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Contrôle des structures agricoles : un cas d’école pour CAP 22

Comité Action publique 2022 (CAP 22)

Pour le Contrôle des structures agricoles, la nouvelle loi dite du droit à l’erreur, mérite bien son nouveau nom de loi pour un État au service d’une société de confiance. L’État, au lieu de se défier des agriculteurs, va leur faire confiance. Il prétendait mieux savoir que tout le monde ce qui est bon pour ces professionnels... il va enfin laisser ces entrepreneurs entreprendre comme le font leurs collègues des autres secteurs de l’économie. Un changement logique vu les résultats catastrophiques d’une grande partie de notre agriculture soumise à des décennies d’interventionnisme de l’État. 

La loi Confiance, enregistrée à l’Assemblée nationale le 27 novembre 2017, n’engage encore qu’une simple expérimentation, avec la suppression du contrôle des structures dans des départements ciblés. Cela est encore peu mais la profession semble convaincue qu'elle sera généralisée rapidement. Une suppression indispensable pour que la France ne s’enlise plus jamais, ni dans le secteur agricole ni ailleurs, dans ce type de mécanismes. A priori, plein de bonnes intentions, ils handicapent en réalité ceux qu’ils sont censés protéger, et ne bénéficient qu’au petit groupe d’initiés qui réussissent à profiter du système en se mettant aux commandes. 

Très concrètement, le Contrôle des structures donne au Préfet le pouvoir d’interdire le droit d’exploiter sa ferme à une personne qui dispose pourtant des compétences requises et des moyens de production nécessaires, terres agricoles et bâtiments d’exploitation, en toute propriété ou en location. Sachant que cette possibilité existe, divers réseaux d’influence s’activent quand l’exploitation est convoitée par plusieurs candidats. Certains professionnels (ex. professions médicales, coiffeurs, avocats), ne peuvent exercer que s’ils ont les diplômes nécessaires. Il n’est donc pas anormal que les candidats agriculteurs disposent soit des diplômes ou de l’expérience nécessaires, soit emploient une personne compétente. Mais ce qui est unique en agriculture, c’est le fait qu’une commission dirigée par le préfet décide qui peut s’installer en fonction de multiples critères administratifs. Pour prendre conscience du côté dérogatoire et monstrueux de cette règlementation, il faut imaginer que des procédures similaires soient appliquées à d’autres entreprises aussi souvent familiales comme les restaurants, les boulangeries, les garages ou les coiffeurs. La France est le seul des sept pays étudiés par les SAFER[1] à avoir mis en place des mécanismes de contrôle administratif des structures.    

Entrée dans la profession agricole

Rapport des SAFER de décembre 2015 sur 7 pays

Allemagne

Libre

Belgique

Libre

France

Contraintes

Hongrie

Libre

Italie

Libre

Lituanie

Libre

Pologne

Libre

 

La hiérarchie des normes administratives

Tout commence en France par le gouvernement décrétant un nouveau Programme national de développement agricole (PNDAR). Les régions s’en emparent et produisent leur Projet agricole régional (PAR) et leur Schéma directeur régional des exploitations (SDRE)[2]. Avant, après ou en parallèle, chaque département construit son Projet agricole départemental (PAD) et son Schéma directeur départemental des exploitations (SDDE). Des Commissions départementales d’orientation de l’agriculture (CDOA) et des Organismes Départementaux pour l'Aménagement des Structures des Exploitations Agricoles (ODASEA)  contribuent à la préparation de ces documents. Cette architecture hiérarchique, belle comme un jardin à la française, rappelle le planisme des années 1950 mais ne correspond pas du tout à l’économie de l’innovation du XXIème siècle.

Composition de la Commission départementale d’orientation de l’agriculture

Une vingtaine de personnes représentant des : Préfecture, Chambre d’agriculture, Mutualité Sociale Agricole, syndicats professionnels agricoles, SAFER, banques, assurances, associations de protection de la nature, associations de consommateurs, artisans, etc. 

