Actualité

SAFER : la question de fond ne sera pas posée

Le jour même (14 février) où la Cour des comptes publiait son rapport sur les SAFER, le conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), service du ministère de l'Agriculture, sortait le résultat de son audit sur le même sujet. Certainement pas par hasard. Son rapport était prêt depuis septembre 2013. Sachant que le travail de la Cour des comptes allait se terminer par une critique du fonctionnement des SAFER, le ministère de l'Agriculture avait préparé sa défense. Vu ses objectifs, le CGAAER était nécessairement en première ligne : « Participer à la modernisation de l'action publique, à la mesure de la performance des services centraux et déconcentrés ainsi que des établissements publics, et veiller au bon emploi des ressources publiques ».

PDF - 1.2 Mo
L'exercice de la mission de service public des SAFER en métropole

Les recommandations de la CGAAER sont voisines de celles de la Cour des comptes : aligner le périmètre des SAFER sur celui des régions ; ouvrir les comités techniques des SAFER aux différents syndicats agricoles ; renforcer la tête de réseau (FNSafer et Scafr) ; corriger les déséquilibres de l'accès aux financements entre régions.

Comme la Cour, le CGAAER insiste pour que l'État renforce son contrôle sur les SAFER. Une proposition qu'il est difficile de ne pas soutenir : vu l'importance de la mission de service public déléguée aux SAFER, la quasi totalité des acteurs et vendeurs concernés préfèrent encore avoir affaire à des fonctionnaires « anonymes » plutôt qu'à des « locaux » [1] , salariés d'une entreprise privée, qui risquent d'être accusés d'être liés à des parties en présence, soit directement, soit à travers un syndicat ou un parti politique, ou de simplement défendre le "business" de leur SAFER.

Mais le CGAAER ne traite pas les questions de fond, pourtant des préalables à toute décision :

QuestionsRéponses
La France est le seul pays européen où des SAFER interviennent dans le choix des exploitants et dans la gestion du foncier et de son prix.
Les résultats de son agriculture sont-ils meilleurs que ceux des autres pays européens ? Non, ils sont moins bons.
Et les agriculteurs sont-ils plus satisfaits ? Non, ils sont plus mécontents en France.
Les SAFER estiment que, grâce à leur action, le prix des terres agricoles en France est deux à trois fois inférieur à ce qu'il est dans les autres pays européens.
Ces prix constituent-ils un avantage pour les agriculteurs ? Non, les agriculteurs sont les principaux propriétaires fonciers. Leurs entreprises sont donc très sous-évaluées ; ils sont particulièrement pénalisés au moment de leur départ en retraite.
Ces prix optimisent-ils l'utilisation des terres agricoles ? Non, comme toute ressource sous-évaluée elles sont sous-utilisées. Des exploitants âgés qui devraient logiquement les vendre, continuent à les exploiter un peu. Et des candidats dont les projets ne sont pas assez rentables sont tentés de s'installer.
Ces prix favorisent-ils la transparence du marché ? Non, cette ressource étant sous-évaluée, les candidats acheteurs cherchent tous les moyens détournés de se l'approprier.
Les SAFER emploient 980 salariés pour un budget de 80 millions d'euros ; leur activité occupe un nombre de fonctionnaires estimé à une centaine et un nombre équivalent de personnes dans les Chambres d'agriculture, les syndicats agricoles, Crédit Agricole et autres intervenants.
Cette centaine de millions d'euros par an sont-ils efficaces pour les agriculteurs ? Non, ces dépenses et les délais qu'entraînent les SAFER handicapent les agriculteurs.

Conclusion

Pour conduire leur audit, les trois membres de l'équipe d'audit du CGAAER ont rencontré 73 personnes dont 33 travaillent dans des SAFER, plus des représentants des chambres d'agriculture et des syndicats agricoles très proches des SAFER, des fonctionnaires du ministère de l'Agriculture et des élus, mais curieusement, aucun « client » des SAFER. Pour appréhender ces sujets de fond, il aurait été nécessaire de rencontrer des particuliers ayant eu affaire à ces entreprises et des professionnels de divers secteurs qui recueillent de nombreux témoignages et travaillent sur ce sujet : media (La France agricole…), organisations (Société des Agriculteurs de France, Fédération nationale de la propriété privée rurale, académie de l'agriculture, Fondation iFRAP, Association français de droit rural, etc.), avocats, agences immobilières, investisseurs.

A quoi bon proposer des réformes mineures avant de se poser la question de fond : faut-il conserver les SAFER ?

[1] Le cas décrit par la France Agricole N°3526 est typique : au comité tchnique de la SAFER, le partisan de la préemption par la SAFER "en voulait de longue date à l'acheteur, en raison d'un ancien partage successoral".