Actualité

Coup d’arrêt aux ingérences des SAFER

En censurant, le 8 décembre 2016,  les articles de la loi SAPIN-2 étendant les pouvoirs des SAFER, le Conseil constitutionnel a mis un coup d’arrêt au renforcement de l’emprise des SAFER sur le monde agricole. Alors que la situation de l’agriculture française est catastrophique, il est étonnant que les responsables syndicaux et politiques se focalisent sur le renforcement du corporatisme agricole. Une fermeture, unique en Europe de l’Ouest, largement à l’origine des problèmes spécifiques à nos agriculteurs. 

Dernière minute : le Parlement actuel n’a plus que six semaines de session, néanmoins les  SAFER ont réussi à convaincre un député de tenter de faire passer, dans ce laps de temps, une nouvelle loi reprenant les articles refusés par le Conseil constitutionnel.  

Dans son rapport de 2014, la Cour des comptes avait longuement critiqué la façon dont les SAFER s’immiscent entre un vendeur et un acheteur, dans des transactions pratiquement déjà conclues. Cette technique de « substitution », appliquée sous la menace du trio « préemption, baisse de prix, attribution à un autre acheteur », leur permet de percevoir une commission équivalente aux droits de mutation, aux dépens des collectivités locales et de l’État ainsi privés de cette ressource. Les témoignages reçus par la Fondation iFRAP montrent que cette pratique persiste malgré cet avertissement.      

Les articles de la loi SAPIN-2, inspirés, voire écrits par la fédération nationale des SAFER (FNSAFER), qui viennent d’être censurés par le Conseil constitutionnel, donnaient aux SAFER une nouvelle façon de s’immiscer dans les affaires de personnes privées, notamment en préemptant des parts sociales d’exploitations agricoles.  

Un débat juridique complexe, un principe clair

Un cas typique

Quelques personnes (de 2 à 5 typiquement), avec un projet commun et des affinités, s’associent pour créer une petite entreprise et y consacrent de leur temps, de leur travail et de leurs capitaux. Malgré cela, des changements sont inévitables : retraite, décès, augmentation  de capital, désaccord, situation personnelle. La question du rachat des parts est  alors critique : si l’un veut vendre ses parts, ses associés veulent pouvoir acheter ou choisir leur nouvel associé. Une situation complètement différente de celle des 450.000 actionnaires  anonymes d’une entreprise du CAC40 comme TOTAL par exemple.

La menace

En permettant à une SAFER de préempter les parts sociales d’un des partenaires vendeur, pour elle-même, puis pour un acheteur ou des acheteurs de son choix, les articles censurés créaient une législation spécifique aux entreprises agricoles, mettant à mal l’équilibre entre les partenaires en place. Une prétention insupportable. Et une menace à terme pour toutes les petites entreprises (sociétés civiles immobilières urbaines, commerces, entreprises artisanales, cabinets médicaux, études de notaires, cabinets d’avocats, etc.) qui pourraient voir arriver à leur capital des associés incompétents ou  indésirables.

En 2014 déjà, le Conseil constitutionnel avait décidé que « préempter des parts ou actions d’une société ayant pour objet principal l’exploitation ou la propriété agricole lorsque l’exercice de ce droit (de préempter) a pour objet l’installation d’un agriculteur, n’est possible qu’en cas d’aliénation à titre onéreux de la totalité de ces parts ou actions ».     

Pas de consentement à la SAFERisation des propriétés agricoles

Dans le domaine fiscal, il est admis qu’un bon impôt, sans être accueilli avec enthousiasme, doit au moins être toléré et si possible admis par la population (consentement à l’impôt). C’est aussi le cas pour les lois et décrets décidés par le pouvoir.   

La grande majorité des Français n’ayant jamais affaire aux SAFER, ces mesures ne soulèvent pas de protestations généralisées. Mais dès que c’est le cas, les Français, et plus encore les étrangers, doutent d’abord de l’existence de ces entreprises privées, de leurs pouvoirs et de leurs procédures obscures, avant de se révolter. Les voies légales de contournement sont activement recherchées par les victimes (donation, location temporaire, parts de société…). Des voies moins légales malheureusement aussi. Mais surtout par la rétention des propriétés agricoles que les propriétaires renoncent à mettre en vente pour éviter d’être en butte aux SAFER. Rappelons qui si elles  acceptent le prix du vendeur, celui-ci ne peut plus reculer, même s’il est hostile au projet de la SAFER (démantèlement de l’exploitation, projet ou personnalité de l’acheteur, liens amicaux avec l’acheteur évincé…). Une atteinte claire au droit de propriété.

Protectionnisme et nationalisme

L’achat par une entreprise chinoise de 1.700 hectares de terres agricoles[1] est mis en avant pour justifier le renforcement du pouvoir des SAFER. Une démarche incohérente au moment où  nos responsables parcourent le monde pour encourager les investissements étrangers en France, et où la France réclame l’ouverture du marché chinois aux investissements français.

Mais une démarche alignée sur les politiques nationalistes de certains pays de l’Est (ex. Pologne, Hongrie) que la majorité des responsables politiques français dénoncent vigoureusement.

Pologne : les fermiers étrangers poussés vers la sortie
Eric de La Chesnais, Le Figaro, 15/5/2016

 « Les relents nationalistes du parti Droit et Justice polonais (PiS) s’illustrent aussi en agriculture. Une loi votée ce jeudi au Parlement rigidifie les conditions d’accès aux terres agricoles. » 

Lire la suite : http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/04/15/20002-20160415ARTFIG00059-pologne-les-fermiers-etrangers-pousses-vers-la-sortie.php 

Session de formation d'agriculteurs polonais à la SAFER de Normandie, celle du président de la FNSAFER

Conclusion

Les agriculteurs sont particulièrement attachés au droit de propriété. Un sentiment fort et  concret quand ils regardent les terres que leurs parents ou eux-mêmes ont travaillé pendant des décennies. Il est donc étonnant qu’ils tolèrent des atteintes de plus en plus incontestables à ce droit pour des raisons loin d’être critiques pour la société[2]. En échange d’un avantage ponctuel douteux (renforcer l’emprise de syndicats ou d’autres groupes de pression, tenter de bénéficier d’un passe-droit), ils compromettent ce droit fondamental.

En France, sur le ton du regret, on entend de plus en plus souvent dire : « on se heurte au droit de propriété… », par ceux qui aimeraient disposer librement des logements, des entreprises, des droits d’auteur, des économies, des brevets appartenant à leurs concitoyens. Un regret lourd de menace. Au lieu d’aggraver le pouvoir des SAFER, il est nécessaire de s’aligner sur les autres pays démocratiques d’Europe en supprimant ces organismes en même temps que les surfaces minimum et maximum d’installation, le contrôle des structures et les commissions départementales d’orientation de l’agriculture. Au vu de leurs résultats, ces multiples structures n’ont pas bien réussi à l’agriculture française.

En concluant sa longue interview dans Le Figaro du 29 décembre par "Ce qui doit être défendu est le droit d'entreprendre pour les paysans." Xavier Beulin condamne l'ensemble de ces organismes dont le but est précisément de brimer les initiatives des agriculteurs de terrain en confiant les décisions à des commissions er à des fonctionnaires.     


[1] La France en compte 28 millions

[2] Une expropriation est probablement inévitable pour construire un barrage hydroélectrique ou une autoroute très nécessaires à la collectivité, mais pas pour qu’un champ soit cultivé par X. plutôt que par Y.