Toute cette activité vise à définir dans chaque département et souvent à une échelle très inférieure à celle du canton, quelles sont les productions, les exploitations et les exploitants autorisés. Comme le montre le schéma directeur régional des Pays de Loire (28 pages) et le résumé de sa liste des critères ci-dessous, ces règlementations vont dans des raffinements de détails considérables et certainement toujours insuffisants.

Exemple :  schéma directeur régional des Pays de Loire (28 pages)

26 paramètres : 10 rangs + 16 critères

Pour aider le préfet à vérifier si le candidat est bien « conforme » et à départager les candidats, 26 paramètres principaux (avec de nombreux autres sous-critères) sont définis (le point 6 ci-dessous est recopié in extenso à titre d’exemple) :

  1. Projet d’installation aidée non progressive d’un agriculteur à temps plein en élevage ou cultures végétales spécialisées.
  2. Projet d’installation aidée ou pas aidée d’un agriculteur à plein temps
  3. Projet d’installation non aidée en raison de l’âge du candidat
  4. Agrandissement pour confortation d’une exploitation
  5. Projet d’installation individuelle ou sociétaire, aidée ou aidée progressive d’un agriculteur à titre principal   
  6. Agrandissement pour confortation d’une exploitation ou Réinstallation ou reconstitution d’une exploitation impactée à plus de 10% et moins de 25% de la SAU totale initiale sur les 5 dernières années, dont le coefficient économique par actif est compris entre 0,7 et 1,
  7. dans la limite d’un coefficient économique par actif après reprise de 1 et dans le cas d’une distance entre siège et parcelle à reprendre est inférieure à 10  km.   
  8. Projet d’installation individuelle en société à titre secondaire.
  9. Agrandissement d’une exploitation
  10. Autres 
  11.  Projets d’installation au-delà d’un coefficient économique supérieur à 1,9   
  12.  Non réalisation d’un projet d’installation
  13.  Reprise de parcelles en agriculture biologique
  14. Reprise à plus de 90 % par le conjoint du chef d’exploitation
  15. Reprise pour déplacement quotidien des animaux 
  16. Echanges parcellaires 
  17. Demandes d’agrandissement ou de réinstallation reconstitution  
  18. Engagement environnemental
  19. Prise en compte du nombre d’actifs
  20. Fixation des seuils de contrôle (culture, élevage, hors-sol)
  21. Seuils de surface
  22. Dimension économique
  23. Diversité des productions
  24. Degré de participation du demandeur
  25. Nombre d’emplois non salariés
  26. Structure parcellaire
  27. Situation personnelle du demandeur[3]

L’exploitation considérée comme idéale est de taille moyenne, produit ce qui s’est toujours produit dans le secteur, et est exploitée par un couple où les deux personnes travaillent tous les deux à la ferme. Des critères nostalgiques qui conduisent à la sclérose.  Exemple : la majorité des conjoints des jeunes agriculteurs ont une profession qu’ils exercent hors de l’exploitation. C’est en s’appuyant sur des documents similaires à celui ci-dessus que le préfet décidera lequel des candidats aura le droit d’exploiter cette ferme.

Calcul du coefficient économique

Parmi tous ces critères, l’évaluation du revenu attendu de l’exploitation est au centre des débats. Le contrôle des structures, cherchant à éviter les exploitations agricoles trop petites et trop grandes, les pas assez et les trop rentables, se heurte à la méthode de mesure de ce revenu. Un hectare de blé n’est pas égal à un de vigne, et deux hectares de vignes peuvent être très différents. Et comment comparer un hectare à un élevage de lapins ?

Les auteurs de ces règlementations n’ont pas reculé devant cette difficulté, et des pages et des  pages d’équivalences sont publiées suivant la nature de la production et l’emplacement dans le département. Exemple : 5.000 poulets = 26 hectares, un hectare de sapins = 6 hectares de blé. 

