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Taxe carbone : avec les projets de l'opposition, cela serait pire

L'iFRAP a exprimé ses réserves sur la taxe carbone telle qu'elle avait été décidée par le gouvernement et votée par le Parlement. Pour le Conseil Constitutionnel, c'est très simple : la contribution carbone, telle qu'elle était organisée par la loi censurée, n'a pas pour effet de lutter contre les émissions de CO2 ! Pour le gouvernement, il sera très difficile de transformer la taxe carbone en quelque chose de cohérent. Quand aux propositions de l'opposition, si elles restent vagues, elles seraient catastrophiques.

La conformité d'une loi à la Constitution dépend en effet du point de savoir si les mesures qu'elle prévoit sont conformes aux objectifs assignés à cette loi. Le Conseil a appliqué une implacable logique juridique pour démontrer que tel n'était pas le cas. En effet, l'objectif affiché de la loi était de lutter contre le réchauffement climatique en réduisant spécifiquement les émissions de CO2 – et non pas, dit le Conseil, généralement en incitant les citoyens à faire preuve de sobriété dans la consommation d'énergie, car le gouvernement n'aurait pas alors choisi de ne pas taxer la consommation d'électricité.

Dès lors, en prévoyant des exonérations totales de taxe pour les industries polluantes, il se trouvait que 93% de cette pollution auraient échappé à la taxe, et que au total moins de la moitié des émissions auraient été concernées. Et l'argument selon lequel les émissions industrielles étaient exonérées parce que la réglementation européenne sur les quotas d'émission leur était applicable, ne peut être retenu. En effet, non seulement les quotas sont gratuits jusqu'en 2013, mais de plus (et le raisonnement du Conseil est assez convaincant sur ce point) cette réglementation européenne prévoit expressément que les Etats ont en outre la liberté de décider de la perception d'accises s'ils veulent lutter contre les émissions industrielles, ce que l'Etat français a exclu : ceci démontre que cette lutte n'était pas son but. En conséquence, la loi est contraire à la Constitution pour défaut de conformité à ses objectifs déclarés. Comme on dit familièrement, « le coup est vache mais régulier » !

Il aurait mieux valu renoncer que ravauder

Le gouvernement ne renonce pas et va se remettre au travail, c'est entendu. Mais ce n'est pas si simple que cela. Sans parler des difficultés pratiques que va rencontrer une nouvelle définition du champ d'application de la mesure, la décision du Conseil fait éclater au grand jour la vérité, celle d'une loi qui n'est guère plus qu'un effet d'annonce politique sans résultat notable à en attendre.

Répétons donc ce que nous avons toujours affirmé : la taxe est inefficace parce que très peu de Français ont la possibilité de changer leur mode de vie avec la perspective de cumuler le chèque de 46 € par personne avec une économie d'énergie potentielle. Ensuite sa complexité et son coût de mise en œuvre : 20 millions de réductions d'impôts à calculer et 10 millions de chèques verts à envoyer aux non imposables, sans oublier tous les « cas particuliers » qu'il va falloir traiter et contrôler : où habitez-vous ? montagne ? plaine ? avez-vous accès à un transport public ? L'usine à gaz va encore se complexifier après les dernières déclarations de la Ministre de l'économie, qui, afin de respecter la décision du Conseil Constitutionnel, annonce la taxation des émissions industrielles, mais de façon variable, presque à la carte, en tenant compte de la compétitivité du secteur économique concerné et de l'importance des émissions. C'est parfaitement contestable du point de vue du droit d'intervention de l'Etat, et quasiment ingérable du point de vue de l'équité. S'il y a une solution, elle est mondiale ,voire européenne, sachant toutefois que la taxe européenne aux frontières ne recueille pas l'assentiment de nos voisins et risque de déclencher une vague de protectionnisme. En tout cas, une prise de position française isolée de franc-tireur ne fera que déstabiliser davantage la compétitivité française sans avoir aucun effet d'entraînement, compte tenu du caractère totalement négligeable des émissions de la France, ne serait-ce que par rapport à la simple augmentation de ces émissions attendue en Chine (certains disent un pour mille !). Rappelons enfin que si le gouvernement s'était contenté d'augmenter la TIPP, aucun problème de constitutionnalité ne se serait posé, et l'exercice que nous avons décrit aurait été inutile ! Mais dans ce cas les Français auraient payé leur énergie plus cher que les Suédois, dont le comportement est pourtant porté aux nues… Non, définitivement, cette contribution carbone n'est pas une bonne initiative.

Des propositions encore pire

L'opposition est à la fois très en faveur d'une taxe carbone pour des raisons idéologiques, et, pour des raisons politiciennes, tout à fait opposée à celle retenue par le gouvernement. Elle plaide pour un doublement du prix du CO2 (32 € la tonne au lieu de 17€ dans le projet gouvernemental, alors que son coût actuel n'est que de 12 €) et pour la taxation de toutes les énergies, y compris l'électricité. Contrairement au plan du gouvernement, l'opposition ne prévoit pas de rembourser cette taxe aux particuliers, mais de l'investir dans la production d'énergie propre et dans les économies d'énergie. Encore faudrait-il avoir le courage d'annoncer les conséquences de ces propositions.

Pour les particuliers, les entreprises et les collectivités locales, la taxe actuelle entrainait une augmentation de 4,5 centimes par litre de gazole ou de fuel. L'opposition propose donc son quasi doublement, soit une augmentation des prix de 9% pour le gazole et de 14% pour le fuel domestique et le gaz. En cette fin d'année, les utilisateurs de fuel ont fait la queue pour faire remplir leur cuve avant l'application de la taxe.
On peut imaginer leur opposition à une augmentation de 14% du prix de leur combustible. Sur l'électricité, l'opposition recommande une augmentation similaire par esprit de justice et suivant le principe « Ce n'est pas le CO2 qu'il faut taxer, mais l'énergie ». Les mêmes avaient pourtant vivement protesté quand le PDG d'EDF avait demandé une augmentation de 6% pour 2010. Au total, cette taxe prélèverait 10 milliards d'euros qui seraient directement à la charge des consommateurs ou reportés sur eux par les collectivités locales et les entreprises.

Pour les agriculteurs, les pêcheurs, les routiers, la SNCF, Air France et quelques autres professions, on suppose que l'opposition refuse de les exonérer, mais ne s'est pas exprimée très clairement, sans doute par prudence.

Pour les grandes entreprises émettrices de CO2 (cimenterie, EDF, raffinerie, chimie ….), l'opposition propose de les taxer comme les particuliers, en plus des quota de CO2 auxquelles elles sont déjà soumises. La France étant le seul pays à vouloir imposer une taxe carbone en plus de la TIPP, les délocalisations de nos industries lourdes constatées en 2009 seraient encore accélérées.

Le prix de l'énergie va augmenter naturellement, le pétrole et le gaz parce que les consommateurs chinois ou indiens en veulent et qu'ils vont se raréfier, le charbon parce qu'il faudra le rendre moins polluant, l'électricité parce que les investissements à faire sont considérables. Inutile de mettre en route une machinerie artificielle, complexe et inefficace, pour amplifier cette évolution. Ni la taxe carbone de Jean-Louis Borloo, ni celle de l'opposition.