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La Guyane et la crise de la fiscalité pétrolière

La goutte d'essence qui fait déborder le vase

Le financement des DOM a toujours été organisé depuis Paris, sous le règne de l'exception et du dérogatoire. Situations particulières, éloignement, continuité territoriale, toutes les raisons sont généralement bonnes pour faire se retrouver l'administration et les collectivités locales sur le terrain des accords particuliers. Mais parfois, il arrive que l'architecture financière imaginée se retourne contre ses créateurs et jette en pleine lumière des accords discrets noués.
C'est ainsi par exemple que le ministère de l'Outre-mer va mandater une mission d'inspection sur la fiscalité pétrolière dans les DOM la semaine prochaine.

Les associations d'usagers mais aussi de transporteurs en Guyane demandent une diminution de 50 centimes d'€ à la pompe. Il faut dire que la fiscalité pétrolière pèse lourdement sur les carburants pour aboutir à un prix de 1,77 €/ litre d'essence sans plomb et 1,55 €/l de gasoil quand, dans le même temps, à la pompe en métropole, on trouve respectivement pour le sans plomb 1,079 € et 0,99 € pour le gasoil. Comment expliquer ces différences ? Est-ce un différentiel de TIPP ?
On sait, par exemple, que pour financer une partie du transfert de compétences de l'Etat aux départements et aux régions en métropole, la TIPP a été mise à contribution à compter de la loi de Finances pour 2004 (accepté par la commission européenne par la décision du 14 septembre 2004), ce qui représente pour 2008 un transfert de l'ordre de 657 millions € pour un total de 16,51 milliards € levés.

Pour la Guyane, tout commence en réalité en 2007 lorsqu'une décision de justice rendue à l'initiative des concessionnaires locaux fait obligation aux compagnies pétrolières de s'approvisionner auprès de raffineries respectant la législation européenne en la matière. Résultat, alors que les Guyanais s'approvisionnaient à bon marché auprès des îles Trinidad et Tobago, juridictions à fiscalités particulièrement attractives, ils sont désormais contraints de le faire depuis février 2007 auprès d'une raffinerie martiniquaise, plus chère de 30 centimes.

Le système imaginé par le législateur et les pouvoirs locaux est en réalité particulièrement pervers comme on peut s'en rendre compte en quelques points :

- Pour financer la hausse tout d'abord, il a été décidé de la lisser dans le temps. Le différentiel à la charge des compagnies pétrolières a été finalement pris en charge par l'Etat, via un prêt de l'AFD (l'Agence française de Développement) garanti par lui. En réalité cette « fleur » va se retourner contre le consommateur final dans la mesure où ce déficit de trésorerie au détriment de la Société Anonyme de Raffinerie des Antilles s'élevant au 1er janvier 2008 à 19,5 millions € sera compensé à compter du 1er janvier 2009 par une taxe additionnelle à la taxe de consommation dont le produit sera affecté à l'AFD en remboursement de l'avance faite et au plus tard jusqu'au 1er janvier 2018. C'est donc le contribuable guyanais qui fera les frais de cette hausse « maîtrisée » (article 88 de la loi de finance rectificative pour 2007).
- En second lieu, le contribuable est victime de la fiscalité dérogatoire sur les carburants en Guyane. Cette fiscalité la TSC (pour taxe spéciale sur les carburants) représente environ 70 centimes d'€ aujourd'hui par litre. Elle ne profite en rien à l'Etat qui ne prélève pas un centime dessus. Tout au contraire, votée à son taux maximal par le conseil régional son produit est réparti entre la région, le département, les communes et un syndicat mixte de transport aérien du conseil général.

Il est alors tout à la fois curieux de voir des élus locaux se mobiliser contre une fiscalité dont ils tirent eux-mêmes les fruits, sans remettre en cause la décision du conseil régional refusant de baisser le montant de la TSC, pour se retourner vers l'Etat afin qu'il en baisse autoritairement la quotité jusqu'à concurrence de 50 centimes.

Structure de prix pour le sans-plomb 95 en novembre 2008

A la clé, selon les propositions gouvernementales, un effort de 30 centimes accordé par l'Etat sur le dos des pétroliers, plus 5 millions € de subvention (prélevés sur le fonds d'investissement exceptionnel pour l'Outre-mer) en direction des projets d'investissements de Guyane si le conseil régional accepte de faire un effort de son côté en baissant sa taxe de 10 centimes ! « Insuffisant ! » répondent les élus, « si l'Etat met 10 millions d'euros sur la table, on peut essayer de discuter ».
Tandis que le président du conseil régional PS Antoine Karam tente de faire reporter la charge plus encore sur l'Etat : « La population nous a demandé de poursuivre le mouvement sans toucher à la taxe spéciale sur le carburant fixée par la région ». Cette crise montre la difficulté et les ambiguïtés des circuits financiers entre la métropole et l'Outre-mer. Avec un taux de chômage atteignant 20% de la population active, le transfert pur et simple de la fiscalité pétrolière a semblé un moyen suffisant pour compléter l'éventail des dotations de l'Etat.

Cette « perfusion directe » des transferts publics, montre bien que la question de la compétitivité et de l'attractivité des territoires n'est jamais suffisamment posée. Pourquoi accoutumer les administrations locales à la dépense, au lieu de leur offrir le bénéfice d'une fiscalité attractive et dérogatoire ? Pourquoi complexifier les circuits de financements en superposant transfert de fiscalité et concours de l'Etat, au lieu de séparer les moyens de financements et de stimuler la fiscalité locale ?

Encore une fois, la Guyane témoigne de la stratification et des faux-fuyants de l'administration française : elle conjugue la complexité de la fiscalité locale comme toutes les collectivités françaises et les particularités de l'Outre-mer. Cette crise mériterait d'être l'occasion d'une réflexion profonde sur le financement des DOM-TOM et sur le rôle de l'autonomie locale et avant tout financière dans ce processus.