En Bourgogne, 150 cas différents sont prévus pour les seules exploitations viticoles, un hectare de vigne étant déclaré équivalant à des nombres d’hectares « standards » allant de 1 à 145 hectares.  Au total, un exercice impossible, qui néglige, de plus, le talent de chaque candidat. [4]

Normes techniques et normes administratives abusives

Le candidat puis le président Emmanuel Macron se sont engagés à réduire le nombre de normes techniques pour l’agriculture comme le réclament à juste titre les agriculteurs. Mais il est aussi nécessaire de réduire les normes administratives qui vont au-delà de ce qui existe dans les pays européens. Une démarche d’autant plus justifiée que l’agriculture de ces autres pays ne rencontre pas autant de problèmes que la nôtre. La suppression du contrôle des structures est un premier pas avant celle des SAFER, et avant la réduction de moitié de la taille des Chambres d’agriculture et du ministère de l’agriculture (hors enseignement et recherche agricoles), prenant acte de la forte baisse du nombre d’exploitations agricoles depuis 50 ans.

Conclusion

Cette complexité est typique d’une procédure administrative qui tente d’être juste mais est si complexe qu’elle est inapplicable et arbitraire. Les commissions de contrôle des structures doivent statuer sur 20.000 demandes par an. Les services de l’État auraient indiqué que 200 fonctionnaires des préfectures travaillaient à plein temps sur ces procédures, sans compter le contentieux que cela entraine. Vu la complexité des documents à fournir et à analyser, soit ce chiffre est très sous-estimé, soit le traitement des dossiers est fait de façon superficielle.  Mais le pire est du côté du temps perdu par les autres participants[5] (agriculteurs, syndicats, banques, assurances, chambres d’agriculture, SAFER, associations) qui siègent dans ces commissions en plus des fonctionnaires, pour exercer leur lobbying.

Ce n’est pas parce qu’il coûte cher qu’il faut supprimer le contrôle des structures, mais parce qu’il handicape notre agriculture en introduisant des délais inutiles (trois mois minimum), et surtout parce qu’il fait diriger notre agriculture par des commissions administratives, pas par les entrepreneurs. L’expérience ayant prouvé que ce n’est pas une méthode efficace, le Comité Action publique 2022 (CAP 22) mis en place ce mois-ci par le gouvernement doit confirmer cette réforme et l'amplifier dans le secteur agricole.  

Lire aussi :  Emmanuel Macron, n’oubliez pas de libérer l’agriculture, 23/10/2014


[1] Organismes très favorables au contrôle des structures

[2] En théorie, depuis 2016, ces schémas sont produits au niveau des régions ; en pratique, ces documents restent parfois organisés par départements.

[3] Ce dernier point est inquiétant, d’autant plus qu’il est discuté dans une réunion qui réunit une vingtaine de personnes soit du milieu (ce qui pose des problèmes), soit étrangères au milieu (ce qui en pose d’autres). Il est étonnant par exemple que l’âge du demandeur soit explicitement indiqué comme un critère, alors que cette question est interdite (et sanctionnée) dans toute offre d’emploi. Plus généralement le patrimoine, la situation familiale, le sexe et d’autres, font-ils aussi partie de la « situation personnelle » ?

[4] Le terme qui revient souvent dans ces documents est celui d’exploitation « viable ». un objectif minimal qui n’est même pas atteint puisque de nombreuses fermes sélectionnées par ce process complexe sont en déficit. 

[5] Si cette activité occupe 200 fonctionnaires à plein temps, elle occupe aussi les autres participants (18 sur 20), soit 3.600 personnes gravitant autour des agriculteurs, sans compter le temps perdu par les candidats eux-mêmes.   

Réactions

Sujet : C'est encore pire dans la vraie vie !
Commentaire : Il se trouve que je viens de l'industrie (PMI) et que je viens de créer une entreprise agricole en région
La réalité quotidienne dépasse tout ! J'ai vu passer une douzaine d'organismes publics ou parapublics (police de l'eau, MSA, natura2000, communauté de communes, divers adjoints etc..) qui viennent chacun avec 2 ou 3 personnes pour m'informer de différentes contraintes auxquelles je dois me soumettre. Devant l'accumulation d'obligations diverses, j'ai fini par demander des subventions, pour du matériel notamment. Les services qui s'en occupent n'ont pas fini de traiter les dossiers 2016, et on me dit (au téléphone) qu'il faut compter au moins deux ans pour toucher quelque chose... Je découvre une bureaucratie digne des années 50 !

