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HLM : l'épineuse question de la mobilité dans les logements sociaux

Interview de Jacques Kunvari, ancien directeur général adjoint de l'OPAC de Paris

Dans l'étude de la Fondation iFRAP "Logement : programme pour un quinquennat" ont été mises en évidence les incohérences de la politique HLM qui ne parvient plus à loger les plus défavorisés. Seule une plus grande mobilité dans le parc social (deux fois inférieure à la mobilité du privé, 9% contre 18%) pourrait remédier à ce problème. Mais les loyers HLM, inférieurs au prix du marché, représentent un avantage considérable – près de 10 milliards d'euros d'effort de solidarité nationale - qu'il est aujourd'hui quasiment impossible de remettre en cause. Nous avons recueilli l'analyse de Jacques Kunvari, Polytechnicien, directeur de sociétés de promotion immobilière puis de 1993 à 2012 directeur général adjoint de l'OPAC de Paris d'abord et administrateur ensuite de SA HLM Logirep, Plaine de France.

Le vrai problème HLM aujourd'hui, c'est l'offre insuffisante de logements à la location, due notamment à une fluidité trop faible dans le parc existant.

Jacques Kunvari

Fondation iFRAP : Comment percevez-vous la crise actuelle du logement et comment expliquez-vous qu'avec 4,5 millions de logements HLM, cette crise persiste ?

Jacques Kunvari : J'ai quitté la plupart de mes responsabilités dans le logement social depuis plusieurs années. Ces commentaires représentent donc mes convictions personnelles, fondées sur des années d'expérience professionnelle dans ce domaine. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, en France il n'y a pas un, mais des marchés immobiliers, dont les contextes sont très différents. D'ailleurs, il n'y a pas une crise du logement en France, mais une crise du logement dans les zones tendues, ce qui représente six régions au maximum. Il est donc essentiel que les politiques nationales du logement soient finement adaptées aux différentes situations. Le vrai problème HLM aujourd'hui c'est l'offre insuffisante de logements à la location, due notamment à une fluidité trop faible dans le parc existant : l'occupant d'un logement social bénéficie d'une rente à vie à peine corrigée le cas échéant par un supplément de loyer. En Allemagne, quelqu'un qui sollicite l'aide sociale, par exemple en fins de droits chômage après un an, voit sa situation examinée sous tous ses aspects : patrimoine, logement,…et si son logement se trouve supérieur aux normes, en surface, en loyer,… l'aide sociale ne lui sera acquise qu'à condition d'accepter un autre logement conforme aux normes, c'est à dire plus petit, moins cher. En France on en arrive à des situations paradoxales comme le cas d'un locataire HLM, par ailleurs propriétaire d'un appartement privé donné en location, ce que la loi n'interdit pas. Il s'agit de situations marginales certes, mais 1% des locataires HLM représente déjà 45 000 logements. La solution idéale serait le développement du sentiment de responsabilité individuelle : chaque bénéficiaire d'un avantage social reconnaissant qu'il est naturel d'y renoncer quand il n'est plus justifié. C'est évidemment utopique. En attendant, on devrait instaurer un bail de 6 ans, à l'issue duquel la situation de l'occupant (plafond de ressources, composition familiale) serait soigneusement réexaminée. Dans le cas où l'attribution du logement ne serait plus justifiée, le locataire devrait laisser sa place à un autre candidat dans un délai de 1 à 3 ans. Une autre solution serait de fixer les loyers HLM à des niveaux normaux et d'attribuer une aide personnelle dont le montant serait réévalué chaque année, ce qui revient à recentrer les aides sur la personne.

Fondation iFRAP : Les organismes HLM sont souvent critiqués sur le mode d'attribution des logements. Qu'en est-il ?

Jacques Kunvari : Cette question fait l'objet de plus de fantasmes qu'il n'y a de passe-droits en réalité. Aujourd'hui des cas peuvent échapper aux règles strictes d'attribution mais je suis convaincu que, sur les 7.000 à 8.000 attributions annuelles de l'OPAC de Paris à l'époque où j'y étais, plus de 99% étaient légitimes. L'attribution des logements ne peut pas se résumer par une règle aussi simple que "demandeur éligible le plus ancien premier servi". Les critères d'attribution sont plus complexes : d'abord, bien sur l'éligibilité de la demande (mais rappelons qu'environ 60% des ménages sont éligibles – ce qui est beaucoup trop et contribue à créer des frustrations), taille du logement disponible, localisation par rapport aux emplois de la famille, aux écoles des enfants,… Les tentatives d' "automatiser" ce processus par un système de "points" attribués en fonction de ces divers critères n'a pas donné de résultats satisfaisants. La gestion du fichier des demandes d'attribution a progressé avec la mise en place du fichier unique des candidats, mais j'y relève un manque : on n'y enregistre pas encore les refus de logement par les demandeurs, refus pour des motifs qui sont parfois étonnants.

