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Agriculture : nouvelle condamnation de la SAFER modèle

La SAFER de Haute-Normandie avait été sévèrement condamnée en 2006, mais assurait avoir fait le ménage depuis. La récente condamnation est plus grave que la première : il ne s'agit pas d'un problème d'argent, mais de principe.

La SAFER de Haute-Normandie se voudrait la SAFER modèle parmi ses 26 consœurs. C'est d'ailleurs celle du nouveau Président de la Fédération Nationale des SAFER. C'est aussi celle que la Fédération Nationale des SAFER (FNSAFER) fait visiter aux personnes (journalistes, think tanks …) qui s'intéressent à cette particularité française. La Fondation iFRAP avait été invitée en 2011 à assister à l'un de ses Comités Techniques Départementaux. Mon compte rendu avait témoigné de la qualité de la forme de cette réunion, sans pouvoir juger du fond, tout en confirmant notre opposition à une telle organisation bureaucratique du marché des propriétés agricoles. En Juin 2012, c'était au tour de France Agricole d'être invitée. La journaliste a publié un compte rendu détaillé de ce Comité dans le numéro de novembre 2012 de ce célèbre magazine.

La condamnation de 2006

"Le tribunal de grande instance d'Evreux a constaté que la préemption exercée en 2000 par la SAFER constitue un abus de droit (…) et condamne la SAFER à payer aux Martin la somme de 475.000 F."

Cette fois là, la SAFER avait préempté une propriété agricole qui venait d'être vendue, au prétexte que le prix était trop élevé, donc avec une baisse du prix. Devant absolument se séparer de ce bien, les vendeurs n'avaient pas pu le retirer de la vente et avaient accepté de traiter à ce prix réduit. Mais ils avaient attaqué la SAFER en justice quand ils avaient constaté que la SAFER avait rapidement revendu leur propriété… au prix initial qu'ils en avaient demandé. Ils avaient finalement obtenu gain de cause en première instance puis en appel. Après sept années de soucis considérables et de temps perdu.

La condamnation de 2012

« En procédant ainsi, préalablement à l'appel à candidature du 23 mars 2009, il apparaît que la SAFER de Haute-Normandie a rétrocédé plusieurs parcelles de l'exploitation, acquises par elle-même à l'amiable, au profit d'un bénéficiaire déterminé, en dehors de toute mesure de publicité et d'appel de candidatures tels que prévus par la loi. »

Cette fois-ci, c'est pour avoir attribué une propriété sans appel à candidature que la même SAFER vient d'être condamnée. Une violation caractérisée d'une des règles de base du droit des SAFER. Mais au-delà de ce fait précis, le juge a trouvé indispensable de mettre par écrit sa réprobation « Au surplus, le Tribunal relève qu'en attribuant les parcelles litigieuses à des exploitants partant à la retraite ainsi qu'à une SCI dont il n'apparaît pas que celle-ci ait une quelconque vocation agricole, la SAFER n'a satisfait qu'à des intérêts particuliers pour des motifs d'ordre patrimonial n'entrant pas dans le cadre de ses objectifs et missions impartis ». Ce commentaire est très intéressant. Il souligne que sans la faute caractérisée de la SAFER sur le premier point (pas d'appel à candidature), le juge aurait probablement été dans l'incapacité de la condamner pour un point beaucoup plus fondamental (critères d'attribution douteux). C'est ce flou inévitable dans les critères qui constitue l'une des principales raisons pour lesquelles l'iFRAP considère que les SAFER sont sources d'arbitraire et qu'il faut les supprimer.

Par ce jugement et encore plus par ce commentaire du juge, le Commissaire du gouvernement qui avait cautionné la décision de la SAFER se trouve gravement désavoué. Il n'est plus à ce poste, mais il est indispensable que le nouveau Commissaire s'implique complètement dans cette seconde phase d'attribution. Il serait même souhaitable que le dossier soit « dépaysé » dans une autre région pour éviter tout soupçon de revanche de la part de la SAFER condamnée.

Conclusion

Dans ces deux cas comme dans beaucoup d'autres, les soucis et les dépenses qu'aura entraînés l'intervention de la SAFER sont considérables pour toutes les personnes concernées. Mais le facteur temps, les années perdues, sont encore plus impressionnants : déjà trois ans ici, sept ans là, constituent une perturbation gravissime dans une vie professionnelle d'entrepreneur individuel. Et une arme absolue pour les SAFER qui sembleraient démarcher acheteurs et vendeurs avec l'argument : si vous passez par notre intermédiaire et acceptez nos décisions, vous vous éviterez bien des problèmes. Une forme de chantage ? En tous les cas une concurrence déloyale vis-à-vis des autres intermédiaires et une charge inutile pour les personnes qui sont en mesure de s'entendre sans intermédiaire.

La Basse-Normandie vote contre la SAFER

Dans la région voisine (Basse-Normandie), les administrateurs de la Chambre d'agriculture du Calvados ont montré que l'activisme des SAFER est devenu insupportable au monde agricole : ils viennent de voter contre la reconduction du droit de préemption par la SAFER à une forte majorité (21 voix sur 26). Ce vote constitue un très sérieux avertissement. Les deux cas ci-dessus témoignent de la gravité du problème et ont pu être tranchés par la justice, mais de nombreux autres sont ressentis comme tout aussi injustes par les personnes concernées.

Michel Legrand - Président de la Chambre d'agriculture du Calvados, Basse Normandie :

Lors des réunions organisées avant les élections aux Chambres d'agriculture de 2007, de nombreuses critiques avaient été émises envers la Safer. Je m'étais donc engagé à réunir la Safer et les syndicats pour en discuter, ce qui a été fait. Mais force est de constater, au vu de la montée en puissance des critiques ces dernières années, que nous n'avons pas été entendus. La balle est aujourd'hui dans le camp de la Safer.