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Sujet : Avocat en droit rural, spécialiste du controle des structures.
Commentaire : Voilà 40 ans que j'affronte cette législation "soviétique".
Toutefois le père Noel est dejà passé ; je ne crois pas un instant à la suppression de cette légis-
lation mais à sa simplification comme cela a été le cas déjà plusieurs fois avant de reprendre la
main selon la tendance politique.

On verra bien ; à suivre !

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Sujet : la bureaucratisation agricole
Commentaire : je suis aux anges, avec cet article on comprend pourquoi les choses en France vont mal et coutent cher!
à faire lire de force avec interrogation à la clé par les conseillers du président et nos députès et sénateurs qui acceptent et aiment ce système désastreux

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Sujet : Controle des structures agricoles
Commentaire : C'est le système du roi UBU ;En effet étant propriétaire de 1,17ha le locataire prenant sa retraite il a fallu passer par la commission qui a mis 6 mois à statuer pour le nouveau locataire alors qu'il cultivait déja mes parcelles; Pour mes 2 ridicules parcelles j'ai reçu 3 pages en recommandé de l'arrêté du préfet avec les 200 parcelles attribuées appartenant à 50 propriétaires différents car l'agriculteur qui cédait avait environ 300ha en dans la région normande et c'est trés morcelé. Et je ne parle pas des petits arrangements dont j'ai eu des échos. On peut faire beaucoup d'économies en arrêtant cette gabegie !

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Sujet : abus de normes
Commentaire : Je voudrais réagir sur l'emploi du mot "normes", tout ce que vous citez sous ce vocable est de la "réglementation". Les normes sont des textes rédigés par l'AFNOR définissant (en général) une relation client-fournisseur. L'emploi du mot "norme" est abusif, mais (hélas) très fréquent!

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Sujet : Trente ans de réglementation et la perte de la diversité paysanne
Commentaire : Oui l'agriculture et la réglementation des structures c'est l'union soviétique des années soixante, mais ne pas tout mettre sur l'administration, c'est la gamelle de la FNSEA, sa planche à adhésion,les convenances entre amis des chambres d'agriculture, SAFER et syndicat.

J'en profite pour dire qu'il y a la même sclérose soviétique avec la PAC. Comment peut on défendre un système économique en pérennisant les aides sur 30 ans- aides calculées sur la production des années 1990 -Plus on est gros plus on touche! Alors que les autres pays en ont pris une partie pour mettre en place des politiques réalises et sont devenus plus compétitifs.

Dernier point la libéralisation totale des structures ne trouve sa place qu'avec une véritable politique de prix à la production afin que toute la richesse et la diversité des productions et des producteurs puissent s'exprimer.

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Sujet : ETATISME
Commentaire : Il est ahurissant de voir comment l'agriculture française est traitée. C'est du bolchevisme. On a d'ailleurs dit que les effectifs du ministère de l'agriculture allaient dépasser le nombre d'agriculteurs. Quelle sinécure, et pendant ce temps nos agricultyeuers se suicident. Cherchez l'erreur ! 

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Sujet : L'agriculture
Commentaire : Il y a des dizaines d'années que l'on constate toutes ces normes.
Tout le monde s'en fou pourvu que les paysans produisent sans gagner leur vie.
Les hypers en profitent à fond pour continuer à sacrifier le monde paysan.
Et les pouvoirs publics ne font rien.
Quel gâchis.

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Sujet : CAP 22
Commentaire : je crains que vous ne soyez très optimistes!

Je ne suis pas compétent sur ce sujet, mais l'ensemble des difficultés rencontrées par notre agriculture me fait toujours penser qu'il doit y avoir une ou plusieurs grosses erreurs d'organisation ; car comment concilier une multitude, voulue, de petites exploitations avec un tout petit nombre d'acheteurs? comment ne pas penser que passer par Rungis est une relique d'avant internet? etc...Peut être est il temps de donner aux exploitants la liberté de s'organiser en fonction des contraintes régionales qu'ils connaissent bien.

Ici la vallée de la Siagne a failli perdre ses derniers agriculteurs au profit d'un supermarché. C'était il y a 10 ans; et maintenant les fiches sont petit à petit remises en culture maraichère. Ce qui prouve que la terre peut encore nourrir son homme.

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