À cela s'ajoute le maquis des places dites réservataires. Sur un programme neuf, l'État c'est-à-dire le préfet en réserve 30% (dont 5% pour loger les fonctionnaires), les communes en réservent 20% minimum en contrepartie de leur garantie financière du prêt Caisse des Dépôts. Le 1% patronal, s'il a participé au financement, a également droit à des logements réservés, pour loger les salariés des entreprises qui y cotisent. Au final, il peut ne rester que 10 à 15% des logements à attribuer par l'organisme HLM, dans le cas où la charge foncière n'est pas trop élevée et où l'organisme n'a pas sollicité trop de subventions. Sur des logements anciens, vieux de 20 ou 30 ans, il est souvent nécessaire de faire de la réhabilitation lourde, ce qui nécessite à nouveau des subventions et donc de nouvelles attributions réservataires. Les places préfectorales et communales restent attribuées à vie. Pour ces logements réservés, les candidats sont choisis et présentés par les réservataires, l'organisme HLM qui gérera les locataires vérifie simplement que les candidats ont une légitimité à entrer dans le logement (plafond de ressources, composition du ménage notamment).

Par ailleurs, la loi qui empêche de connaître et de tenir compte de certains critères (ex : origines) est moralement justifiée mais, à mon avis, peut devenir contre-productive : la constitution de communautés identitaires, avec le risque de départ de ceux qui n'en font pas partie et finalement la création de ghettos. Ces regroupements freinent l'intégration dans la société française. En pratique, dans les petits ensembles et les petites villes, ce problème est traité et bien traité de façon informelle par la majorité des élus et des organismes HLM. Mais dans les grandes villes ou les cités importantes, il est plus difficile d'éviter le risque de constitution de ghettos sans avoir accès à ces informations. Sur le terrain, je ne sais pas comment concilier le pragmatisme avec ce principe justifié.

Fondation iFRAP : Dans leur livre Logement aidé en France - Comprendre pour décider, Jean-René Fontaine et Jean Levain se plaignent de l'impossibilité de sanctionner les ménages qui perturbent la vie de tout un ensemble. L'expulsion pour loyer impayé existe, mais pas pour perturbation. Qu'en pensez-vous ?

Jacques Kunvari : En effet, la gestion des troubles graves de voisinage est particulièrement lourde, les expulsions à ce titre très difficiles à obtenir et encore obtenues bien souvent avec obligation de relogement. Dans mon expérience personnelle, il s'agit d'une très faible minorité qui perturbe ainsi la vie d'immeubles entiers. On engorge ainsi des services contentieux dans les organismes HLM. Aujourd'hui, on en arrive même parfois à mener des démolitions, faute de vouloir gérer des problèmes dans certains immeubles.

Fondation iFRAP : Le parc HLM est-il rentable ?

Jacques Kunvari : Aujourd'hui, les loyers HLM ne permettent pas toujours d'entretenir un bâtiment, même quand celui-ci est amorti. Surtout avec la faible inflation actuelle c'est-à-dire quand il faut vraiment rembourser les emprunts. A titre d'exemple, la rénovation énergétique peut coûter très cher, jusqu'à 20.000 euros par logement.

De façon plus générale, dans le secteur du logement privé locatif, si on prend en compte la fiscalité, le coût de gestion, le risque contentieux, le logement n'est pas rentable. Je constate d'ailleurs que les investisseurs institutionnels ont quitté ce secteur, ce qui aurait dû être un signal d'alarme. Seuls les particuliers continuent d'y investir, encouragés par des incitations fiscales couteuses pour les finances publiques (Scellier,…) mais plus par atavisme que par pur calcul rationnel.

Fondation iFRAP : La vente de HLM aux occupants ne fonctionne pas. Pourquoi ?

Jacques Kunvari : La difficulté c'est que les sociétés HLM sont réticentes à vendre. D'abord, parce que c'est une réduction de leur patrimoine, et qu'en plus il s'agirait de perdre les « meilleurs » occupants. Mais un couple qui occupe un 4 pièces parce que ses enfants sont partis, fait perdre en quelque sorte le bénéfice de cet appartement à une autre famille, il le stérilise. On évoque souvent le problème que posent les personnes âgées que l'on ne peut faire partir d'un appartement auquel elles sont attachées ; une solution serait justement de le leur vendre. Enfin, la vente est d'autant plus difficile que la conjonction des règles HLM avec le statut de la copropriété crée des difficultés objectives qui rebutent les bailleurs sociaux. Cette solution pourtant contribue à la mixité, évite que les HLM ne se transforment en ghettos et favorise la prise de responsabilité des nouveaux propriétaires dans la gestion de la copropriété. La vente à l'occupant peut se faire après estimation par les Domaines, à un prix en dessous du marché, avec des clauses de relogement pour le cas où l'acheteur est victime d'un accident de la vie, et une clause de non-spéculation. Pour les organismes HLM, la vente de logements correctement sélectionnés constituerait un avantage : chaque vente leur apporterait les capitaux qui leur manquent pour amorcer la construction de deux à trois nouveaux logements.

Plus que jamais en 2012, il est indispensable pour tous les propriétaires de parc immobilier d'avoir une logique de gestion immobilière dynamique.