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La loi Dalo ou le droit de constater que le secteur du logement social ne fonctionne pas

Le Sénat vient de publier le rapport de la commission de contrôle de l'application des lois qui s'est penchée sur la loi DALO [1]. Au-delà de la stricte mission de contrôle, ce rapport est en fait révélateur du profond décalage qui s'est créé entre les attentes des plus modestes et le fonctionnement du logement social.

La loi DALO a été mise en place en mars 2007 peu de temps après que les tentes des sans-abri se soient installées sur les quais du canal Saint-Martin. La loi marque un changement important avec une obligation de résultat pour l'État dans son action de logement des populations défavorisées. Pour cela il est prévu que l'État s'appuie sur le contingent de réservation de logements sociaux dont il dispose : 30% du patrimoine de chaque bailleur social dont 25% pour les personnes défavorisées (et 5% pour les fonctionnaires).

280.000 recours ont été formulés depuis la mise en place de la loi et le nombre s'établit désormais à 6.000 demandes par mois en moyenne. 60% des recours concernent l'Île-de-France et de façon générale l'essentiel des recours concerne les zones tendues (Côte d'Azur, arc genevois). Peut-on dire que la loi DALO est un échec ? Oui si l'on considère que la loi DALO devait servir de levier à un relogement des publics prioritaires, le problème du mal-logement est loin d'avoir été éradiqué. Ainsi pour 2011, sur les 42.000 requérants de la région Île-de-France déclarés prioritaires, 17.000 seulement ont été relogés.

Aujourd'hui tout le monde s'accorde sur l'engorgement des filières d'accès au parc social et déplore que cela ait des répercussions sur l'ensemble du système. Mais pour en sortir il faut une révolution du secteur HLM et non un droit supplémentaire : comme le résume André Yché pourtant directeur de SNI, filiale de la CDC et un des plus grands groupes de logement social avec 300.000 logements, "Contre toute logique le droit au maintien dans les lieux n'a pas été abrogé par la loi DALO". Même si les rapporteurs ne peuvent aller jusqu'à cette conclusion un certain nombre de faits qu'ils mentionnent vont dans ce sens.

Ainsi, l'utilisation du contingent préfectoral : d'après les sénateurs, "les services de l'État franciliens perdent chaque année environ 5.000 logements, soit 30% de leur contingent. Outre que les services préfectoraux n'ont trop souvent qu'une connaissance très approximative de la réalité du patrimoine des bailleurs sociaux, il arrive fréquemment qu'à la suite d'un rejet de candidature par la commission d'attribution ou d'un refus par le candidat prioritaire, le logement proposé soit repris par le bailleur." Autrement dit, les bailleurs sociaux ne se sentent pas liés par l'obligation qui leur est faite de loger les publics prioritaires sur la réserve préfectorale.

Échec de la politique de mixité sociale

En fait il est incohérent de vouloir à la fois loger dans le parc social des publics prioritaires et d'autoriser des plafonds de ressources si élevés que 60% des Français sont éligibles pour ces HLM. C'est d'ailleurs le sens de la plainte de l'UNPI déposée à Bruxelles, qui explique que "380.000 logements HLM occupés par des ménages qui ont des revenus mensuels supérieurs à 4.000 euros par mois" et que cela constitue une concurrence déloyale. Seule une plus grande rotation dans le parc social pourrait remédier à ce problème, mais l'avantage de solidarité nationale que représentent les loyers subventionnés des HLM est tel (évalué à 10 milliards d'euros par an) que ce taux ne cesse de chuter (12% en 1998 et 9% en 2008, il est de 18% dans le secteur privé). Autrement dit, une fois obtenu un logement HLM, les locataires logiquement ne veulent pas en partir.

C'est d'ailleurs ce que montre un autre élément de ce rapport : 20% des propositions de relogement (hors Île-de-France) sont refusées par les demandeurs. Il est notable que les demandeurs qui requièrent pour des délais anormalement longs préfèrent souvent une attente supplémentaire dans l'espoir d'une offre plus en adéquation : l'obtention d'un logement social n'est pas conçue comme un passage dans un parcours résidentiel mais comme un aboutissement.

Reste que pour tous ceux - nombreux - qui n'obtiennent pas de proposition de relogement, il faut aller devant les tribunaux administratifs constater la carence de l'État où 8 fois sur 10 ils obtiennent raison. Mais l'effet du contentieux est inopérant : l'injonction est assortie d'une astreinte que l'État se paye à lui-même. Au final, la loi DALO surcharge considérablement les tribunaux (le contentieux généré par le DALO en 1ere instance représente 15% des affaires enregistrées à Paris et 5% au niveau national). Et de l'aveu même des rapporteurs, "les juges, qui assurent une charge de travail très importante, peinent à percevoir leur réelle plus-value et font face à l'incompréhension des requérants déçus de ne pas obtenir de logement. La confiance dans l'action des pouvoirs publics s'en trouve écornée". C'est toute la politique du logement social qu'il faut revoir.

[1] Rapport 621 fait au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois sur l'application de la loi instituant le droit au logement opposable ; rapport des sénateurs Claude Dilain et Gérard Roche