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L'économie au service de l'administration durable

L'alibi du développement durable

L'idée de « développement durable » ne cesse d'être sacralisée aussi bien chez les écologistes, les hommes politiques que les économistes, devenant ainsi une référence incontournable qu'il est désormais politiquement incorrect de remettre en cause. Pourtant, les doutes quant aux actions menées par les ONG comme par l'État sont légitimes, d'autant que la communauté scientifique ne parvient pas à s'accorder sur les risques à venir.

Lorsque Al Gore est récompensé par un prix Nobel de la paix pour sa détermination à lutter contre le réchauffement climatique, le symbole est fort : le développement durable est mis sur un piédestal à échelle mondiale et devient alors un objectif commun à poursuivre, et chaque pays doit être porteur de ce projet. La France n'échappe pas à la règle puisque le développement durable y a un écho grandissant. Le martèlement médiatique qui vise à éveiller les consciences face aux périls à venir, le Grenelle de l'environnement qui engage notre pays dans une politique verte, la fiscalité écologique proliférante… tant de décisions, de projets, d'événements qui témoignent de l'importance que le développement durable, décliné sous de multiples formes (écologie, énergies renouvelables, biodiversité…), a pris sur la scène politique en quelques années.

La recette française fonctionne donc à plein depuis 2002 : à tout problème son administration ! En effet, sitôt le concept assimilé par la haute fonction publique à la suite de la déclaration du président Jacques Chirac au sommet de Johannesburg de 2002, le premier comité interministériel pour le développement durable se réunit le 3 juin 2003 et adopte la Stratégie nationale de développement durable (SNDD). Placé auprès du Premier ministre, ce comité « définit les orientations de la politique conduite par le gouvernement en faveur du développement durable ». Pour l'aider, le Conseil national du développement durable a été créé en parallèle, réunissant 90 personnalités. Après contrôle de sa composition, il s'avère que 21 d'entre elles représentent réellement des experts de la société civile. Les autres sont, au choix, des élus, des hauts fonctionnaires ou des représentants de syndicats, d'administrations, d'entreprises publiques ou d'associations subventionnées… La société civile, oui, mais vivant du denier de l'État.

Explosion administrative

Afin de faciliter la mise en oeuvre des politiques, il est placé auprès du Premier ministre un délégué interministériel au développement durable. Bénéficiant de l'appui de la délégation au développement durable du ministère de l'Écologie, il dispose également de la Mission interministérielle de l'effet de serre (Mies), dont les missions font doublon avec celles de l'Observatoire national du réchauffement climatique (Onerc), dans la plus grande confusion. Pour l'épauler et mettre en oeuvre les politiques gouvernementales, les grands serviteurs de l'État ont créé le Comité permanent des hauts fonctionnaires du développement durable (sic). Leur travail principal ? Se réunir sur tous les sujets qui peuvent être liés de près ou de loin au développement durable afin de sensibiliser et former les fonctionnaires au concept.

Le développement durable est un concept passe-partout permettant d'englober des dépenses et des actions potentiellement infinies.

En parallèle se sont développées les administrations en charge du développement durable, dont l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) reste le maître d'oeuvre principal. Chiffrer une telle explosion administrative est un exercice difficile, puisque le développement durable est un concept passe-partout permettant d'englober des dépenses et des actions potentiellement infinies. Rien que pour suivre les actions transversales de la stratégie nationale du développement durable, l'État va dépenser, en 2008, près de 30 millions d'euros (action Stratégie expertise et gouvernance en matière de développement durable).
Impôts et taxes créés depuis 2002 au motif du développement durable
AnnéeNom de l'impositionProduit
2003 TGAP sur les imprimés non sollicités 25 M€
2005 TGAP sur les carburants 20 M€
2006 Taxe sur les installations de production d'énergie éolienne situées dans les eaux intérieures ou la mer territoriale NC
Taxe additionnelle à la taxe sur les cartes grises 20 M€
Taxe sur les déchets réceptionnés dans un incinérateur de déchets ménagers NC
Taxe sur les résidences mobiles terrestres NC
Taxe sur les friches commerciales NC
2007 Taxe de solidarité sur les billets d'avion 160 M€
Taxe sur le charbon, les houilles et les lignites 5 M€
2008 Taxe sur les poissons, les crustacés et les mollusques 80 M€
Éco-pastille 470 M€
Taxe exceptionnelle sur les compagnies pétrolières 150 M€
Contribution exceptionnelle de régulation des entreprises de vente en gros de spécialités pharmaceutiques 50 M€
TGAP sur les huiles et lubrifiants à usage perdu NC
Source : Commission des Finances de l'économie générale et du Plan, 30 janvier 2008.

Le coût global de la politique de développement durable (programme 217 de la loi de finances) est évalué à 4,317 milliards d'euros. Comme le note le rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale, « la politique de l'environnement ne participe à ce programme que pour une faible part » [1]. En effet, l'essentiel des dépenses concerne les dépenses de personnels auparavant rattachés à d'autres missions (transport, aménagement urbain ou routier, prévention des risques…). Au motif du développement durable, on finance ainsi près de 86 000 emplois de fonctionnaires…

Inflation fiscale

Pour abonder les caisses de l'État, il faut bien trouver des financements. Le développement durable est ainsi un excellent alibi pour restaurer les vieilles taxes (feue la vignette réincarnée en éco-pastille) ou en créer de nouvelles, aux justifications bien souvent douteuses. Taxe sur les carburants, taxe sur les résidences mobiles terrestres, taxe sur les billets d'avion, taxe sur le charbon, les houilles et les lignites, taxe sur les poissons…

Depuis 2002, près de 20 taxes relatives à la protection de l'environnement ont été créées dans des domaines très divers, contribuant ainsi à augmenter les ressources de l'État d'au minimum 1 milliard d'euros pour l'année 2007 (voir tableau). Même l'administration n'est pas dupe de ce procédé d'inflation fiscale. En septembre 2005, un rapport du Conseil des impôts [2] spécifiait déjà que « les taxes sur l'énergie, (…) sur les transports (…) n'ont pas été conçues dans une finalité environnementale mais pour assurer des recettes budgétaires importantes, stables et faciles à recouvrer ». Le développement durable apparaît ainsi davantage comme une variable d'ajustement économique qu'un moyen efficace de préserver l'environnement. En somme, un vrai terrain d'expérimentation pour inventeurs fiscaux.

La recette française fonctionne donc à plein depuis 2002 : à tout problème son administration !

Il ne s'agit pas de minimiser les risques liés à la destruction de l'environnement ou de décourager les consciences d'agir pour la préservation de la nature, au moins à titre individuel, mais il est clair que le moyen employé, à savoir la taxation massive et la croissance de la bureaucratie, est largement inapproprié. Plus grave, le développement durable devient un alibi fort commode pour justifier de nouvelles missions de service public et ainsi éviter de diminuer les dépenses en aggravant ainsi le déficit budgétaire durable.

[1] Commission des Finances de l'économie générale et du Plan, rapport sur le projet de loi de finances pour 2008 (n° 189), annexe n° 16.

[2] Conseil des impôts, XXIIIe rapport au Président de la République (synthèse), Fiscalité et environnement, septembre 2005.