraire.  Au vu des courbes ci-dessus, on imagine les perturbations que ces décisions administratives ont déjà provoqué chez les industriels du secteur. Des chocs qui ne sont pas terminés puisqu’il va falloir revenir sur ces choix illogiques et intenables qui encouragent en France l’utilisation du gaz.

Gaz : des débouchés logiques importants

Au lieu de chercher à déplacer l’électricité de secteurs où le gaz est souvent moins performant, il serait logique de l’employer là où il est plus efficace. C’est le cas du transport (voitures particulières, camions autocars/autobus, trains, navires), où le gaz peut remplacer les carburants pour des quantités considérables, tout en émettant moins de CO2 et de particules fines que l’essence et le diesel. Le tout en attendant que les véhicules routiers électriques montent en puissance. L’autre débouché naturel est celui des centrales à gaz qui produisent de l’électricité à la demande en cas de pointes de consommation et/ou de faible production de l’éolien et du solaire.

Conclusion :L'urgence, c'est de modifier la règlementation technique qui pénalise l’électricité décarbonée et favorise l’utilisation du gaz ! Ce qui est complètement à rebours de la lutte contre le réchauffement climatique.   

Gaz vert

Pour justifier le remplacement de l’électricité par du gaz, le gaz vert produit à partir de la bio-masse est souvent mis en avant. Ce gaz est produit de trois façons :

  1. Production à partir de céréales (graines de blé, de maïs…) mélangées à des déchets agricoles (lisiers)
  2. Production à partir déchets agricoles (paille…)
  3. Production à partir de cultures de micro-algues

La première technique est opérationnelle à des coûts élevés, avec des matières premières "nobles" (nourriture), disponibles en quantité limitée et sans espoir de progrès décisif. La seconde est en phase d’expérimentation à petite échelle, à des coûts très élevés.  La troisième est encore au stade  laboratoire et une production industrielle rentable n’est envisageable qu’à très long terme (30 à 40 ans).

Dans tous les cas, le gaz vert ne représentera une proportion significative du gaz consommé que dans plusieurs décennies, alors que dans le même temps l’électricité sera toujours plus décarbonée.